Une crise des perceptions

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Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»

Après près d'une semaine de tractations, les commissaires ont rendu publiques les 307 pages de leur rapport. (Photo PC)

Caroline Touzin - La commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables a accouché hier d'un rapport de 300 pages, Le temps de la conciliation. Rien d'alarmiste dans son bilan. Les commissaires ont constaté quelques dérapages, mais la situation générale est néanmoins sous contrôle. Ils n'en proposent pas moins 37 recommandations visant à faire du Québec un État laïque et ouvert, quitte à égratigner certains symboles et à en promouvoir d'autres.

Le Québec n'a pas vécu de crise d'accommodements raisonnables. C'était une «crise de perceptions». Après une année de recherches et de consultations aux quatre coins du Québec qui ont coûté 3,7 millions de dollars, telle est la conclusion à laquelle en arrivent Gérard Bouchard et Charles Taylor, auteurs du rapport très attendu sur le sujet.
«Le Québec n'a absolument pas à rougir de son dossier sur le plan des rapports interculturels», a insisté M. Bouchard, au cours de la présentation du rapport de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles dévoilé, hier, au Monument-National à Montréal.
Il s'agit de l'une des «conclusions les plus solides» de leurs travaux, précisent-ils.
Les commissaires ont bien noté «quelques dérapages», mais «aucune donnée fiable ne permet d'appuyer l'idée qu'au Québec, il y aurait plus de racisme, de xénophobie ou de discrimination que dans d'autres sociétés», a indiqué M. Bouchard.
Cette «crise des perceptions» serait attribuable à l'emballement médiatique, au phénomène de la rumeur et à l'insécurité des francophones, selon les commissaires. Dans 21 cas d'accommodements parmi les plus médiatisés et ayant contribué à la controverse, 15 cas ont fait l'objet d'une «distorsion manifeste», a révélé une étude commandée par la Commission.
Oui et non aux signes religieux
Dans leur rapport, les commissaires ont tranché sur le port des signes religieux, une question souvent soulevée durant les forums régionaux. Le crucifix n'a pas sa place à l'Assemblée nationale. Pas plus que la prière dans une réunion du conseil municipal. Un policier sikh ne doit pas porter de turban. Ni une gardienne de prison musulmane, le voile. Mais les enseignants, professionnels de la santé et les fonctionnaires, eux, peuvent porter les signes religieux qu'ils veulent.
Les coprésidents n'avaient pas terminé leur conférence de presse que le premier ministre Jean Charest déposait une motion à l'Assemblée nationale en faveur du maintien du crucifix. Une motion adoptée à l'unanimité (voir texte en A4 et A5).
Au total, les commissaires ont formulé 37 recommandations. Certaines très concrètes, comme la mise sur pied d'un comité d'enquête indépendant mandaté pour faire la lumière sur les pratiques des ordres professionnels en matière de reconnaissance des diplômes obtenus à l'étranger. «On ne pouvait pas demander au conseil des ordres professionnels d'enquêter parce qu'il parle au nom des ordres», a expliqué M. Bouchard.
D'autres sont plus timides, comme celle suggérant à l'État de prêter une attention particulière aux écoles ethnoconfessionnelles. Des participants aux forums étaient venus critiquer les subventions notamment accordées aux écoles juives. Toujours en matière d'éducation, les commissaires prônent une «promotion vigoureuse» du nouveau cours d'éthique et de culture religieuse qui doit entrer en vigueur en septembre. Mais ils s'opposent au récent projet d'ouvrir une école réservée aux jeunes Noirs. «Ce serait consacrer l'incapacité du système scolaire public à servir tous les citoyens», peut-on lire dans le rapport.
Dans un long exposé sur la laïcité québécoise, les deux auteurs prônent une laïcité ouverte, dans laquelle l'État reste neutre devant toutes les religions, mais aussi dans laquelle la liberté de conscience de tous les citoyens est respectée.
Les deux intellectuels ne croient toutefois pas qu'une loi-cadre soit nécessaire pour faire respecter les principes. Ils recommandent plutôt au gouvernement Charest de se munir d'un livre blanc de la laïcité qui énumérerait les grandes orientations du Québec en la matière.
Le voile
Sur la question du port du voile, MM. Bouchard et Taylor rejettent la thèse selon laquelle celui-ci est fondamentalement un symbole d'oppression de la femme. «Un très grand nombre de femmes musulmanes nous ont dit que leur décision de porter le foulard était à la fois volontaire et réfléchie», écrivent-ils.
Plusieurs recommandations obligeraient le gouvernement à sortir de l'argent de ses goussets pour améliorer l'intégration des nouveaux arrivants (mesures fiscales pour les entreprises en région qui recrutent des immigrants, augmentation du budget de la Commission des droits de la personne et celui des organismes d'aide aux immigrants).
Aucune recommandation formelle n'a été formulée sur la place du français. Sauf que l'insécurité des francophones est longuement décrite dans le rapport pour traduire la crise des perceptions. «La francophonie québécoise ne doit pas céder au parti de la peur, à la tentation du retrait et du rejet, ni s'installer dans la condition de victime», peut-on lire dans le rapport de 307 pages.
Les «Québécois d'ascendance canadienne-française» ont gardé une rancune face à l'omniprésence passée de l'Église catholique et la transposent aujourd'hui envers les autres religions, déplorent les deux intellectuels. L'immigrant est alors devenu un «bouc émissaire», poursuivent-ils.
L'expression «Québécois d'ascendance canadienne-française» préférée à celle de «Québécois de souche» a été tournée en ridicule plus tôt cette semaine par la chef du Parti québécois, Pauline Marois. Cela lui rappelait Elvis Gratton, le coloré personnage fédéraliste des films de Pierre Falardeau, a-t-elle lancé. Questionné par La Presse à ce sujet, M. Bouchard a dit ne pas comprendre la comparaison. «C'est neuf pour moi. Ça élargit mes références culturelles.»
Avec Laura-Julie Perreault et Martin Croteau
La commission en chiffres
307

Pages de rapport
37

Recommandations
Découlant de

900 mémoires

241 témoignages

22 forums régionaux

4 forums nationaux

31 jours d'audience

13 recherches d'experts

59 rencontres avec des experts et des leaders de groupes sociaux

31 groupes sondés

15 spécialistes dans le comité-conseil
Pour un budget global de 3,7 millions
Les principales recommandations
Le rapport Bouchard-Taylor formule 37 recommandations. Voici les principales.
- Adopter un livre blanc sur la laïcité définissant ses principes.
- Intensifier les efforts de régionalisation de l'immigration.
- Intensifier les efforts en matière de francisation et d'intégration des immigrants.
- Intensifier les efforts pour réduire le taux de chômage extrêmement élevé des Québécois nés en Afrique et établis au Québec depuis au moins cinq ans.
- Interdire aux policiers, juges, procureurs de la Couronne et gardiens de prison de porter des signes religieux.
- Permettre aux enseignants, fonctionnaires et professionnels de la santé de porter des signes religieux.
- Retirer le crucifix au-dessus du siège du président de l'Assemblée nationale.
- Abandonner la récitation de la prière au début des réunions des conseils municipaux.
- Octroyer plus de moyens à la Commission des droits de la personne et au Conseil des relations interculturelles.
- Intensifier les mesures pour accélérer le processus de reconnaissance des compétences et des diplômes acquis à l'étranger.
- Mettre sur pied un comité d'enquête indépendant pour faire la lumière sur les pratiques des ordres professionnels en matière de reconnaissance des diplômes.
- Adopter une loi ou un énoncé pour établir l'interculturalisme comme modèle devant présider aux rapports interculturels au Québec.
- Procéder à une promotion vigoureuse du nouveau cours d'éthique et de culture religieuse qui doit entrer en vigueur en septembre 2008.
Citations
Nous sommes peut-être venus près, l'année dernière, il y a deux ans, d'un vrai dérapage. Gérard Bouchard, en conférence de presse
Il n'y a aucune donnée fiable qui permette d'appuyer l'idée qu'au Québec, il y aurait plus de racisme, plus de xénophobie, ou plus de discrimination que dans d'autres sociétés. Gérard Bouchard, en conférence de presse
Ce qui se dégage de nos consultations, au-delà des fausses notes bien connues, c'est une ouverture à l'Autre. [...]
La francophonie québécoise ne doit pas céder au parti de la peur, à la tentation du retrait et du rejet, ni s'installer dans la condition de victime. Elle doit refuser le modèle de la peau de chagrin, qui est sans avenir.
Extraits du rapport


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