Une constituante avec ça ?

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L’universalisme abstrait de QS

Chef de pupitre, politique

Cet article est paru dans Les Cahiers de lecture de L'Action nationale, Volume XVI, numéro 3, Été 2022


 


Québec solidaire nous parle de l’indépendance d’un peuple absent (p. 71).


En 2021, les députés de Québec solidaire et deux représentants de communautés autochtones ont produit le document : Ce qui noue lie. L’indépendance pour l’environnement et nos cultures (Écosociété 2021). Les auteurs y déclaraient : vouloir renouer avec les « raisons fortes » de l’autodétermination en l’articulant autour de l’écologie et de la culture. Le projet de QS se présentait sous le signe d’une lutte commune des peuples autochtones et québécois, dont l’acte fondateur est la tenue d’une assemblée constituante. Quelque temps après, six chercheurs de différents horizons se sont donné la tâche d’analyser le document de Québec solidaire afin d’y trouver des pistes susceptibles de mener à l’indépendance du Québec, ou plutôt à la «souveraineté populaire», dans la terminologie solidaire. Ils ont produit : Ce qui nous délie. Leur réponse est sans ambiguïté : il n’y en a aucune...


L’impression générale qui reste après la lecture de Ce qui nous délie, c’est que Québec solidaire a voulu développer son propre créneau politique. Indépendantiste, bien sûr,c’est encore vendeur, mais reconditionné avec du matériel différent. L’indépendance est présente dans le programme de QS, mais mêlée à une foule d’autres thèmes plus actuels, plus tendances je dirais. Le parti s’abreuve de préoccupations écologiques, bien sûr, c’est dans l’air du temps, mais également autochtones ; celles-ci sont omniprésentes dans le discours solidaire, on ne jure que par les « peuples » autochtones ». (QS préfère parler de peuples plutôt que de nations, concept presque absent du vocabulaire solidaire.) On ne parle plus non plus d’indépendance du Québec, mais de souveraineté populaire. Et bien sûr, ne pas oublier la fameuse « Assemblée constituante », par laquelle les « peuples » habitant le territoire québécois diront à quoi ils veulent que ressemble leur société. À vrai dire, il semble même que cette Assemblée pourrait conclure que finalement la situation politique actuelle est idéale et n’y rien changer, si c’est ce que les « peuples » du Québec désirent...


Le projet de pays qu’élabore QS doit être soumis à trois conditions principales : une constituante, l’alliance avec les Autochtones et la distinction entre l’indépendance de l’État, au singulier, et la souveraineté des peuples, au pluriel. À priori c’est clair, mais Gilles Gagné, professeur retraité de sociologie, met un bémol à cette trompeuse clarté. Il cite QS à la page 57 : « Grâce à l’indépendance [...] le Québec sera un pays de peuples souverains et s’opposer “à l’indépendance du Québec et à la souveraineté de ses peuples”, c’est défendre le colonialisme » (p. 42) dans lequel le Canada et le Québec baignent. Mais tout cela ne peut se faire qu’en alliance avec les Autochtones.


Les auteurs notent que, sauf chez Vincent Marissal, le concept de nation est pratiquement absent du document de QS, remplacé par celui de peuple. On baigne dans la tendance postnationale...


Toujours selon Gagné, il y a donc une indépendance « unitaire » et des souverainetés plurielles. Mais comment concilier l’unitaire d’un État et le pluriel des peuples qui occupent le territoire ? Peut-être par une fédération ? Ça dépendra de la constituante... Y aurait-il une carte des souverainetés ? Ça dépendra de la constituante. Combien de peuples seront reconnus ? Encore la constituante... QS s’abreuve à « l’alliance des peuples » ou des cultures, une vision unanimiste « apparemment sans conflits de classes. L’indépendance deviendrait ainsi “un diner de gala de l’amour universel entre des peuples unitaires.” » (p. 59)


La plupart des auteurs de Ce qui nous délie soulignent, de façon plutôt caustique, l’omniprésence de la notion d’Assemblée constituante. Gagné mentionne à la page 68 : « On en vient presque à se demander si ce ne serait pas la constituante, le grand projet de QS, qui construirait des maisons bien isolées et ferait pousser des radis sans pesticides. » Pour lui, cela s’explique par le fait que QS a plusieurs clientèles qu’il doit entretenir dans leur langage respectif : indépendantistes, autochtones, écologistes, et d’autres ; autrement dit il doit ratisser large. Il promet un Québec vert, anticapitaliste, décolonisé, multiculturel, indépendant et « pluriel » une fois souverain. Mais il ne dit pas comment il réalisera tout cela. Ses instances se réfugient au besoin derrière la sacro-sainte Assemblé constituante.


André Binette traite de la délicate question autochtone et s’attarde lui aussi sur le principe d’Assemblée constituante, si cher au discours solidaire. Pour lui, « La réflexion de QS sur ce sujet qui est au cœur de son programme ne dépasse toujours pas les vœux pieux, les bonnes intentions et les banalités du jour. »   (p. 41). Cette assemblée, présentée comme une panacée apte à guérir tous les maux de notre société, est une lubie de la gauche québécoise. Cela a abouti à un échec ou à une dictature dans la plupart des pays où on l’a appliquée.


Charles Castonguay n’est pas plus indulgent envers Ruba Ghazal en ce qui concerne la question de la langue et de l’indépendance. Lui aussi ironise en évoquant : « une souriante fuite en avant sur les ailes d’une pensée magique qui carbure à des opinions et observations par trop personnelles » (p. 11). Ainsi, la députée de Mercier déplore la « bouc-émissairisation » dont sont trop souvent victimes les immigrants. Cela engendre, selon elle, une culpabilisation chez les néo-Québécois. Elle culpabilise aussi la majorité québécoise, blanche et coloniale, tout en nous invitant tous ensemble à faire l’indépendance. Castonguay se demande quelle cause elle sert. Peut-être que ce discours est essentiellement clientéliste et qu’il sert simplement à recruter de nouveaux adhérents tout en les exhortant à se distancier d’une majorité décriée comme assimilationniste et raciste.


Quoi qu’il en soit, dans une perspective solidaire, le français sera la langue commune des peuples du Québec et l’Assemblée constituante confirmera ce statut. Castonguay souligne que Ghazal n’en a que pour la majorité francophone et les nations autochtones et ne parle jamais de l’importante minorité nationale canadienne de langue anglaise.


Parlant d’élaborer une identité commune dans un Québec libre, Simon Rainville déplore l’absence de l’histoire du Québec dans la démarche de QS. On nous dit qu’il faudra bâtir ensemble, avec les premiers peuples, pour contrer le «bulldozer» de l’uniformité culturelle ; mais pour cela on semble ne tenir aucunement compte de la culture de la majorité, comme si elle n’existait pas.

On n’ose jamais suggérer que l’Histoire pourrait être le ciment ou la toile de fond, ou même le noyau dur, d’une identité commune. Ce « noyau dur » semble ne pas exister chez les partisans de ce parti.


« Est-ce qu’on peut partir de l’histoire québécoise afin de créer une identité commune ? » (p. 74) Il semble que non...


Pour Simon Rainville, tout ça est flou, vague et démontre un malaise certain de la part de QS avec la majorité historique québécoise française, comme si celle-ci n’existait pas. À la page 74, Rainville nous dit que : «Il n’y a dans tout le livre aucun rapport au temps long de notre histoire. Rien sur la Conquête, les Patriotes. Cela pourrait paraitre “revanchard”. Les solidaires préfèrent prendre davantage en compte la souffrance historique des Autochtones et des minorités.» (Il y a décidément dans le parti de Gabriel Nadeau-Dubois une fixation autochtone qu’on pourra juger sans commune mesure avec le poids démographique des autochtones au Québec : une centaine de milliers d’individus répartis en une dizaine de « nations », ou « peuples ».)


En conclusion, nous disent les auteurs, comment ériger une identité commune sans conscience historique ? Avec un universalisme abstrait semblent dire les solidaires. Dans le même ordre d’idée, ils ne disent rien sur le peuple québécois et sa culture. Il n’y en a que pour les peuples autochtones et leurs cultures. Ils ne disent rien non plus sur l’anglais et la minorité anglophone.


Le livre de QS ne parle jamais positivement de la majorité du Québec, blanche et « coloniale ». Il roule plutôt sur la repentance et les sanglots de l’homme blanc. Même la promotion du français est « aliénante et culpabilisante » pour les minorités. On ne sait pas quelle est leur vision de la culture québécoise et des relations interculturelles. Ghazal ne dit pas un mot sur l’anglicisation galopante de Montréal, qui atteint même les jeunes francophones.


Finalement le modèle de société proposé par le parti de Gabriel Nadeau-Dubois consiste en une espèce de multiculturalisme à la québécoise. Le plus grave c’est qu’on ne comprend pas trop qu’elle est la raison d’être de l’indépendance dans ce projet.


Charles Castonguay et Coll.

Ce qui nous délie. une Critique du livre de Québec solidaire

Montréal, Les éditions du Renouveau québécois, 2022, 107 pages


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