Une Charte née dans la controverse

17 avril 1982 - la Loi sur le Canada (rapatriement)


par Charles Côté - Henri Brun se souvient de l'atmosphère lourde qui pesait sur la Cour suprême quand il a plaidé au nom du gouvernement du Québec en 1982. «Les neuf juges nous ont écoutés dans un silence mortuaire, ce qui était inhabituel», dit Me Brun, professeur émérite de droit constitutionnel à l'Université Laval.
La plaidoirie de Me Brun était l'un des derniers actes du feuilleton politique et juridique qui a vu naître la Charte canadienne des droits et libertés. Feuilleton qui s'est déroulé en partie devant la Cour suprême, ce tribunal qui allait justement voir son rôle transformé par la Charte.
L'un de ses adversaires à l'époque était Me Raynold Langlois. Avocat spécialiste des affaires constitutionnelles, Me Langlois se souvient du début des années 80 comme «d'une période emballante».
Il a présidé la commission politique du Parti libéral du Québec, dont les travaux ont servi de base au Comité du NON lors du référendum de mai 1980. Un an plus tard, au printemps 1981, il se retrouve avec Me Michel Robert (aujourd'hui juge en chef du Québec) devant la Cour suprême.
Ensemble, ils défendent au nom du gouvernement fédéral la modification unilatérale de la Constitution proposée par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau.
«La Cour était très préoccupée, raconte Me Langlois. Les juges lisent les journaux comme tout le monde. Ils voyaient que le gouvernement fédéral avait neuf des 10 provinces contre lui.»
À l'époque, Me Jean K. Samson était l'un des principaux plaideurs pour le gouvernement du Québec. «Ce n'était pas une bataille entre ceux qui voulaient la protection des droits et ceux qui n'en voulaient pas, dit-il. Le problème était de savoir qui devait les protéger. C'était la question fondamentale de l'autonomie des valeurs.»
Me Samson gagne la première manche. En septembre 1981, la Cour suprême juge que la démarche fédérale avait beau être légale, elle n'était pas conforme à la pratique établie. Elle juge, à sept contre deux, qu'un «degré appréciable de consentement provincial» est nécessaire pour modifier la Constitution canadienne et condamne l'action unilatérale des autorités fédérales.
Forcé d'obtenir ce «consentement provincial», le premier ministre Pierre Trudeau convoque une conférence constitutionnelle pour le début novembre. L'histoire retiendra la nuit du 4 au 5 comme celle des «longs couteaux». Au matin du 5 novembre, le «consentement provincial» est là, mais sans le Québec.
Devant la Cour suprême, la deuxième manche commence. «Aussitôt, on a reçu la commande de retourner devant les tribunaux», se rappelle Me Brun. La question : est-ce que ce degré de consentement provincial inclut l'obligation d'avoir l'assentiment spécifique du Québec? Le 2 décembre 1982, le Cour suprême répond «non», à l'unanimité.
Entre-temps, la Charte canadienne avait été proclamée, le 17 avril 1982. «On avait de bons arguments, mais on se doutait bien que nos chances étaient très minces, dit Me Brun. Le Québec était seul. On plaidait l'inconstitutionnalité d'une Constitution qui était déjà en vigueur.»
Mais 25 ans plus tard, le débat a le don de ressurgir, selon Me Samson. «Ces jours-ci, on parle tellement de la Constitution qu'on a l'impression que le sujet est en train de renaître, dit-il. La volonté d'autonomie du Québec n'est pas disparue parce que le Parti québécois est en déroute. Il va falloir que les gens se retroussent les manches pour trouver une solution.»
Pour Me Langlois, vainqueur de cette deuxième manche, il n'y a rien à regretter. «La Charte a eu un impact extrêmement positif pour les groupes minoritaires, dit-il. Cela montre qu'elle correspondait à un besoin. Je trouve malheureux que le Québec n'ait pas été partie à l'exercice, mais les Québécois s'en sont servis, eux aussi.»


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