Perspectives

Une caisse interventionniste?

Mario Dumont n'a pas tort d'interpeller ainsi la Caisse de dépôt en ces lendemains de BCE et d'Alcan.

Économie - Québec dans le monde

L'ADQ fait un virage à 180 degrés. Elle avait pourtant appuyé le changement du mandat de la Caisse de dépôt par le gouvernement Charest. Voilà que le chef de l'opposition officielle s'ennuie aujourd'hui de l'époque où l'interventionnisme de cette institution avait pour conséquence d'amputer la valeur des titres québécois d'une «prime Québec».
Mario Dumont n'a pas tort d'interpeller ainsi la Caisse de dépôt en ces lendemains de BCE et d'Alcan. Après tout, si les grandes économies ne se gênent plus pour recourir à des mesures protectionnistes lorsque les intérêts nationaux sont en jeu, les petites économies doivent pouvoir compter sur le peu de leviers qu'elles ont à leur disposition. Et la seule institution au Québec capable de mobiliser les capitaux à grande échelle est la Caisse. Cela étant, il ne faudrait pas souhaiter un retour à cet interventionnisme tous azimuts, sans nuance, où s'entremêlaient les intérêts économiques prétendument supérieurs et les programmes politiques.
L'ADQ en a remis hier en se faisant nostalgique de l'époque où la politique de placement de la Caisse de dépôt était, en définitive, dictée par Québec. En clair, le gouvernement Charest aurait dû envoyer un signal à la Caisse pour qu'elle empêche que BCE et Alcan, des fleurons de notre économie, passent sous contrôle étranger. On s'est cependant empressé d'ajouter qu'on ne souhaite pas un remodelage du mandat de la Caisse. Ce mandat avait été modifié en 2004 par le gouvernement Charest, sous les applaudissements de Mario Dumont, afin que la contribution de l'institution au développement économique du Québec soit subordonnée à l'impératif d'un rendement optimal offert aux clients du gestionnaire de fonds de retraite.
Cet ajustement était nécessaire. Il fallait soustraire la Caisse de dépôt à l'influence politique. Après tout, la mission première de cette institution est de gérer une épargne-retraite confiée par des déposants et non des taxes et impôts dédiés au développement économique. La Caisse est fiduciaire des sommes confiées par ses déposants et redevable uniquement auprès de ses commettants. Il revient à ces derniers de définir leurs paramètres en matière de politique et de philosophie de placement.
Cette précision étant, la Caisse ne peut se cacher dans la neutralité et Mario Dumont a bien fait de le rappeler. Elle est un outil collectif de développement économique. Même diluée, cette notion est enchâssée dans sa mission originelle. Et elle peut expliquer pourquoi ses déposants sont captifs. La Caisse devrait donc avoir le réflexe de se sentir interpellée dès qu'un pan ou un pilier de l'économie québécoise devient menacé, ne serait-ce que pour imaginer ou offrir une solution de rechange le cas échéant, mais toujours si le potentiel de rendement le justifie.
Gardant cela bien en vue, il serait cependant faux de prétendre que la Caisse est demeurée les bras croisés dans le dossier BCE. Au contraire, Teachers aurait manifesté publiquement son impatience face à un placement dans BCE qui faisait du surplace depuis cinq ans après qu'elle eut appris que la société mère de Bell Canada menait des discussions en coulisse avec un consortium d'investisseurs. La Caisse de dépôt a confirmé plus tard qu'elle se retrouvait au sein d'un consortium s'intéressant au géant des télécommunications. Puis devant la surenchère qui se dessinait, et, surtout, compte tenu des tensions qui se manifestaient sur le marché du crédit à haut risque, la Caisse aurait renoncé, laissant toute la place à Teachers. Un retrait que l'on peut qualifier de judicieux en regard de la crise de liquidité qui sévit présentement. Souhaitons bonne chance à Teachers.
Dans le dossier d'Alcan, on peut déplorer que la Caisse n'ait pas envisagé une réplique à Alcoa en recourant à un chevalier blanc ou en examinant la possibilité de faire partie d'un montage au sein duquel Alcan aurait pu reprendre l'offensive sur le géant américain. Mais là encore, la suite des choses vient donner raison à la Caisse. On pense à l'entrée en scène de Rio Tinto et au dépôt d'une offre à un prix donnant le vertige dans un contexte de cours des métaux à leur sommet, au moment où l'économie américaine tangue du côté de la récession. D'autant qu'ici le gouvernement québécois pouvait jouer la carte des contrats d'électricité à tarifs préférentiels pour exiger certaines garanties, notamment en matière d'investissement et de siège social.
Bref, il faudrait peut-être laisser la Caisse faire son métier de gestionnaire de caisses de retraite. Ce qui n'empêche pas de lui rappeler, de temps à autre, qu'elle ne peut demeurer insensible lorsque les intérêts économiques du Québec sont menacés, et ce, sans compromettre son impératif de rendement. Qu'elle seule dispose de cette force financière pouvant influencer le déroulement des choses.


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