Services de santé en français

Une bataille à la Monfort au Nouveau-Brunswick

Bataille à la Monfort au Nouveau-Brunswick


Gervais, Lisa-Marie - Les francophones du Nouveau-Brunswick s'en vont en guerre et poursuivent le gouvernement du Nouveau-Brunswick. Le butin à récupérer? Leurs institutions de santé en français, menacées par l'entrée en vigueur de la nouvelle réforme en santé. Rappelant la bataille épique des Franco-ontariens pour la survie de l'hôpital Monfort, le combat engagé s'annonce long... mais prometteur.
Il y a sept ans presque jour pour jour, un petit bassin d'irréductibles Franco-ontariens criait victoire: la Cour d'appel confirmait que l'hôpital Montfort, le seul centre hospitalier francophone de l'Ontario, ne pouvait être démembré car cela constituait une menace pour la survie des francophones de la province. Il aura tout de même fallu cinq ans de débats juridiques avant que le gouvernement de Mike Harris ne capitule en décidant de ne pas contester le jugement en Cour suprême.
Confiants malgré tout, les francophones du Nouveau-Brunswick - plus précisément Égalité santé en français N-B inc. ainsi que deux requérants - viennent tout juste de s'engager dans un combat similaire. Par une poursuite déposée en octobre dernier, ils ont annoncé leur intention de croiser le fer avec le gouvernement du premier ministre Shawn Graham en contestant la validité constitutionnelle de sa réforme de la santé. Le cabinet Heenan Blaikie s'est vu confier le mandat de la poursuite, soit le même cabinet qui avait défendu la cause de l'hôpital Montfort.
«Le Nouveau-Brunswick a un statut particulier. Sa Constitution reconnaît dans la loi l'égalité des deux communautés francophone et anglophone et le droit pour elles d'avoir des institutions qui soient homogènes dans une langue», explique Michel Doucet, professeur de droit à l'Université de Moncton et avocat spécialiste des questions linguistiques. «Mais en abolissant la régie Beauséjour, la seule régie de santé francophone, la province enfreint ses obligations constitutionnelles sur le plan de l'égalité des communautés et manque à son devoir d'assurer l'épanouissement des deux communautés», a-t-il ajouté.
Récapitulons. Le 11 mars dernier, le gouvernement Graham dépose au Parlement un projet de réforme du système de santé qui propose la création de deux grandes régies qui regrouperont les huit régies déjà existantes et dont les pouvoirs seront dissous. La régie «B» a ainsi hérité des quatre régies qui étaient à prédominance anglophone, tandis que la régie «A» a pris sous son aile trois régies dites «bilingues» ayant un fort penchant francophone, de même que la régie Beauséjour, la seule régie uniquement francophone, à laquelle l'hôpital Georges-L.-Dumont - le «Monfort» des néo-brunswickois - appartenait. «Le problème avec ces deux nouvelles régies, c'est que ce ne sont pas des régies avec des normes linguistiques», a souligné Marie-Linda Lord, professeure au département d'information-communication de l'Université de Moncton. La régie A deviendrait donc bilingue de facto, ce qui en inquiète plus d'un.
Du bilinguisme à l'assimilation
«Ce qui nous préoccupe énormément, c'est que chez nous, quand on dit "bilinguisation", ça veut dire "assimilation". Il est là le problème», résume Mme Lord. Bien sûr, un certaine logique s'impose dans la répartition des régies entre la «A» et la «B», reconnaît-elle. «Mais il y a des centres de santé communautaires bilingues qui se trouvaient sur le territoire de la régie A et qui ont été annexés à la régie B, l'anglophone. C'est fait aléatoirement», a-t-elle constaté.
Elle fait remarquer que déjà, dans les hôpitaux Georges-L.-Dumont et Stella-Maris-de-Kent, de structure unilingue francophone même si des patients anglophones peuvent y être admis, la bilinguisation fait son oeuvre. La correspondance interne, les mémos, les consignes, les centres pour les chirurgies d'un jour, tout doit être désormais dans les deux langues. «Même les réceptionnistes sont maintenant tenus de répondre dans les deux langues alors qu'avant ce n'était qu'en français», a indiqué Mme Lord, soeur de l'ancien premier ministre de la province.
Les trois premières réunions du conseil d'administration de la nouvelle régie A ont eu lieu en français avec traduction simultanée pour les unilingues anglophones. Contrairement à la situation d'avant la réforme, les administrateurs ne sont plus en partie des élus bénévoles mais plutôt des personnes nommées et rémunérées par le ministre de la Santé, Michael Murphy. «On dit aussi que le CA n'a pas le droit d'élaborer des politiques, que c'est le ministre qui va les faire. Mais si on a des hôpitaux bilingues, anglophones et francophones, comment peut-on avoir une seule politique linguistique?», s'est interrogé Michel Bastarache, ancien juge à la Cour suprême et avocat conseil sur le dossier.
C'est d'ailleurs là où le bât blesse. Vulnérables devant la moindre secousse linguistique, les Acadiens ne peuvent pas accepter de perdre la gouvernance de leurs institutions. «On vient de perdre notre sentiment d'appartenance et le droit de regard sur notre développement», a soutenu pour sa part Jean-Marie Nadeau, le nouveau président de la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick. «On recrute des effectifs de peine et de misère. Et là, les médecins et les pharmaciens perdent aussi une emprise sur leur destinée parce que depuis la centralisation, il n'y a plus huit conseils, mais un seul. Comment peut-on créer un esprit de corps? On sent que sur la question de l'initiative, on va énormément perdre au change dans cette réforme.» Jusqu'ici, l'Acadie a toujours su être créative pour combler ses besoins les plus criants, croit-il. La création d'une fondation a permis de financer une maison d'hébergement pour les personnes atteintes du cancer, alors qu'il n'y en avait pas dans la région. «J'ai peur que cette nouvelle structure bilinguisante et moins acadianisée tue cet élan créatif», a-t-il insisté.
Une victoire assurée?
Les ressemblances du dossier acadien avec la saga de l'hôpital Montfort en Ontario sont frappantes. Mieux armés, les avocats sur le dossier se disent néanmoins beaucoup plus confiants de l'emporter. «On a Montfort comme précédent. Ce n'est pas allés en Cour suprême, mais toutes les décisions qui portent sur les droits de gestion des francophones sur leurs institutions vont dans le sens de notre demande. Ça me surprendrait énormément que dans le contexte de la seule province bilingue au Canada, les tribunaux soient moins généreux», a affirmé Michel Bastarache, qui a lui-même été un des artisans du statut bilingue du Nouveau-Brunswick. «Montfort n'avait pas, comme nous, de garantie dans la Constitution et la loi sur la langue d'accès.»
Selon le gouvernement du Nouveau-Brunswick, la dualité ne peut pas être permise dans le domaine de la santé. C'est d'ailleurs pour des raisons d'économie de gros sous qu'il justifie sa réforme. Michel Bastarache s'explique mal les intentions du gouvernement qui, selon lui, aurait dû savoir que la réforme en santé allait enfreindre les libertés fondamentales des francophones. «Le gouvernement a l'air de penser que le seul droit qu'on a c'est celui du citoyen à se faire servir dans sa langue. Ils se disent que ce droit-là est respecté puisque la langue d'usage de l'hôpital Georges-L.-Dumont est le français. Mais pour une raison quelconque, ils ont oublié toute la dimension des droits collectifs et culturels des francophones.»
En attendant que le gouvernement présente sa défense, l'avocat Michel Doucet s'arme de patience. «Voir sa réforme contestée devant les tribunaux n'est pas la chose la plus intéressante pour le gouvernement. Les deux parties ont donc intérêt à ce que ça procède rapidement», a-t-il indiqué. Au mieux, le procès pourrait débuter l'automne prochain.


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