La Charte des valeurs

Un West-Island de plus en plus déconnecté

Ridiculous

Tribune libre

Claude G Charron
«Ridiculous!» : dernier mot entendu de la bouche d’un jeune Anglo-Montréalais emballant les produits de mes emplettes à mon supermarché de Lachine. Gros mot tiré d’une conversation qu’il avait avec la caissière et dont il mit fin en concluant que la charte des valeurs était aussi ridicule que l’idée d’un Québec indépendant.
J’aurais plutôt pensé entendre de tels propos lors d’une des nombreuses fois où je décide de m’approvisionner au marché d’alimentation de Dorval situé tout près de chez-moi, là où les caissières nous abordent avec un gros « Aye-bonjour » Mais à tout considérer, je crois que mon jeune emballeur court plus de risques de faire découvrir ses choix politiques aux clients se présentant à une caisse de Lachine plutôt qu’à celle de Dorval.
S’il bossait à ce dernier endroit, notre jeune homme se sentirait mieux entouré, avec un personnel et une clientèle largement anglophone, ainsi qu’avec une population gagnée aux vertus du multiculturalisme. Et qui croit que l’indépendance du Québec est une affaire dépassée.
À mon sens, les propos du jeune emballeur reflètent assez bien ce que le Montréal anglophone pense de la charte des valeurs. On n’a qu’à lire le journal The Gazette et à écouter les lignes ouvertes à la radio anglaise pour conclure qu’il y a, dans ce Montréal tournant le dos au Québec, un large consensus pour discréditer la charte, et pour traiter le Parti québécois, de raciste, de xénophobe, d’islamophobe.

Pourtant, ailleurs au Québec, le débat sur la question en est un de civilisé. Comment en effet croire que les défenseurs de la charte soient racistes et xénophobes quand en font partie des universitaires aussi émérites que le sociologue Guy Rocher? Comment le croire quand s’ajoute au nombre de ses défenseurs Claire L’heureux-Dubé, ex-juge de la Cour suprême?
Comment croire que les défenseurs de cette charte soient islamophobes quand celles qui ont le plus encouragé le PQ à aller de l’avant sont d’ex-Maghrébines dont la vie était en danger quand elles vivaient dans leur pays d’origine ? Comment ne pas tendre l’oreille quand une Djemila Benhabib répète que le voile islamique est beaucoup plus un symbole politique et identitaire qu’un simple bout d’étoffe?

Le débat est bien engagé au Québec, mais il semble bien que non seulement le Montréal anglais se refuse à en faire partie mais s’y oppose carrément. Pourquoi? Il semble bien que, quand il fait allusion à l’indépendance du Québec, nous en donne la réponse le jeune emballeur de mon supermarché.
Le ROC, tout autant que le Montréal anglais, considère comme nul et non avenu tout débat de société se faisant en dehors de l’encadrement canadien. La question aurait été réglée il y a quarante-cinq ans quand le Canada anglais a répondu non au rapport préliminaire de la Commission BB prônant le biculturalisme. Et a plutôt acclamé le multiculturalisme de Trudeau.
Les droits individuels ayant dorénavant priorité sur les droits collectifs, le Québec ne devrait plus être considéré comme une nation ayant pouvoir d’intégrer les nouveaux arrivants à sa culture. Le multiculturalisme était la réponse de Trudeau à la loi 101. Est de la même volée, le refus de tout débat en ce qui concerne uns charte de la laïcité. En même temps que l’on considère comme ridicule le simple fait de penser que le Québec puisse un jour se séparer du Canada.
En septembre 1997, les conseillers municipaux de Lachine n’ont pas voulu suivre l’exemple de leurs homologues de Dorval et des autres villes du West-Island et ont refusé de voter une résolution dite « partitionniste ». En juin 2004, contrairement aux arrondissements de Dorval et du West-Island, Lachine a refusé de se séparer de Montréal.
Mais cette ville, devenue simple arrondissement de Montréal, est une enclave de « tricotés serrés » fragile à la porte du West-Island. Si, à l’ouest, la ville de Dorval a une très forte concentration de parlants anglais, l’est de Lachine l’est également avec LaSalle car cet arrondissement compte une des plus fortes concentrations de gens ayant l’anglais comme langue d’usage à la maison. À Lachine, une personne sur trois se dit obligé de travailler en anglais tandis que c’est une sur deux à LaSalle, arrondissement qui compte déjà deux fois plus de monde que Lachine.

Comment, dans un tel contexte, ne pas comprendre que le PQ n’ait aucune chance de se faire élire dans une circonscription comme Marquette dont le territoire englobe non seulement Lachine, mais une partie de LaSalle… et Dorval en totalité.
Quand je vais faire mes exercices quotidiens dans la piscine d’un grand hôtel de Dorval, je ressens les frustrations semblables à celles de mon jeune emballeur. Mais, alors que ce jeune homme trouve ridicule tant la charte des valeurs que la question de l’indépendance du Québec, je les trouve tout-à-fait sensées.
Mon plus grand émoi est de savoir que, dans tout ce pan de territoire du Québec que constituent le West-Island, Dorval, Lasalle et bien d’autres villes dites « défusionnées », il y ait une population aussi déconnectée de ce qui se passe dans le reste du Québec. Mon plus grand désarroi est de ressentir que cette population ait le pouvoir de gagner à sa manière de voir un très gros pourcentage des Néo-Québécois qui décident de résider dans cette immense portion de la métropole québécoise.
La situation est d’autant plus grave que ces c’est ici que la moyenne des revenus est le plus élevé de tout le Québec et que, à partir de ce constat, ils ont présentement une influence surdimensionnée sur les idées que se permettent d’émettre les candidats à la mairie et aux postes de conseillers dans la campagne municipale en cour.
Pas surprenant dès lors que les quatre principaux partis se prononcent contre la charte. Pas surprenant non plus qu’une recrudescence du partitionnisme réapparaît avec des gens qui prônent l’idée que Montréal devienne une cité-État indépendante du Québec dans ce Canada multiculturel.

Tout comme mon jeune emballeur quand il bosse au milieu des tricotés serrés, je me sens trop souvent isolé dans mon petit patelin. Et à la veille de ces élections municipales, je ne suis pas le seul, encore ici à Lachine, à sentir que nous ne vivons plus dans un pays normal.
Heureusement que je pourrai me ressourcer dimanche prochain en participant au grand rassemblement de la place Émilie-Gamelin afin de manifester pour que le Québec tout entier puisse, dans un avenir qu’on espère tout proche, faire les choix politiques qui semblent le mieux lui convenir.



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3 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    13 octobre 2013

    Oui, on était une poignée, une grosse poignée, quand même, pour un dimanche d'automne qui ne savait pas encore qu'il était d'automne. N'avons pas chanté Momie... du moins le temps que j'y fus.
    On n'a pas rempli la place Émilie-Gamelin.
    Mais juste pour l'intro de Emmanuel Bilodeau, on y a joui comme si on avait été 100,000, comme il nous l'a d'ailleurs annoncé, comme pour se justifier d'y avoir consacré sa présence, et le temps de faire ce grand jeu de mots, digne du grand Sol
    Il y avait aussi Michel Brûlé, qui a eu des interviews, qui ne seront pas coupées au montage.
    Et il y avait cette femme-tronc, la seule personne qui y dansa, dans son fauteuil électrique, à pleins gaz. Sûrement à l'invitation de Curzi qui tenta de nous enlever... tout sexagénaires que nous étions.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    12 octobre 2013

    C'est symbolique, l'emballeur, tout au bas de l'échelle, qui se permet de provoquer le client, en plein milieu d'un noyau de tricotés serrés! Ce qu'un Ministre du Parti Québécois, élu, ne peut pas même amorcer, au coeur de la ville de Montréal... parler de la charte sur le bout des pieds... pour ne pas provoquer Françoise et son mensonge de l'emploi perdu si foulard maintenu.
    Et oui, Émilie Gamelin, ce dimanche après-midi 14 h:http://www.youtube.com/watch?v=g45HCj7fMCQ
    Entêtés d'avenir, par Cap sur l'indépendance
    Une vingtaine d'artistes, animés par Emmanuel Bilodeau
    Espérons qu'on ne sera pas qu'une poignée à chanter: Momie, momie, how come we used to live in french here, Momie?

  • Archives de Vigile Répondre

    12 octobre 2013

    En désespoir de cause suite au sondage du Devoir montrant que l'appui à la charte des valeurs québécoises ne s'essouffle pas, Radio-Canada reprend son bâton de pèlerin en montant en épingle un reportage et une émission de radio consacrés aux "citoyens" qui insultent des femmes portant le voile.
    En vue de l'émission de cette semaine à Désautels le dimanche, à 10 h, nous vous posons la question. Comment réagiriez-vous si vous voyiez quelqu'un invectiver ou agresser une femme voilée?
    Les citoyens face aux agressions de femmes voilées.
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/10/11/007-agressions-femmes-voilees-charte-desautels.shtml