CRISE DES MIGRANTS

Un souverain égoïsme

Il est temps de remettre en question le principe de souveraineté de l’État

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Renoncer à la souveraineté, c'est renoncer à la démocratie au bénéfice des puissants. Charité bien ordonnée commence par soi-même





La souveraineté de l’État est un concept central du droit international. Il est devenu un lieu commun de désigner le traité de Westphalie, qui mit fin à la guerre de Trente Ans en 1648, comme le point de départ de la conception moderne de l’ordre mondial. En effet, l’État-nation moderne est né des cendres des guerres de religion qui déchirèrent l’Europe au XVIIe siècle. Le paradigme westphalien du droit international émergea donc comme une sorte de consensus politique au sujet des prérogatives légitimes des États. Il se caractérise notamment par trois grands attributs de la souveraineté, soit le principe de l’autodétermination politique, le principe de l’intégrité territoriale et le contrôle de l’attribution de la citoyenneté.


 

À l’ère de la mondialisation, on a fait grand cas du caractère obsolète du modèle westphalien en affirmant que les structures d’interdépendance économique et politique entre les États remettaient en cause leur capacité intégrale d’autodétermination. La crise économique d’envergure internationale qui a frappé les pays industrialisés en 2008 et révélé leur vulnérabilité interdépendante en a effectivement bien démontré la caducité.


 

Les problèmes environnementaux tels que les changements climatiques sont aussi des illustrations exemplaires des enjeux transnationaux qui exigent, en théorie, des modalités inédites de coopération internationale. Lorsque la sécurité nationale des États est mise en danger, comme ce fut le cas pendant la menace de pandémie du SRAS en 2003, on peut constater que les États souverains font preuve d’une grande coopération transnationale sans frontières. Elle s’exprime, essentiellement, dans la coordination des protocoles de sécurité mis en place dans les aéroports, tantôt pour exorciser la menace fantasmée d’une pandémie de l’Ebola, tantôt pour piéger des présumés terroristes, et tantôt pour contrôler les documents d’identité des migrants de manière si implacable que des centaines de milliers de personnes fuyant l’horreur n’ont pas d’autre choix que de prendre la mer au péril de leur vie.


 

Une détresse commune


 

Alors que 95 % des réfugiés syriens se retrouvent au Liban, en Jordanie, en Égypte, en Turquie et en Irak (selon Amnesty International), plusieurs pays d’Europe font preuve d’une fermeture indécente en invoquant, notamment, des craintes islamophobes face à ces populations en bonne partie musulmanes.


 

Toutefois, la crise des réfugiés n’est pas exclusivement un « problème européen », mais une crise internationale qui doit aussi interpeller les pays riches et puissants des autres continents, ne serait-ce qu’au nom de l’entraide humanitaire, ou d’une responsabilité causale partagée dans la dégénérescence du conflit en Syrie. Mais ce « nouvel ordre mondial », tel que le clamait Bush père en référence à l’effondrement du bloc soviétique, n’a pas réellement remis en cause la souveraineté des États. Du moins, pas en ce qui concerne le contrôle absolu de leur intégrité territoriale et de l’attribution du statut de citoyenneté. Les frontières nationales érigent toujours des murs infranchissables, tel ce mur anti-immigration construit par le gouvernement hongrois à sa frontière avec la Serbie.


 

On a fait grand cas de la distinction terminologique entre réfugié et migrant. C’est avec raison que le droit international distingue les deux statuts. Toutefois, la compréhension familière de cette distinction laisse penser que la situation des migrants est moins désespérée que celle des réfugiés. C’est souvent le cas, mais pas toujours. La situation des migrants africains qui ont traversé la Méditerranée à bord d’embarcations dérisoires pour aboutir à Lampedusa, du moins ceux qui ont survécu aux naufrages, et le phénomène des enfants non accompagnés, que leurs parents laissent voyager seuls à travers l’Amérique centrale dans l’espoir qu’ils atteindront les frontières américaines, témoignent d’une détresse commune.


 

Qui se souvient du périple tragique du Saint Louis qui, en 1939, avait à son bord plus de 900 juifs allemands en quête d’un refuge politique ? Pendant plusieurs semaines, le Saint Louis vogua sur les eaux internationales à proximité des États-Unis et du Canada en attente d’une main ouverte. Il dut retourner en Europe, où près du tiers des passagers périt finalement dans les camps de concentration.


 

La situation en 2015 est la pire crise des réfugiés depuis la Deuxième Guerre mondiale. Malheureusement, il nous faut peut-être des tragédieshautement médiatisées, comme celle des plages de Bodrum, pour faire comprendre que l’inaction collective des pays souverainement puissants de l’OCDE est véritablement meurtrière en des circonstances qui réclament une action urgente. Ainsi en est-il des frontières étanches entre les pays et de nos capacités morales et politiques de solidarité à l’ère de la « mondialisation ».


 





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