Un pingouin ou... une pingouine à la la tête de la République argentine

Par Jean-Louis Hérivault

17. Actualité archives 2007


Nestor Kirchner est président de l'Argentine depuis avril 2003, et l'élection présidentielle est prévue pour octobre 2007. Elle pourrait cependant être avancée au printemps si les sondages, qui pour le moment favorisent le locataire de la Casa Rosada, fléchissaient.

À la suite du retrait de l'ex-président Carlos Menem, qui faisait face à une défaite humiliante, Kirchner a été élu par défaut, sans opposant au deuxième tour. L'ancien gouverneur de l'État de Santa Cruz, petit État à la limite de la Patagonie (d'où son surnom de pingouin), n'avait le soutien que de 20 % de l'électorat lorsqu'il est entré en fonction.
Après presque quatre ans de pouvoir, il a réussi à stabiliser l'Argentine, en abandonnant rapidement la parité peso-dollar, et à ramener son pays dans le concert des nations en répudiant sans équivoque son lourd passé dictatorial de violence et de terrorisme. Défenseur acharné des droits de la personne, Kirchner a réduit l'influence politique de l'Église, qui s'était lourdement compromise durant la dictature militaire.
Et, en remettant les forces armées au service du pouvoir exécutif, il a redéfini le rôle des militaires qui, depuis l'indépendance, s'étaient octroyé le rôle de défenseur de la nation au-dessus des lois de la République. Les forces de sécurité, responsables du terrorisme civil qui a déchiré l'Argentine durant des années ont aussi subi une épuration complète pour retrouver leur rôle de protecteur de l'ordre public.
Les Argentins semblent reconnaissants : tous les sondages récents accordent un taux de popularité personnelle d'environ 70 % à l'homme d'État et lui promettent une majorité absolue dès le premier tour de l'élection présidentielle.
La reine Cristina

Sauf que... Nestor Kirchner est marié depuis trente ans à Cristina Fernandez qui poursuit de son côté une flamboyante carrière politique depuis les années 70. Elle-même sénatrice de l'État de Buenos Aires, elle influence avec succès et en toute légalité l'adoption des politiques présidentielles au Sénat.
Personnage charismatique et haut en couleur, elle aurait pu être candidate aux plus grands concours de beauté dans ses jeunes années. C'est probablement injure lui faire que de le mentionner, car avocate et activiste engagée, elle a plus de la pasionaria que d'une épouse passive aux côtés du président.
Elle refuse le titre de première dame de la République ou même celui de première citoyenne puisque «toutes les femmes sont égales», affirme-t-elle. Toutefois, elle ne se considère pas comme féministe, car ce serait reconnaître le machisme qui, selon elle, n'existe pas. «Ce qui existe, c'est la médiocrité», affirme-elle sans ambages. Elle pense que les politiciens sans ambition sont des médiocres et elle ne cache pas son appétit pour le pouvoir.
Il a donc fallu peu de temps pour que les rumeurs voulant qu'elle se prépare à succéder à son mari se répandent et, depuis quelques jours, cette possibilité fait partie de l'équation politique de l'Argentine. Questionné par les journalistes, le président a répondu récemment qu'il n'avait pas encore pris sa décision de se faire réélire, mais qu'il pouvait assurer que le prochain chef d'État serait un pingouin ou... une pingouine, référence sans détour aux attaches politiques de son épouse dans l'État de Santa Cruz.
Cristina Fernandez de Kirchner ne cache pas son admiration pour Hillary Clinton et suit de près le parcours de Ségolène Royal. Cependant, la reine Cristina, comme on l'appelle déjà, aura la tâche légèrement moins facile que son époux. Elle obtiendrait un peu plus de 40 % dans un premier tour et serait élue au second tour devant une opposition fractionnée, selon les derniers sondages.
Réélection prévue
Intellectuel nonchalant, affecté d'un léger strabisme, sans grand charisme dans un pays qui a toujours été victime de la personnalisation du pouvoir, Nestor Kirchner a été la surprise des élections de 2003 qui mirent fin à une série de crises politiques et économiques durant laquelle quatre présidents s'étaient succédé en moins de douze mois. Il appartient à la base militante de gauche du parti péroniste où il a rencontré sa femme dans les années 70.
Ayant échappé eux-mêmes à un enlèvement sous la dictature, les Kirchner ont vu de nombreux amis torturés ou simplement disparaître assassinés ce qui explique leur infatigable engagement en faveur du respect des droits de la personne.
Les démons de l'Argentine ne sont cependant jamais très loin et, en dépit de l'abrogation des lois d'amnistie passées par Menem au nom de la réconciliation nationale, le processus judiciaire qui doit sanctionner les crimes commis sous la dictature n'avance que très lentement.
Son plus grand succès restera la restructuration de la dette catastrophique de l'Argentine au prix d'une cessation de paiement et du retour à un peso dévalué de 70 %. Après cette période houleuse, l'Argentine a retrouvé une croissance économique de 9 % et une inflation en dessous de 10 %. Mais si la classe moyenne semble mieux vivre, seulement 50 % des emplois sont déclarés, et la moitié des habitants du grand Buenos Aires, qui en compte 12 millions, vivent dans des bidonvilles à la périphérie, largement en dessous du seuil de pauvreté.
Sur le plan social, il a poussé une réforme de l'éducation qui devrait donner une plus grande accessibilité au système aux masses inéduquées et une généreuse réforme du système de pensions du secteur public qui devrait assurer un peu plus de sécurité aux fonctionnaires à la retraite. Si on y ajoute un programme de travaux publics très visible, dont un projet de train à haute vitesse entre Buenos Aires et Cordoba, c'est la recette parfaite pour une réélection facile pour l'un des deux locataires de la Casa Rosada.
L'axe Caracas-Buenos Aires
La restructuration de la dette apporte un répit à l'Argentine, mais reste fragile et, en fin stratège, Kirchner s'est fait l'avocat de l'entrée du Venezuela dans le Mercosur. Hugo Chavez a donc été reçu avec le tapis rouge lors du XXXe sommet de l'organisation tenu à Cordoba fin juillet. En échange, le Venezuela a prêté 2,5 milliards à l'Argentine, ce qui la libère en partie de ses créanciers traditionnels avec qui elle entretient toujours de tumultueuses relations.
Chavez est arrivé à Cordoba en compagnie de son fidèle Fidel Castro sous l'oeil morose du président brésilien Lula da Silva. Quelques jours plus tard, l'Argentine annonçait la signature d'un important contrat d'achat d'armes à la Russie alors que Chavez venait de quitter Moscou. L'axe Caracas-Buenos Aires devient donc l'axe politique central en Amérique du Sud, ce qui ne manque pas de faire sourciller Washington, déjà peu impressionné par les diatribes du président vénézuélien, sans parler des états andins qui se montrent prudents.
Souvent critiquée par ses voisins pour être plus tournée vers Paris, Madrid ou Londres, l'Argentine est en train de prendre une place en Amérique du Sud qu'elle n'a jamais eue auparavant. Si Cristina Kirchner succède à son mari, celui-ci pourrait revenir à la tête de l'État pour deux mandats en 2011. Le kirchnerisme pourrait fort bien marquer l'Argentine de façon permanente et lui permettre de tourner définitivement la page sur 70 ans de nombrilisme, de terrorisme et de décadence économique. Et tout cela grâce à un couple de pingouins...
Jean-Louis Hérivault
_ Ancien délégué du Québec à Toronto et à Vancouver, de retour d'un séjour en Argentine


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