Un «nouveau Bretton Woods»?

Crise mondiale — crise financière

Pour tenter d'éviter la catastrophe à la suite de l'écroulement d'importants piliers du secteur financier à l'échelle mondiale, on a vu les pouvoirs publics de l'ensemble des pays intervenir massivement dans diverses opérations de sauvetage, comme le rachat de titres, la création d'énormes quantités de liquidités, la baisse des taux d'intérêt et les nationalisations. Ces mesures ont été sans effet sur les marchés boursiers qui ont continué à piquer du nez pour retrouver leurs niveaux d'avant 2003, alors que la crise financière se propageait à l'économie réelle et annonçait une récession mondiale.
Pour juger de l'état de la situation, il faut souligner que l'économie mondiale souffre d'une grave endémie systémique qui est le résultat de trente années de néolibéralisme, à savoir l'hypertrophie de son secteur financier, lieu naturel du déploiement du capital fictif, de la spéculation, de la recherche par des moyens douteux du rendement maximum à court terme, de la manipulation et de la fraude. De 5,2 % en 1980, la part du secteur financier dans la capitalisation boursière a presque quintuplé aux États-Unis pour atteindre 23,5 % en 2007 (The Economist, 16 octobre 2008). À l'échelle mondiale, la valeur des produits dérivés atteignait à la même date jusqu'à cinq fois celle des marchés boursiers et obligataires et dix fois le PIB mondial.
Cela démontre que la majeure partie du capital se trouve investie dans des opérations qui ont peu à voir avec l'économie réelle, des opérations sur des titres dont le prix fluctue au gré des mouvements spéculatifs et qui reposent sur un endettement prohibitif. Le développement à grande échelle du marché du crédit à l'extérieur du système bancaire réglementé, en raison de la place croissante occupée par les fonds spéculatifs (hedge funds) et les fonds de capitaux privés non cotés en Bourse (private equity funds), a largement contribué à son dérèglement. La panique des fonds spéculatifs pressés de liquider des actifs s'élevant à 1800 milliards de dollars au début de la crise a significativement intensifié le mouvement de chute des cours boursiers au cours des dernières semaines.
«En vérité, les événements d'aujourd'hui sont si dramatiques qu'ils en incitent plusieurs à remettre en question l'architecture complète des marchés des capitaux qui a émergé au cours de la dernière décennie», écrivait le Financial Times le 25 janvier dernier. Il poursuivait en citant le gestionnaire milliardaire de fonds spéculatifs, George Soros: «Ce n'est pas une crise normale, mais la fin d'une époque.»
De véritables réformes sont-elles plausibles?
Atterrés par l'état des marchés financiers et boursiers, les dirigeants politiques cherchent des voies de sortie. Certains ont parlé d'une nécessaire réforme du capitalisme mondial, d'un «nouveau Bretton Woods», etc.
Puisque l'hypothèse d'un «nouveau Bretton Woods» a été évoquée, rappelons que la conférence de Bretton Woods dans le New Hampshire aux États-Unis en 1944 avait réuni les pays vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale afin de mettre sur pied un nouveau système monétaire international. Deux projets y avaient été soumis, celui de l'économiste britannique John Maynard Keynes et celui de l'économiste du Trésor des États-Unis, Harry Dexter White.
Le plan Keynes proposait la création, au-dessus des monnaies nationales, d'une monnaie internationale dont l'émission serait régie par une autorité monétaire supranationale, une banque mondiale, ou banque centrale des banques centrales, qui deviendrait en quelque sorte le pivot d'un futur gouvernement économique du monde. Il prévoyait également un contrôle mondial des prix et des stocks de matières premières. L'autorité monétaire prévue par le plan Keynes aurait été une «Union internationale de clearing», c'est-à-dire une chambre de compensation des paiements internationaux. Jouant au niveau mondial un rôle équivalent à celui que joue toute banque centrale nationale à l'intérieur d'un pays, elle aurait disposé d'importants pouvoirs supranationaux par sa capacité de détenir des dépôts et d'octroyer des crédits, de créer les liquidités nécessaires aux échanges entre les pays.
Formes de coopération
Un excédent commercial d'un pays aurait été inscrit sous la forme d'un crédit dans ses livres; un déficit aurait été inscrit sous la forme d'un débit. Contrairement à tout système bancaire cependant, l'Union de clearing aurait exigé le paiement d'un intérêt, non seulement sur les comptes déficitaires, mais également sur les comptes excédentaires, affirmant le principe de la responsabilité conjointe des pays déficitaires et des pays excédentaires dans l'existence d'un déséquilibre, et du partage nécessaire de leurs efforts en vue d'éliminer les surplus des uns qui sont simultanément les déficits des autres.
Il va sans dire que les États-Unis n'étaient pas disposés à accepter un tel système qui les aurait privés d'une partie du contrôle qu'ils étaient alors en mesure d'exercer sur le monde. Leur puissance économique et militaire hégémonique au sortir de la guerre a donc imposé le plan White, qui a donné lieu au système de Bretton Woods, dans lequel la monnaie nationale des États-Unis, le dollar, allait jouer le rôle de monnaie internationale et où l'institution internationale mise sur pied pour veiller au fonctionnement du système, le Fonds monétaire international (FMI), allait être dominée par les États-Unis. Cette institution qu'est le FMI n'a rien de la banque centrale supranationale que proposait le plan Keynes. L'institution qui allait jouer le rôle d'émission de monnaie «internationale», allait être la banque centrale des États-Unis, la Réserve fédérale, émettrice de dollars.
Peut-on imaginer qu'un débat de ce type soit relancé aujourd'hui et que l'on puisse en espérer des résultats réels? Peut-on imaginer que des pays profondément ancrés dans un esprit de concurrence et motivés par la seule défense de leurs intérêts propres, particulièrement les plus puissants d'entre eux, puissent sérieusement s'engager dans un processus dont la finalité serait de mettre en place de véritables formes de coopération qui signifieraient l'abandon de leviers clés de leur développement autonome, et de procéder à une purge sévère absolument nécessaire de ce secteur financier de plus en plus parasitaire qui maintient dans un péril permanent une économie réelle soumise à ses aléas? Poser ces questions n'est-il pas y répondre?
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Louis Gill, Économiste et professeur retraité de l'UQAM


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