Québec vs Ontario

Un excellent rapport qualité/prix

Budget Québec 2010


Le Québec face à ses défis, c’est le titre du rapport publié mardi pour préparer les esprits aux choix budgétaires douloureux qu’annoncera, au printemps, le ministre des Finances Raymond Bachand. Dans Le Devoir de ce mercredi, Jean-Robert Sansfaçon dénonce le texte comme partisan et décevant. Il n’a pas tort, j’y reviens.
Cependant il est instructif. Il démontre paradoxalement que les Québécois se sont donnés beaucoup plus de services que leurs voisins ontariens, à un coût plus que raisonnable. Voyons les chiffres:
Plus de services qu’en Ontario. Le rapport réalise en détails un travail que j’appelle de mes vœux depuis des années: une vraie recension de ce que l’État québécois offre à ses citoyens de plus que l’État ontarien. Il calcule que les Québécois reçoivent chaque année pour 17,5 milliards de services de plus que les Ontariens, soit 26% de plus, ce qui est énorme. Toute l’activité sociale et économique du Québec profite de ces dépenses. Dans l’ordre: Famille et services sociaux (5,5 milliards, garderies et hébergement d’aînés), transports (4, réseau routier et infrastructure), industrie (les crédits d’impôts, les régions, 1,8), santé (1,5, assurance-médicament) et éducation (1,5, frais de scolarité). Les économistes n’ont trouvé que 162 pauvres millions de dollars offerts par le gouvernement ontarien à leurs citoyens pour des services non disponibles au Québec (mais ne donne pas de détail).
Enfin la réponse à la question: on paie d’avantage, mais en a-t-on pour notre argent? Donc nous avons 26% de services de plus que nos voisins, 17,5 milliards. Combien cela nous coûte-t-il ? 17,5 milliards de plus ? Ce serait équitable. Pas du tout. Le rapport répond que notre facture fiscale est de 2,6% de notre PIB de plus que ce que paient les Ontariens, donc environ 7 milliards. Bref, pour un investissement de 7 milliards, nous recevons des services pour 17,5 milliards. Un rendement de 250% !
En termes de différence globale sur l’impôt des particuliers: les Québécois ne versent qu’un écart de 1 point de pourcentage (14,1% du PIB au Québec, 13,1% en Ontario). Cela n’a pas frappé les plumes de droite, mais lorsqu’on accepte de payer davantage pour avoir davantage de services, le rapport qualité/prix ou du moins quantité/prix est remarquable. Évidemment, il y a la dette. J’y reviens.
Les libéraux de Jean Charest sont les grands responsables. Un tableau fort instructif démontre que le gouvernement Bouchard (transparence totale: j’étais son conseiller) avait fait augmenter l’écart Québec/Ontario en termes de services à la population de 7,5 milliards à son arrivée à 9,5 à son départ. Mais le gouvernement Charest l’a, depuis, propulsé de 9,5 à 17,5. Je ne dis pas qu’ils ont eu tort, mais je constate que s’ils en sont aujourd’hui marris, ils ne peuvent pointer le doigt que vers eux-mêmes.
A quoi ces services servent-ils, concrètement? La présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, en donne une bonne et partielle illustration dans une tribune publiée mercredi dans Le Devoir. La plupart de ses exemples, mais pas tous, sont spécifiques au Québec et non disponibles en Ontario:

Chaque année 113 449 personnes profitent de l’assurance parentale, 535 000 ménages touchent la prime au travail accordée aux gagne-petit, 1,8 [milliards] de dollars servent à diminuer les coûts des services de garde, 139 000 étudiants inscrits aux études supérieures reçoivent de l’aide de l’État, plus de 5 millions de jours d’hospitalisation sont offerts gratuitement, 1 550 000 personnes touchent un chèque de la Régie des rentes du Québec — et c’est souvent une bonne part de leur revenu de retraite —, plus de 287 000 personnes fréquentent l’éducation des adultes, 2,7 milliards de dollars sont consacrés par Emploi Québec à la formation de la main-d’oeuvre afin de préserver l’employabilité et les emplois. Enfin, plus de 200 villages ont eu besoin de l’aide du gouvernement du Québec, parce que frappés de plein fouet par la crise forestière. Il s’agit de quelques exemples seulement illustrant l’importance de la capacité d’agir de l’État.

De bizarres omissions. Le rapport affiche un tableau montrant que l’impôt des sociétés est plus important au Québec (9,2% du PIB) qu’en Ontario (7,7%). Je ne le conteste pas. Mais ce chiffre a été choisi pour démontrer qu’on ne peut pas demander davantage aux entreprises dans l’effort à venir pour redresser les finances publiques. Mais on s’étonne que l’information ne soit pas complétée par le travail beaucoup plus pointu effectué l’an dernier pour le Québec par un des signataires, Pierre Fortin. Son rapport sur l’investissement indiquait que le critère essentiel pour la création de richesse n’est pas le taux d’imposition brut mais le TEMI: le Taux effectif d’imposition de l’investissement qui offre une vue globale de la fiscalité et des crédits d’impôt. Le Québec a fait chuter le sien de 34 % en 1998 à 24% en 2008 et prévoit le réduire à 16,2 % en 2012. Ce taux rendra le Québec en 2012 nettement plus compétitif que les États-Unis (36,9) et le reste du Canada (26,6).
L’autre omission significative porte sur le fardeau fiscal des particuliers. Le rapport indique que le Québec ne dispose que “d’une marge de manœuvre fort réduite” par rapport à nos voisins, dont les taux sont plus bas. Aucune mention n’est faite de l’augmentation des taux marginaux aux États-Unis d’Obama, ce qui donne un peu de marge au Québec chez les très hauts revenus, ou du fait qu’Ottawa dispose d’une tranche d’impôt supérieure à celle du Québec. Aucune référence non plus au travail remarqué d’un des signataires du rapport, que le Québec offre à ses habitants un fardeau fiscal net qui « se compare avantageusement avec celui de la moyenne des pays du G7 », donc des sept pays les plus riches. Il calculait notamment que, pour la très grande majorité des familles, l’État québécois est moins vorace que tous les autres, y compris les États-Unis. C’est qu’au lieu de présenter un graphique brut de ce que l’État perçoit, comme le fait le rapport, son étude de 2008 tenait compte aussi de ce que l’État redistribue. Sinon, ça n’a pas de sens.
Le rapport souligne que l’Ontario produit davantage de richesse par habitant que le Québec et note bizarrement que “l’écart se maintient” alors que son propre graphique montre qu’il s’est réduit, passant de 19% en 1991 à 14% en 2008, soit une vitesse de réduction de 0,3 points de pourcentage par an, dont on sait qu’il se prolongera au moins en 2009. Nulle trace des travaux de Pierre Fortin affirmant que le niveau de vie moyen québécois et ontarien sont, selon ses termes, “à parité”. Il vaut la peine de citer la conclusion de son étude de mai dernier à ce sujet.
La synthèse des faits que j’ai présentée a établi que le Québec est aujourd’hui aussi riche et moins inégalitaire que l’Ontario. Par la même occasion, il est apparu que le rendement comparatif du Québec n’est pas le fruit du hasard, mais bien le résultat de politiques à long terme bien conçues et persévérantes : la révolution éducative, des relations de travail saines, la progressivité de l’impôt, la stabilité et le renforcement de la politique sociale. Il en ressort également que moins de pauvreté et d’inégalités n’entraîne pas nécessairement moins de prospérité et plus de chômage. Le Québec offre un bel exemple du contraire, et c’est tant mieux. (Présentation au Congrès annuel de la Société québécoise de science politique, Ottawa 28 mai 2009)

Personne ne nie que le PIB par habitant soit au Québec en retrait de l’ontarien, même si cet écart se rétrécit sur la trajectoire actuelle (donc le coureur québécois, à l’arrière, court plus vite que l’ontarien, à l’avant) et qu’il disparaît lorsqu’on examine, comme le fait Pierre Fortin, le niveau de vie réel des citoyens. Mais le rapport ne fait pas cette distinction, pourtant essentielle.
Au moins, le rapport terrasse un mythe répandu, celui des tranferts fédéraux: Le Québec ne paie pas sa générosité social-démocrate aux frais du reste du Canada, via les transferts, affirment les auteurs. “Même en soustrayant la contribution provenant des transferts, le Québec assume davantage de dépenses que les autres provinces.” Nous sommes donc, pour l’essentiel, maître chez nous en matière de choix sociaux.
La dette. Le rapport démontre que le poids relatif de la mauvaise dette (venue des déficits cumulés, plutôt que des investissements) sur l’économie québécoise fut en régression de son point fort de 1998 (42% du PIB) à l’heure actuelle (34%), avec un risque de remontée d’ici peu. A contrario du ton général du rapport, ces chiffres démontrent donc que la situation s’est améliorée alors même que le Québec se dotait de davantage de services que l’Ontario.
On peut chipoter tant qu’on veut sur ce qui constitue une bonne et une mauvaise dette, mais le fait reste que l’État québécois doit payer pour son service de la dette et que les taux d’intérêts historiquement bas en vigueur aujourd’hui ne seront pas maintenus indéfiniment. Il y a donc un vrai problème de finances publiques devant nous. Si les taux d’intérêts devaient augmenter de 4% — ce qui est loin d’être improbable — la facture annuelle pour le Québec serait de 6 milliards par an à terme. Bref, un déficit assuré.
La crise des finances publiques. Rien de ce qui précède ne doit nous détourner du fait que les finances publiques québécoises sont en effet dans un état précaire qui justifie des actions correctrices importantes. Les auteurs ont raison de souligner que des défis nouveaux et couteux se profilent à l’horizon sur les sujets de la santé, de la démographie et, ajouterais-je, de coûts environnementaux imprévus. On peut discuter de la qualité des projections et des hypothèses. Mais le principe de précaution doit être appliqué, là comme ailleurs.
Cependant il est clair que le document qu’on nous présente a pour but d’écarter de la gamme des réponses possibles une augmentation du fardeau fiscal des Québécois les plus riches (qui, soulignons le, bénéficient entre autres des tarifs de garderie, d’électricité, de frais de scolarité, etc, les plus bas sur le continent). Le document veut au contraire nous convaincre que toutes les issues sont fermées, sauf de procéder à des hausses de tarifs, notamment électriques, de scolarité et autres, et à des baisses de services. Ce n’est pas clairement exprimé dans ce rapport, qui n’est que le premier d’une série. Mais le sillon est tracé.
Que des économistes libéraux, au sens économique, tel que Robert Gagné et Claude Montmarquette, en soient signataires tombe sous le sens. Ils sont partisans du moins d’État. Les signatures de Pierre Fortin et de Luc Godbout, généralement plus équilibrés dans leur approche, est plus étonnante. Le vrai test de cohésion de cet attelage viendra cependant lors de la formulation des remèdes, dans leurs prochains rapports. Ce devrait être divertissant. Comme vous, j’ai hâte !

Squared

Jean-François Lisée296 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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