Un ex-ambassadeur fustige Harper

Politique étrangère et Militarisation du Canada


En appuyant Israël dans la guerre au Liban, le Canada renie 60 ans de diplomatie au Moyen-Orient et risque de s'engager dans un «engrenage dont on ne pourra plus sortir», estime Michel de Salaberry, qui a été ambassadeur du Canada en Égypte, en Jordanie et en Iran.
«Il y a une question stratégique: est-ce qu'on impose un règlement par la force ou est-ce qu'on trouve un compromis politique? Plus on use de la force, plus on crée d'ennemis et plus on a besoin de force. La stratégie des néoconservateurs (américains) est un engrenage dont on ne pourra pas sortir. Même les Américains ne sont pas assez puissants pour occuper le Moyen-Orient entier, et c'est dans un processus comme celui-là que le Canada risque de s'engager.»
Selon l'ex-diplomate, le Canada n'est peut-être plus capable aujourd'hui de jouer un rôle de médiateur au Moyen-Orient, parce qu'il s'est rangé du côté d'Israël dans son intervention au sud du Liban pour contrer le Hezbollah.
Le 12 juillet dernier, la milice islamiste Hezbollah a enlevé deux soldats israéliens. Israël a répliqué en bombardant le sud du Liban, faisant jusqu'ici près de 1000 morts, des milliers de blessés et des centaines de milliers de réfugiés. Le Hezbollah, de son côté, a lancé des centaines de roquettes sur Israël, tuant 30 civils et en blessant 600. Selon le plus récent bilan, Israël a perdu 44 soldats dans le conflit.
La plupart des pays du monde, dont de nombreux pays arabes, ont blâmé le Hezbollah pour avoir déclenché le conflit. Mais le monde est divisé sur la riposte d'Israël.
Peu après le début du conflit, le premier ministre Stephen Harper a déclaré que la riposte d'Israël était «mesurée». Il refuse d'exiger un cessez-le-feu immédiat alors que d'autres pays, dont la France, l'ont fait depuis le début.
«Entre dire que le conflit est la faute du Hezbollah et dire que la réplique d'Israël est mesurée, il y a une marge», dit M. de Salaberry.
M. de Salaberry a pris sa retraite à la fin de 2004 après 30 années de diplomatie au Moyen-Orient et dans le monde arabe. Il était alors ambassadeur en Égypte. Au cours des années, il a occupé d'autres postes, en Jordanie, en Iran, en Algérie, en Israël et en Palestine.
Il a aussi fait une incursion en politique: en 1992, il a été brièvement chef de cabinet de Joe Clark, alors ministre des Affaires constitutionnelles. Mais il n'est membre d'aucun parti politique actuellement.
Selon lui, la politique canadienne d'appui à Israël dans son intervention au Liban marque une rupture. Depuis 60 ans, le Canada a toujours recherché activement le compromis et la résolution pacifique des conflits au Moyen-Orient, dit-il. Et ce rôle a valu au Canada son seul prix Nobel de la paix, attribué en 1957 au premier ministre Lester B. Pearson.
«C'est un juge canadien qui a présidé en 1947 la Commission sur l'avenir de la Palestine, dit-il. C'est ce juge, Ivan Rand, de la Cour suprême du Canada, qui a formulé le compromis qui a partagé la Palestine britannique entre Israël et la Jordanie.
«C'est aussi un Canadien qui a fondé l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, dit-il. Et la première mission des Casques bleus de l'ONU, créés par Pearson, a été de maintenir la paix en 1956 en Égypte.»
Les archives des Nations unies révèlent aussi que le Canada fut l'un des sept pays qui ont proposé l'admission d'Israël aux Nations unies en mai 1949. Dans les mois précédents, le Canada avait joué un rôle central aux Nations unies dans la négociation d'un armistice après la guerre d'indépendance d'Israël, en 1948.
Mais ne peut-on pas dire que cette politique du compromis a été un échec, avec la persistance du conflit au Moyen-Orient? M. de Salaberry ne le croit pas. «Il n'y a pas eu de solution définitive au problème, mais la région et la planète se portent mieux aujourd'hui que s'il n'y avait pas eu, dans le passé, d'intervention canadienne basée sur la recherche de compromis», dit-il.
Selon M. de Salaberry, c'est peut-être ici, au Canada, que la politique étrangère du gouvernement Harper au Moyen-Orient pourrait faire le plus de mal. «Il y a des centaines de milliers de Canadiens qui sont originaires de la région, dit-il. Évidemment, les prises de position du gouvernement ont un impact plutôt négatif sur la convivialité canadienne.»


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