Un départ en lion

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Pourquoi Josée Legault tente-t-elle de temporiser la position de la CAQ ?

Personne ne l’avait vu venir. À peine 48 heures après sa victoire majoritaire, la CAQ de François Legault choisit d’inaugurer son premier mandat sur une question particulièrement épineuse.


Tel que promis dans leur plateforme, les caquistes annoncent leur intention d’interdire le port de signes religieux aux enseignants, juges, policiers et gardiens de prison.


Les « récalcitrants » risqueraient même le congédiement. Bref, c’est un Bouchard-Taylor avec extra. Selon le député Simon Jolin-Barrette, si jamais cette loi, une fois adoptée, tombait devant les tribunaux, un recours à la clause dérogatoire serait envisagé. (La clause de dérogation, dite aussi « nonobstant », permet à un gouvernement de « protéger » une loi invalidée par les tribunaux.)


Il n’en fallait pas plus pour replonger dans le très mauvais vaudeville de la charte des valeurs de Pauline Marois. Ses anciens partisans criant déjà victoire. À l’opposé, d’autres faisant des crises d’apoplexie à la seule mention du mot « dérogatoire ».


Je suis plutôt d’avis que sur le temps, le long processus menant à l’adoption éventuelle d’une loi sur la laïcité finira par accoucher d’une vision beaucoup plus nuancée. Ce serait d’ailleurs une excellente chose pour le « vivre ensemble ».


Long processus


Le Québec, après tout, n’est pas la France. De toute manière, d’ici là, il y aura de la résistance et des manifs. Une fois adoptée, la loi sera contestée devant les cours, c’est certain. C’est pourquoi il faut saluer la clarté rafraîchissante de Simon Jolin-Barrette.


Aux antipodes de la diabolisation hystérique de la clause dérogatoire à laquelle se sont livrés les gouvernements péquistes et libéraux depuis plus de 20 ans, il rappelle enfin un élément essentiel. Soit que cette clause est tout à fait légitime et constitutionnelle.


Elle est inscrite dans les deux chartes des droits et libertés – la québécoise (art. 52) et la canadienne (art. 33). Son objectif est de sauvegarder la souveraineté des parlements face aux tribunaux lorsqu’un gouvernement juge que l’intérêt public le commande.


Flexibilité


Il n’est pas dit non plus que cette loi tomberait devant la Cour suprême. On est encore loin de la coupe de la laïcité aux lèvres des juges. Sur le plan tactique, c’est une autre histoire. J’avancerais qu’en marquant son arrivée au pouvoir du sceau de la laïcité, François Legault cherche surtout à marquer son propre territoire politique.


Cette annonce rapide lui permet de distinguer son gouvernement de celui des libéraux, inactifs sur ce front depuis 10 ans. D’avoir réussi en même temps à soulever l’agacement chez Justin Trudeau ne fait que renforcer cette différenciation.


Du même coup, M. Legault se démarque clairement de la défunte charte des valeurs. Laquelle, nettement plus dogmatique, proposait d’interdire les signes religieux à tous les employés de l’État.


Sur une question aussi sensible, l’important pour le nouveau gouvernement sera de procéder avec patience, flexibilité et écoute. Y compris, sauf pour les libéraux intraitables sur le sujet, avec les partis d’opposition. Pour François Legault, cette flexibilité sera impérative. D’autant plus qu’il n’y a pas de « crise » au Québec quant au port de signes religieux par les agents de l’État.