Élu avec une confortable majorité il y a à peine cinq mois, le gouvernement Couillard vacille déjà sur ses bases, et le potentiel de dégradation de la situation est davantage typique d’une fin de mandat que d’un début. Tout indique que les Libéraux vont regretter d’avoir repris le pouvoir aussi rapidement.
En effet, en plus de se retrouver à gérer la pire crise des finances publiques de l’histoire et à assumer toute l’impopularité que génère obligatoirement ce genre d’exercice, le gouvernement Couillard a accumulé les gaffes depuis son entrée en fonction, et il est pris en outre avec le lourd héritage du gouvernement Charest.
Le Parti Libéral ayant été aux commandes de l’État dix des douze dernières années, et en faisant le constat qu’il s’agit d’un problème structurel, le gouvernement Couillard peut difficilement blâmer le PQ pour la crise des finances publiques. Plusieurs ministres actuels, y compris Philippe Couillard, ont servi sous Jean Charest. Il leur est donc impossible de se dégager de toute responsabilité. Non seulement ont-ils vu venir la crise, ils y ont contribué.
Au chapitre des gaffes, jamais n’a-t-on vu s’en commettre autant si rapidement, et d’aussi lourdes.
La première n’a été relevée par personne. Elle joue pourtant un rôle important dans la suite des choses. En effet, elle est survenue dès la formation du gouvernement lorsque la décision a été prise de confier un portefeuille ministériel au Dr Yves Bolduc.
Normalement, ces nominations sont faites à l’issue d’une vérification diligente à laquelle participent le comité de transition, le cabinet du premier ministre et le secrétariat du Conseil exécutif. La vérification a-t-elle été faite ? Yves Bolduc a-t-il mentionné de lui-même avoir reçu une prime. Si non, la vérification a-t-elle permis de révéler son versement ? Le premier ministre a-t-il été informé du risque politique que posait ce versement s’il nommait le Dr Yves Bolduc au conseil des ministres ?
À ce stade-ci, il s’agit de déterminer s’il s’agit d’une erreur dont le premier ministre se trouve de toute façon à être responsable du simple fait de ses fonctions et de son autorité sur son cabinet et le secrétariat du Conseil exécutif, ou s’il s’agit d’un manque de jugement de sa part dans la mesure où il aurait été prévenu du risque et aurait malgré tout décidé de le courir. Dans un cas comme dans l’autre, il y a gaffe. Dans le second cas, la gravité de la gaffe est plus grande.
La gaffe suivante survient dans la façon de gérer la situation une fois que la première éclate au grand jour. Sans doute par esprit de solidarité entre médecins, Couillard, premier ministre, et Barrette, ministre de la Santé et des services sociaux, se portent à la défense de leur confrère et collègue Bolduc sans voir ce que sa position a d’indéfendable autant sur le plan de l’éthique que de l’intégrité du système de santé.
Ils aggravent leur cas en persistant à le défendre après l’intervention de Claude Castonguay, un ancien ministre Libéral et le père de notre régime d’assurance-maladie. Barrette aggrave encore le sien en affichant un manque total de respect pour Claude Castonguay qu’il envoie paître sans ménagement.
Alors que le gouvernement croyait que la controverse allait s’éteindre avec l’été, la voici qui surgit de plus belle avec la reprise des travaux parlementaires. En deux jours, elle a pris de telles proportions que Gilbert Lavoie du Soleil, certainement un des chroniqueurs politiques les plus avertis du Québec, qui a en outre l’avantage d’avoir vécu la politique de l’intérieur lorsqu’il était conseiller de l’ancien premier ministre Mulroney, suggérait hier que « Yves Bolduc doit quitter le cabinet ».
Son verdict est sans appel. Ses mots sont cruels mais justes :
« L'émotion avec laquelle Yves Bolduc défend son comportement illustre bien à quel point cette controverse l'atteint. Cette émotion est telle qu'il s'enlise dans de nouvelles controverses, en déclarant par exemple que si tous les médecins du Québec travaillaient autant que lui, il n'y aurait pas de problème d'accès dans les cliniques.
Les collègues de M. Bolduc se sont portés à sa défense. C'est normal dans un contexte partisan. Mais les arguments invoqués et la confiance que lui a réitérée Philippe Couillard n'enlèvent rien au malaise que tout cela a créé au sein de la députation libérale.
M. Bolduc n'est plus l'homme de la situation à la tête d'un ministère aussi important que l'Éducation. Il ne fait aucun doute que le premier ministre l'enverrait dans un poste moins stratégique s'il y avait un remaniement ministériel en vue, mais ce n'est pas le cas. La décision qui s'impose ne peut donc venir que du ministre lui-même.
C'est terriblement pénible, pour un politicien, de s'engager dans une telle réflexion, mais il n'a pas le choix. L'ancien ministre libéral David Whissell a démissionné du cabinet de Jean Charest, en 2009, pour clore la controverse causée par le fait qu'il était copropriétaire d'une entreprise qui avait des contrats du gouvernement. J'avais écrit à l'époque qu'il devait «choisir entre l'asphalte et sa limousine». On ne publie pas ce genre de chronique à la légère, surtout à l'endroit de politiciens au demeurant fort sympathiques. Yves Bolduc se retrouve aujourd'hui dans une situation similaire à celle de M. Whissell. Ce sera moins humiliant s'il prend lui-même la décision qui s'impose, au lieu de se faire dire par son chef dans six mois ou un an qu'il doit retourner sur les banquettes arrière.
Et s'il est vrai, comme il le répète constamment, qu'il y a un tel besoin de médecins au Québec, c'est peut-être là qu'il serait le plus utile. Il y a très certainement, parmi les 1500 patients qu'il a inscrits, bien des gens qui aimeraient retrouver leur médecin de famille. Et comme c'est un bourreau de travail, il n'a pas besoin de démissionner et de provoquer des élections complémentaires coûteuses et inutiles pour reprendre sa pratique. » [Mes caractères gras]
Quiconque le moindrement au fait des moeurs politiques de la Grande-Allée, et des rapports entre les journalistes et les partis politiques à l’Assemblée Nationale, comprend immédiatement, à la lecture de ce texte, que son contenu a été fortement inspiré par le cabinet du premier ministre dont Gilbert Lavoie accepte de se faire ici l’intermédiaire complaisant.
Il faut donc s’attendre à voir le cas Bolduc se régler d’ici quelques jours, le temps que quelques uns de ses conseillers et amis lui fassent comprendre que sa carrière politique est maintenant derrière lui et qu’on souhaite qu’il parte sans esclandre. Lavoie lui dit même comment faire.
Mais même en supposant que Bolduc obtempère sans rechigner, ce qui n’est pas nécessairement acquis, le gouvernement Couillard ne sera pas au bout de ses peines pour autant. Dès son cas réglé, il faut s’attendre à voir l’opposition s’attaquer à celui de la ministre de la sécurité publique Lise Thériault, déjà malmenée une première fois lors de la triple évasion spectaculaire survenue à la prison d’Orsainville au début de l’été.
Si les évadés ont été repris et que la pression a de ce fait beaucoup baissé, il n’en reste pas moins que bien des questions troublantes sur les diverses facettes de cette affaire demeurent encore sans réponse. De plus, ajoutant elle-même à sa vulnérabilité, la ministre a commis l’erreur de mentir dans sa relation des circonstances du départ de Mario Laprise, le directeur de la SQ que le PLQ tenait de son propre aveu dans sa mire depuis son retour au pouvoir.
Contrairement à ce qu’elle avait d’abord affirmé en annonçant son départ, Mario Laprise n’a pas quitté volontairement ses fonctions, il a bel et bien été limogé même si le gouvernement Couillard a mis les gants blancs pour ne pas trop l’indisposer. Ainsi, son contrat, auquel il reste trois ans à courir, sera respecté, et il le terminera à Hydro-Québec, ce qui réduit considérablement le risque de le voir commettre des indiscrétions qui, vu la sensibilité des dossiers qu’il a eu à traiter ou dont il a eu à prendre connaissance, pourraient mettre le gouvernement à la gêne. La police sait tant de choses...
Que ce soit sur instruction du cabinet du premier ministre ou de sa propre initiative, Lise Thériault a beau jouer profil bas ces jours-ci, elle n’échappera pas à la reddition de compte qui l’attend sur les circonstances de la triple évasion d’Orsainville et pour son mensonge sur celles du départ de Mario Laprise.
Le répit dont elle a bénéficié jusqu’ici de la part des médias grand public tient essentiellement à leur soutien du gouvernement Couillard. Mais lorsque l’opposition se saisira de son cas, il lui sera beaucoup plus difficile d’échapper à un examen approfondi de ces dossiers et du comportement du gouvernement seul dans le premier, et de celle des autorités carcérales, du pouvoir judiciaire et du gouvernement dans le second. Je vous renvois à ce dernier sujet à mes trois articles écrits au moment des faits : Le gouvernement Couillard dans l’eau bouillante, Ça ressemble de plus en plus à une affaire d’État, L’évasion d’Orsainville : C’est une affaire d’État !
Le Dr Barrette n’a pas fini de causer des maux de tête au gouvernement Couillard. Comme il l’a démontré dans sa réponse à Claude Castonguay dans l’affaire Bolduc, ce n’est pas un diplomate-né. S’en prendre ainsi au père de l’assurance-maladie, de surcroît un de ses plus augustes prédécesseurs au ministère de la Santé, et l’une des rares consciences du PLQ, ne témoigne pas du meilleur jugement.
Sa myopie en matière d’éthique ne rassurera personne, pas davantage que son incapacité à comprendre que son rôle encore tout récent à la tête de la Fédération des médecins spécialistes, loin de constituer un avantage pour le gouvernement et lui-même dans les négociations en cours, est en fait un handicap qui se retournera contre eux, et par voie de conséquence contre l’intérêt du Québec et des Québécois vu les fonctions qu’il occupe, au premier accrochage ou dérapage sérieux.
Pour assurer la paix sociale au Québec, il est essentiel que les partenaires sociaux du gouvernement aient un minimum de confiance dans l’équité du processus de négociation Ils ne doivent pas avoir l’impression que les dés sont pipés d’avance contre eux. Et aussi gâtés puisse-t-on trouver les médecins spécialistes, ils ont droit aux mêmes assurances que tous les autres à cet égard.
À cause de ses responsabilités antérieures, le Dr Barrette ne répond tout simplement pas aux critères de l’honest broker qu’il doit satisfaire pour être perçu comme un interlocuteur valable par les médecins spécialistes, et il est consternant qu’il n’en soit pas conscient vu son expérience dans la représentation de leurs intérêts. Il est tout aussi consternant que le premier ministre Couillard lui ait confié cette responsabilité dans les circonstances.
N'oublions pas non plus tous les ballons d'essai lancés dans les premières semaines du mandat du gouvernement actuel pour tester la viabilité politique d'initiatives auxquels tiennent certains de ses alliés et soutiens les plus forts et les plus influents, comme la privatisation d'Hydro-Québec ou de la SAQ. La rapidité avec laquelle ils ont été relégués aux oubliettes (ou à l'arrière-plan ?) témoigne de la méfiance, et même de l'hostilité, avec lesquels ils ont été reçus, ce qui démontre bien que la marge de manoeuvre politique du gouvernement n'est pas aussi grande que sa majorité ne le suggère, et qu'il en est conscient.
En fait, il est frappant de constater à quel point Philippe Couillard semble déconnecté de la réalité québécoise et ne pas du tout percevoir les limites très... limitées du mandat qu’il a reçu le 7 avril dernier, tout majoritaire son gouvernement soit-il. Et s’il ne comprend pas le présent, il ne semble pas non plus se souvenir que le Québec a déjà connu une grève des médecins spécialistes au moment de la mise en place du régime d’assurance-maladie en octobre 1970, en pleine crise d’octobre.
Si la situation aujourd’hui est certainement moins grave qu’à l’époque, il faut tout de même relever que le consensus social actuel est très fragile comme nous avons pu le comprendre au moment du Printemps érable, et qu’il suffirait de peu de choses pour que le Québec ne s’embrase de nouveau.
Cette analyse trouve certainement une confirmation dans le mémoire soumis récemment par l'Association des directeurs de police du Québec (ADPQ) au ministre Pierre Moreau ainsi qu'aux autres membres de la Commission de l'aménagement du territoire : Les chefs de police craignent un autre printemps érable .
On ne saurait non plus passer sous silence le malaise laissé par la terminaison en queue de poisson des la phase des témoignages de la Commission Charbonneau, sans que n’y aient été convoqués des personnages-clés comme Jean Charest, Marc Bibeau ou Franco Fava dans le financement des partis politiques. Qu’il en soit responsable ou non, c’est le gouvernement Couillard qui va en payer la facture sur le plan sur le plan de la perception de son intégrité (voir à ce sujet le topo de Radio-Canada et [la chronique de Vincent Marissal->http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/vincent-marissal/201409/12/01-4799483-la-peche-a-la-barbotte.php). Les liens sont trop étroits entre le gouvernement Charest et le gouvernement Couillard pour que ce ne soit pas le cas.
Et la meilleure preuve que ce dernier est secrètement ravi de la tournure des événements à la Commission Charbonneau, c’est qu’il s'est abstenu de suggérer, comme il le ferait s'il n'avait rien à se reprocher et que les meilleurs intérêts du Québec lui tenaient à coeur, qu’un supplément d’enquête s’imposerait, ne serait-ce que pour dissiper tout doute sur sa transparence et sa volonté d’assainir le climat de suspicion et de collusion qui pèse sur tout le Québec.
D’autant plus que planent encore dans le paysage l’ombre du Dr Arthur Porter et le scandale du CUSM, l’un des pires de l’histoire du Canada, qui dépasse très largement le cadre de la politique québécoise. Ses ramifications qui plongent au coeur de l’establishment anglophone national, de l’appareil de sécurité de l’État canadien, et se déploient même à l’international, rendent inévitables son analyse approfondie par les divers corps policiers concernés et les meilleurs journalistes d’enquête. Tôt ou tard, ils élucideront le mystère de l’engagement de Porter alors que sa mauvaise performance à Détroit était connue, et le rôle joué par Philippe Couillard dans sa nomination à la direction du CUSM alors qu’il était ministre de la Santé sous Jean Charest.
Au cours des derniers jours, nous avons également vu le premier ministre revenir à la charge avec son idée de profiter du 150e anniversaire de la Confédération de 1867 en 2017 pour signer la Constitution de 1982. Cette initiative a sans doute coïncidé avec la réalisation de certains sondages qui ont révélé sa perte de popularité, si l’on en juge par la vitesse à laquelle il s’est empressé de faire marche arrière.
Bref, à peine cinq mois après son élection, le gouvernement Couillard se retrouve déjà piégé, par lui-même, par l’héritage du gouvernement Charest, et par une conjoncture particulièrement défavorable, tant sur le plan interne à cause de l’état des finances publiques et du redressement qu’il veut opérer, que sur le plan externe à cause du contexte économique et politique international très difficile qui fait le jeu de ses ennemis jurés, les indépendantistes.
Et la preuve que cette dernière dimension ne lui échappe pas se trouve dans la déclaration assez ridicule qu’il s’est cru obligé de faire hier, dans la foulée du NON écossais, lorsqu’il a tenté de faire un rapprochement entre la victoire Libérale du 7 avril et le rejet par une majorité d’Écossais de la proposition d’indépendance que leur soumettait leur gouvernement.
Plus mal pris que ça, tu meurs ! Et vous remarquerez que nous avons à peine évoqué l'opposition.
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