Un capital dilapidé

Nicolas Sarkozy visite le Salon de l'agriculture. Un badaud refuse de lui serrer la main. Réaction du président de la République française: «Casse-toi, pauvre con!»

Nicolas Sarkozy - une caricature



Même Jean Chrétien, même le Texan George W. Bush, n'auraient pas réagi de la sorte. Que ce genre d'incident se produise en France, un pays où le vouvoiement entre étrangers est de rigueur et où les rapports humains sont bien plus courtois qu'en Amérique, et que cela soit au surplus le fait du chef de l'État, est assez incroyable.
En novembre dernier, Sarkozy avait apostrophé dans le même style un marin-pêcheur qui le huait de loin: «Descend ici qu'on s'explique!» avait-il hurlé, comme un petit dur à cuire prêt à la bataille de ruelle. Comme dit Le Pen, un politicien détestable, mais un homme qui a l'art de la formule: «Ça fait plus Tintin que de Gaulle!»
Si le monde entier s'étonne de ces sautes d'humeur, la France ne rit plus. En quelques mois seulement, la cote de popularité de Nicolas Sarkozy a radicalement chuté. À peine plus du tiers des électeurs ont une opinion favorable de leur président.

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Nicolas Sarkozy, ou comment dilapider un immense capital de sympathie…
Il y a moins d'un an, tous les astres étaient alignés en sa faveur. Il jouissait d'une majorité sans précédent. Bien des gens qui n'avaient jamais voté à droite se réjouissaient secrètement des perspectives de changement qu'il incarnait. L'opposition au grand complet (socialistes, extrême droite, partisans de Bayrou) était terrassée. Son côté sportif et batailleur faisait oublier ses accointances avec les riches, et constituait un contraste rafraîchissant, après tous ces présidents guindés qui s'étaient succédé à l'Élysée.
Mais voilà, il est allé trop loin, emporté par le besoin quasi maladif de se distinguer à tort et à travers de tout ce qui s'était fait avant lui et de multiplier les «coups» médiatiques au lieu de s'en tenir à ses priorités. Les Français attendaient l'assainissement des finances publiques, la reprise économique et la hausse du pouvoir d'achat. À la place, ils l'ont vu pendant des mois s'agiter dans toutes les directions, à tel point que l'on a réclamé «une journée sans Sarkozy», comme on dit «une journée sans auto»!
Premier épisode, dans une série d'initiatives gratuites, improvisées et incohérentes: Sarkozy avait inauguré son règne en proposant aux élèves le modèle d'un soi-disant héros de la Résistance, Guy Môquet un garçon qui, loin de militer contre les nazis, avait été arrêté pour avoir distribué des tracts communistes à l'époque où l'URSS était alliée à l'Allemagne hitlérienne!
Dernier lapin sorti du sac, tous les enfants de l'avant-dernière année du primaire devraient «s'identifier» à l'un des enfants juifs victimes de la Shoah. La contestation la plus vive est venue de personnalités juives. Pour Simone Veil, il est «insoutenable» de culpabiliser des enfants de 10 ans. Pour Claude Lanzmann, l'auteur du film Shoah, c'est de «l'activisme mémoriel». La directrice du musée Vad Yashem, à Jérusalem (musée qui témoigne de l'horreur de l'Holocauste), a enfoncé le dernier clou en précisant que l'entrée du musée est interdite aux enfants.
Sarkozy, qui avait eu l'idée brillante d'intégrer des gens de gauche à son gouvernement, a perdu une partie de ses appuis dans les milieux progressistes en remettant inopinément en question la laïcité, et en imposant une loi qui autorise la détention à perpétuité des criminels «dangereux». Pire, il essaie de contourner un jugement du Conseil constitutionnel (l'équivalent de notre Cour suprême) qui a condamné le caractère rétroactif de la loi.
Passablement discrédité à gauche, il perd des appuis à droite avec ses aventures sentimentales, trop voyantes. Même ses partisans l'appellent «le président bling bling» à cause de ses goûts tapageurs pour le luxe et le clinquant.
Sarkozy a tous les talents, une intelligence et un dynamisme hors du commun. Il incarnait au départ toutes les promesses de réussite. Il ne lui manque qu'une chose: la dignité, le sens de la mesure, la capacité de se concentrer sur les objectifs fondamentaux. Autrement, il s'en va vers l'échec, car en France, la moindre réforme exige des appuis massifs dans l'opinion publique.


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