S’il faut en croire le Globe & Mail, la ministre des Finances Chrystia Freeland est au poste de commande dans la campagne de soutien militaire à l’Ukraine. Elle préside, en sa qualité de vice-première ministre, le comité où siègent le chef d’État-major de l’armée canadienne, le général Wayne Eyre, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly, la ministre de la Défense Anita Anand et Janice Charrette, la greffière du Conseil privé.
Le premier ministre Justin Trudeau a été écarté, tout comme dans l’affaire Meng Wanzhou où Chrystia Freeland a rejeté toutes les solutions proposées, entre autres par Jean Chrétien, et a montré beaucoup de détermination à envenimer les relations du Canada avec la Chine.
La va-t-en-guerre Chrystia Freeland est la porte-parole du puissant lobby ukrainien au sein du cabinet. Née en Alberta de parents ukrainiens, elle s’est signalée, avant d’entrer en politique fédérale, par son activisme antirusse au point d’être déclarée « persona non grata » en Russie.
Aujourd’hui, elle veut que le Canada réponde favorablement aux demandes d’aide militaire du gouvernement ukrainien. Déjà, Ottawa renouvelle à chaque six mois la mission de 200 militaires canadiens chargés d’entraîner des militaires ukrainiens. Maintenant, Kiev demande de l’armement et l’application de nouvelles sanctions économiques contre la Russie.
Depuis 2014, le Canada a accordé une aide militaire de 700 millions $ à l’Ukraine et il vient d’adopter une aide « économique » de 120 millions $ supplémentaires. Le général à la retraite Michael Day, qui a dirigé le Commandement des Forces d'opérations spéciales du Canada, a déclaré que cet argent pourrait permettre à l’Ukraine de libérer des fonds pour l’achat d’armements. Ajoutons que, dernièrement, la frégate HMCS Montréal de la Marine royale canadienne a appareillé pour la Méditerranée et la mer Noire.
Derrière le lobby ukrainien, le lobby pétrolier
Le Canada a beau avoir la plus importante communauté ukrainienne hors de l’Ukraine, le lobby ukrainien n’explique pas tout. Derrière celui-ci, il y a le lobby pétrolier. L’enjeu géostratégique de la confrontation entre l’OTAN et la Russie, dont on parle peu, est le découplage de l’Europe de la Russie, la fin de sa dépendance aux hydrocarbures russes. Plus de 40 % du gaz naturel et 20 % du pétrole consommés en Europe proviennent de la Russie. Les pays les plus dépendants sont l’Allemagne, l’Italie et la Turquie.
Au centre de cet enjeu est le gazoduc Nord Stream II entre la Russie et l’Allemagne, dont on vient de terminer la construction. Il permettrait de doubler les exportations russes et rendrait secondaire le gazoduc qui traverse actuellement l’Ukraine et la Pologne pour rejoindre les autres pays européens. Son abandon priverait l’Ukraine de quatre milliards de dollars de redevances annuellement et d’un certain contrôle sur les exportations de la Russie.
Le gouvernement allemand a repoussé jusqu’ici les pressions exercées par les États-Unis pour qu’il renonce à l’entrée en opération de Nord Stream II, en disant qu’il relevait de l’entreprise privée. Mais il est certain qu’il lui serait extrêmement difficile d’autoriser sa mise en fonction advenant une confrontation militaire entre la Russie et les États-Unis au sujet de l’Ukraine.
Déjà, les médias états-uniens sont à l’offensive. Le Wall Street Journal accuse sans ménagement Berlin : « En face des deux menaces les plus sérieuses pour la sécurité de l’Amérique et de l’ordre démocratique de l’après-seconde guerre mondiale – la Chine et la Russie –, l’Allemagne n’est plus un allié crédible. Pour l’Allemagne, avoir du gaz pas cher, exporter ses voitures en Chine et laisser M. Poutine tranquille semble être plus important que la solidarité entre alliés démocratiques. »
Il est intéressant de noter que les trois pays les plus bellicistes sont trois pays de l’anglosphère – les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada – qui ne s’approvisionnent pas en hydrocarbures russes. Au contraire, dans le cas des États-Unis et du Canada, ils veulent ouvrir le marché européen au gaz liquéfié nord-américain. Il existe déjà un projet, Three Seas Initiative, de modernisation des infrastructures pour accueillir du gaz naturel liquéfié américain dans douze pays de l’Est européen.
Le retour du projet GNL Québec ?
Au Canada, le projet GNL Québec d’exportation de gaz naturel de l’Alberta, liquéfié à Saguenay, avait comme marché cible l’Allemagne. Une entente non contraignante avait d’ailleurs été signée avec l’entreprise belge Fluxys pour la construction d’un terminal à Hambourg. Le projet a été mis sur la touche à cause de la faiblesse du prix du gaz naturel. Mais, aujourd’hui, le prix est en forte hausse et l’abandon de Nord Stream II pourrait très bien réunir les conditions pour sa renaissance.
Il ne faudrait pas oublier non plus que le Canada a signé un « partenariat énergétique » avec l’Allemagne pour le gaz qui sera transporté par un nouveau gazoduc qui traversera le Québec pour se rendre à une usine de liquéfaction en Nouvelle-Écosse. Le projet GNL Goldboro, d’une valeur de 13 milliards $, est comparable au projet GNL Saguenay, les deux transportant une quantité similaire de gaz naturel.
Dans le cas d’une confrontation militaire entre les États-Unis et la Russie, il est possible que la Russie ferme le robinet du gazoduc qui passe à travers l’Ukraine ou qu’il soit saboté. On imagine facilement l’industrie pétrolière, le gouvernement Trudeau et tous leurs relais médiatiques nous implorer de laisser passer les pipelines pour ne pas que l’Europe « freeze in the dark ». Et, soyons assurés, que les deux projets mentionnés précédemment seront présentés comme faisant partie d’un plan de « transition énergétique » visant à empêcher l’Allemagne et d’autres pays européens d’avoir recours au charbon ou au nucléaire.
Une promesse brisée
On a beaucoup commenté les propos du président Joe Biden qui laissaient entendre qu’« une incursion mineure » de la Russie en Ukraine n’engendrerait pas une riposte de grande ampleur parce que l’Europe serait divisée. Ces propos ont été qualifiés d’« ambigus » prononcés par un président « confus », mais il n’est pas exclu que cela ait été un piège tendu à Poutine. Rappelons-nous que les États-Unis avaient tendu un piège similaire à Saddam Hussein, par l’intermédiaire de leur ambassadrice April Glaspie qui avait laissé entendre que les États-Unis n’interviendraient pas s’il envahissait le Koweït. On connait la suite.
De nombreux articles dans les médias ont rappelé que le sénateur d’État américain James Baker s’était engagé auprès de Michaël Gorbatchev qu’en échange d’une Allemagne réunifiée membre de l’OTAN, il n’y aurait pas d’élargissement d’« un pouce » de l’Alliance atlantique vers l’Est. Une promesse brisée. Elle s’est élargie de plus de 1 000 kilomètres vers l’Est. Les États-Unis qui, en vertu de la Doctrine Monroe (1823) condamnent toute intervention européenne dans les « affaires » de tout le continent américain sont bien mal placés pour reprocher à la Russie, qui a été envahie par Napoléon et Hitler à travers les plaines de l’Ukraine, de vouloir protéger ses frontières.
Dans un important article, publié dans l’édition septembre/octobre 2014 de la prestigieuse revue Foreign Affairs, intitulé « Why the Ukraine Crisis Is the West’s Fault », John J. Mearsheimer, professeur à l’Université de Chicago, proposait de faire de l’Ukraine, un État tampon, comme l’a été l’Autriche au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’Autriche, rappelons-le, n’est pas membre de l’OTAN. Dernièrement, le Globe & Mail, en éditorial, et Jocelyn Coulon, dans une chronique publiée dans La Presse+, se faisaient les avocats de la même idée.
Nous la faisons également nôtre et nous pressons toutes les personnes éprises de paix à soutenir cette position et à demander la mise à l’écart du cabinet de la ministre Chrystia Freeland.
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