Tunisie: l'état d'urgence décrété, le gouvernement limogé

"Crise dans le monde arabe" - Tunisie 2010



Hamida Ben Salah Agence France-Presse Tunis - Le gouvernement tunisien a annoncé avoir décrété l'état d'urgence dans l'ensemble du pays avec un couvre-feu de 18h à 6h du matin, l'interdiction des rassemblements sur la voie publique et l'autorisation donnée à l'armée et à la police de tirer sur tout «suspect» refusant d'obéir aux ordres.
Le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali, en proie depuis un mois à une contestation sans précédent de son pouvoir, a décidé vendredi de limoger son gouvernement et d'appeler à des législatives anticipées dans six mois mais les affrontements se poursuivaient à Tunis.
Les manifestants, rassemblés par milliers vendredi à Tunis et en province, exigent toujours le départ immédiat du chef de l'État, au pouvoir depuis 23 ans, ne se satisfaisant pas de ses promesses de quitter le pouvoir seulement au terme de son mandat en 2014.
Le bilan de la répression du mouvement de contestation du régime tunisien s'est par ailleurs encore alourdi, avec au moins 15 morts jeudi soir et le tourisme, secteur-clé de l'économie, était affecté par la crise, avec la rapatriement de milliers de touristes européens.
Le premier ministre Mohammed Ghannouchi, cité par l'agence officielle TAP, a indiqué que le président Ben Ali a décidé «dans le cadre de mesures (d'apaisement) annoncées jeudi, de limoger le gouvernement et d'appeler à des élections législatives anticipées dans six mois». Il a ajouté avoir été chargé de former le nouveau gouvernement.
«Je vous ai compris», avait martelé le chef de l'État jeudi soir dans sa troisième intervention télévisée depuis le début des violences, appelant notamment les forces de sécurité à ne plus tirer à balles réelles sur les manifestants.
«Non à Ben Ali», «Soulèvement continu», «on préfère la disette à Ben Ali» lui ont répondu vendredi des centaines de manifestants dans la capitale, qui se sont rassemblés devant le ministère de l'Intérieur.
«Le ministère de l'Intérieur est un ministère de la terreur» et «hommage au sang des martyrs» ou encore «non, aux Trabelsi (ndlr: la belle famille du président) qui a pillé le pays», scandaient les manifestants, dont des avocats.
Mais l'après-midi, la police les a dispersés à coup de grenades lacrymogènes. En quelques minutes, la rue s'est vidée de la foule et quelques manifestants ont lancé des pierres, des chaises et des parasols de terrasses de cafés en direction des policiers.
Des blindés de l'armée se sont déployés devant le ministère de l'Intérieur alors que des unités anti-émeutes pourchassaient des jeunes manifestants dans les escaliers d'immeubles résidentiels et dans un centre commercial, où ils se sont repliés.
Selon un témoin, d'autres blindés de l'armée se sont positionnés devant le ministère des Affaires étrangères ainsi que devant le bâtiment de la Télévision et radio nationale.
De violents heurts se sont ensuite produits en fin d'après-midi entre des groupes de manifestants et des policiers anti-émeutes pendant lesquels un photographe étranger a été blessé à la tête par un tir de gaz lacrymogène, selon des journalistes de l'AFP sur place.
Des manifestations ont également eu lieu en province. À Sidi Bouzid d'où est parti le mouvement de contestation, quelque 1500 personnes ont défilé aux cris de «Ben Ali dehors», tandis qu'à Regueb, une localité proche, 700 personnes ont lancé des slogans hostiles au président.
À Kairouan, des marcheurs ont crié «Ben Ali dehors», de même qu'à Gafsa, dans le sud-ouest, selon des sources syndicales.
Selon la Fédération internationale des ligues de droits de l'homme (FIDH), 66 personnes ont été tuées depuis le début mi-décembre des émeutes. Mais jeudi soir, 13 civils ont été tués à Tunis et sa banlieue et 2 autres à Kairouan, selon des témoins et des sources médicales.
Un peu plus tôt dans la journée de vendredi, le ministre tunisien sortant des Affaires étrangères Kamel Morjane avait estimé possible la formation d'un gouvernement d'union nationale.
Le discours présidentiel avait été plutôt bien accueilli jeudi soir par les différentes composantes de l'opposition.
La France a de son côté encouragé le président tunisien à poursuivre dans la voie de «l'ouverture politique». L'Union européenne s'était également félicitée de l'annonce du président qu'il ne briguera pas un nouveau mandat en 2014, y voyant un moyen d'assurer «une transition en douceur».
Les violences ont par ailleurs commencé à affecter le tourisme après que des pillages se sont produits jeudi dans la station balnéaire très fréquentée de Hammamet (nord).
La filiale allemande du voyagiste britannique Thomas Cook a annoncé vendredi qu'elle allait rapatrier le jour même vers l'Allemagne quelque 2000 touristes se trouvant en Tunisie, et annulé tous ses départs vers le pays jusqu'au 17 janvier.
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Violents affrontements en Tunisie malgré le couvre-feu



Hamidah Ben Salah Agence France-Presse Tunis
Tunis restait quadrillée jeudi par les forces spéciales après une première nuit de couvre-feu alors que les affrontements dans une banlieue ont fait huit morts, selon une ONG de défense des droits de l'homme qui fait état de 66 morts dans tout le pays depuis la mi-décembre.
L'armée tunisienne s'est retirée jeudi de la capitale où elle s'était déployée 24 heures auparavant.
Le pays reste plongé dans une contestation inédite du régime qui a fait des dizaines de morts depuis un mois. La présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Souhayr Belhassen, a dénoncé jeudi à Paris «un massacre qui continue», affirmant détenir une liste nominative de 66 personnes tuées depuis le début des troubles mi-décembre, dont 8 dans la nuit de mercredi à jeudi dans la banlieue de Tunis.
Aucun bilan officiel n'a été publié sur ces violences dans les banlieues d'Ettadhamen et d'Intilaka où vivent quelque 30 000 habitants à environ 15 km du centre de Tunis, qui se sont déroulées malgré le couvre-feu nocturne imposé dans la capitale et ses environs.

Le couvre-feu, décrété mercredi pour une durée illimitée, est la première mesure du genre prise à Tunis depuis l'arrivée au pouvoir du président Zine El Abidine Ben Ali en 1987.
«Toute la nuit, on a entendu des tirs, des cris et des bruits de casse», a déclaré à l'AFP une infirmière. Elle a expliqué que les incidents en banlieue avaient démarré mercredi après-midi pendant un rassemblement «qui a ensuite dégénéré en affrontements violents entre forces de sécurité et des jeunes».
Des habitants se sont déclarés «ahuris» par l'ampleur des dégâts: des commerces ont été saccagés, des locaux municipaux endommagés, des abris d'autobus détruits et un autobus incendié.
À Sfax, un étudiant de 19 ans, Omar Haddad, a été tué mercredi «par des tirs de la police» lors d'affrontements dans cette métropole économique, a indiqué jeudi un témoin à l'AFP, ajoutant que les violences s'étaient poursuivies durant la nuit dans cette ville.
Une Suisse d'origine tunisienne, employée d'hôpital, a également été tuée mercredi soir dans le nord de la Tunisie, a annoncé jeudi le ministère helvétique des Affaires étrangères.
Sur le campus universitaire de Tunis, des enseignants se sont rassemblés jeudi pour protester contre l'«assassinat» la veille d'un professeur d'informatique à l'Université de Compiègne (nord de la France), Hatem Bettahar, un Franco-tunisien, tué par des tirs de la police à Douz.
Dans la capitale, des blindés et des unités d'intervention de la police ont remplacé jeudi ceux de l'armée, et seuls deux véhicules militaires avec des soldats en armes étaient encore postés devant l'ambassade de France.
Des cars remplis de policiers anti-émeutes stationnaient dans les rues latérales menant à l'avenue principale.
Dans la matinée, plusieurs centaines de manifestants ont été dispersés à coup de grenades lacrymogènes dans le centre. Les jeunes rassemblés rue de Rome, proche de l'ambassade de France, ont tenté d'atteindre l'avenue Bourguiba mais en ont été empêchés par les forces de l'ordre qui ont abondamment usé de grenades lacrymogènes.
Auparavant, dans les cafés ouverts, les terrasses habituellement bondées étaient dégarnies, des clients s'exprimant à haute de voix sur les derniers affrontements en banlieues.
Des dispositifs de sécurité renforcés étaient visibles sur la route conduisant au palais présidentiel à Carthage, interdite à la circulation automobile.
Le gouvernement du président Ben Ali avait tenté mercredi de calmer le jeu, avec le limogeage du ministre de l'Intérieur et l'annonce de la libération de toutes les personnes arrêtées à «l'exception de ceux qui sont impliqués dans des actes de vandalisme».
Le ministère de la Jeunesse et des Sports a annoncé jeudi le report de toutes les compétitions sportives «programmées cette semaine», en raison des émeutes.


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