Langue française

Trudel doit être plus agressif

Écoles passerelles - Loi 115

J’adore Denis Trudel. C’est un comédien hors-pair et une excellente figure populaire pour la cause du français. J’ai eu la chance de travailler avec lui sporadiquement alors que j’étais sous contrat avec le Mouvement Montréal français (MMF) et je n’ai que du bien à dire à propos de lui. Ceci dit, en tant que porte-parole du MMF, il aurait avantage à modifier son discours, à le rendre un peu plus revendicateur et à être moins sur la défensive.
Par exemple, pour faire la promotion du méga-spectacle contre la loi 103, il était en entrevue à la télévision. Radio-Canada ou LCN, je ne me souviens plus. Il disait à peu près ceci:

« Nous ne sommes pas contre le bilinguisme, nous voulons le mieux pour nos enfants. Nous ne sommes pas contre l’anglais, nous sommes ouvert sur le monde. Mais nous voulons protéger le français car il risque de disparaître. »

Qu’on me pardonne l’approximation, mais j’ai presque échappé mon repas par terre en l’entendant tenir ce discours. Quelques mots, trois phrases tout au plus, et il venait de reproduire lui-même – et volontairement – les principaux mythes propagés par les adversaires du Québec français. Trente secondes, peut-être moins, et il a réussi à dire:
1. Que le bilinguisme est quelque chose de souhaitable et de compatible avec un Québec français;
2. Qu’il est justifié d’apprendre l’anglais à nos enfants pour assurer leur bien-être individuel;
3. Que la lutte pour un Québec français ne se fait pas contre la langue anglaise;
4. Que l’apprentissage de l’anglais constitue un pré-requis pour une « ouverture » sur le monde.

Rien que ça. À trop vouloir prévenir les coups de nos adversaires, Trudel a tenu un discours peureux et faible. Plutôt que d’avoir le courage d’aller au front et de faire face aux mythes, il a préféré s’excuser de vouloir défendre notre langue et rassurer ceux qui pourraient croire qu’on oserait réclamer autre chose qu’une réserve de sauvages francophones en terre d’Amérique anglophone. Des nègres blancs 2.0, quoi.
Ce qu’il faut plutôt, actuellement, c’est la capacité d’adopter un discours plus agressif, plus revendicateur.
Par exemple :
1. Oui, nous sommes opposés au bilinguisme. Ce mot – bilinguisme – doit être descendu de son piédestal;le bilinguisme en tant que langage n’existe pas. Le bilinguisme, comme le disait le linguiste Albert Dauzat, c’est un état transitoire entre deux langues, le passage d’une langue faible vers une langue forte. Aucun peuple dont la langue était dominée n’est devenu bilingue avec la langue dominante sans perdre sa langue. Que des gens veuillent apprendre des langues étrangères, cela les regarde. Mais le bilinguisme en tant que concept généralisé ne peut que mener à la disparition du français en terre d’Amérique. Nous avons tous les Canadiens et les Louisianais bilingues pour le prouver.
2. Le mieux-être de nos enfants passe par la langue française. Si nous adhérons à l’idée que pour maximiser leurs chances de réussite individuelle il faudrait absolument leur apprendre une langue étrangère, nous abdiquons notre rôle collectif qui devrait être de leur permettre, précisément, d’atteindre les plus hauts échelons de la société en parlant français. Si nous affirmons qu’il faille parler anglais pour réussir dans la vie, nous faisons du français une langue de perdants et nous oublions que pour la plupart des nations du monde, la seule langue nationale permet d’accéder à tous les pouvoirs et toutes les possibilités. Nous n’avons pas besoin de mettre en danger notre nation française pour le 2-3% de citoyens qui devraient travailler en relation directe avec un pays anglophone.
3. Oui, la lutte pour un Québec français se fait contre la langue anglaise. Cessons d’être dupes : ce n’est pas le mandarin ou l’espagnol qui menacent le français au Québec. Il ne s’agit pas d’un jeu gagnant-gagnant où tout le monde fait une ronde à la fin de l’émission de Passe-Partout. La réalité est aussi crue que cela : chaque gain de l’anglais se fait en grande partie au détriment du français et, inversement, chaque gain du français se fait largement au détriment de l’anglais. Nous voulons un Québec français, mais pour y arriver, nous n’aurons pas le choix de nous attaquer aux privilèges des anglophones, par exemple à leurs institutions qui sont sur-financées par rapport à leur poids démographique.
4. Qu’on cesse un peu de nous dire que l’anglais nous ouvre sur le monde! D’abord, l’anglais n’est que la troisième langue la plus parlée au monde, derrière le mandarin et l’espagnol. Ensuite, le monde ne parle pas qu’une seule langue, mais des centaines de langues différentes. La richesse de cette humanité, c’est sa pluralité, sa diversité. Concevoir un monde anglais, c’est recouvrir de bitume l’ensemble de l’Amazonie sous prétexte de s’ouvrir à elle. On détruit précisément ce à quoi on cherchait à s’ouvrir. On communique à Taïwan, à Bangkok, à New York ou à Londres, mais ce sont toujours les mêmes individus vivant selon la même culture anglicisée, les mêmes rites d’une world-culture ayant délaissé les identités nationales. L’ouverture sur le monde, plutôt, c’est assurer la survie de ces identités et s’assurer que le Québec, en étant en mesure de protéger sa langue commune, puisse continuer, à l’image d’autres peuples, à assurer la richesse culturelle et linguistique de cette humanité.

BOUM. BOUM. BOUM. BOUM. Je ne demande pas un argumentaire parfait, mais je veux voir quelqu’un au combat. Je veux le voir monter sur le ring contre le discours tout en muscles que les ennemis du Québec français cogitent depuis des décennies. Je veux le voir en prendre plein la gueule, mais se battre, tomber, se relever encore, à l’image d’un Québec qui n’acceptera jamais de dénaturer son discours de peur de voir le type dans l’autre coin du ring venir nous sacrer des volées. Je veux le voir saigner, conscient qu’il n’est pas seul dans cette lutte et qu’il a l’appui des centaines d’autres peuples au prise avec la même problématique – même si elle est moins aiguë qu’ici.
Quand on parle d’appliquer la Loi 101 aux écoles privées non-subventionnées et au cégep, on tient un discours offensif, revendicateur. Les militants sont prêts. Mais la population, elle, doit se faire dire les vraies choses. On doit cesser de la dorloter et de lui inventer des bouts de pensées patchées comme des collages d’intelligence qu’on colle dans le grand cahier de la bêtise argumentaire. Qu’on arrête un peu de lui dire en même temps qu’elle doit devenir bilingue et qu’elle doit exiger le français partout. Qu’on arrête de donner des cellulaires aux enfants en leur demandant d’utiliser la vieille cabine téléphonique. Qu’on soit honnête avec elle : notre langue nationale est en danger et il faut en finir avec l’anglomanie propagée par nos élites.
Denis Trudel constitue une élite de rechange, un modèle d’inspiration pour une nouvelle génération de Québécois désireux d’entendre un discours alternatif. Il n’a pas le droit de faillir à la tâche. Il doit se relever les manches, mettre les gants et monter dans le ring.
Sinon, et peu importe ses immenses qualités, il doit céder sa place à un autre.


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