Les colonisés

Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?


Le passé façonne le présent. Prenez un enfant ayant subi les affres de la guerre, des bombardements et de la mort qui tombe du ciel comme un cadeau anonyme et amenez-le, adulte, voir un feu d’artifice. Chaque explosion le fait sursauter, l’inquiète, le rend circonspect. Il s’amuse, il rit, mais derrière l’œil éclairé se cachent toujours d’insondables noirceurs ne pouvant être illuminées, même par le temps. Prenez un peuple dépossédé de sa mère-patrie, de son élite, de son histoire, à qui on a tenté de lui voler sa langue et qu’on a gardé bien docile sous le voile silencieux d’évêques prêchant le conformisme et la résignation, et observez comment, encore aujourd’hui, il ne peut qu’avoir peur de sa propre liberté, appréhender le déploiement de ses ailes, et mépriser jusqu’à la prise de parole volontaire et libératrice d’un des siens. En rangs, mes amis, et ne relevez surtout pas la tête!
Je n’en peux plus de ces soi-disant indépendantistes qui se perçoivent comme de grands libérateurs, mais qui rentrent à la maison en pleurnichant dès qu’on tente de les pousser à la cohérence. Descendants de générations de Canadiens-français colonisés ayant abdiqué jusqu’à l’idée d’une existence collective où ils auraient pu être maîtres chez eux, ils n’ont pas conscience de répéter les mêmes travers que ceux de leurs ancêtres, cherchant dans l’unanimité et l’accommodement la réponse à tous leurs maux. Ne dit-on pas, en psychologie, que la folie émane de la conviction qu’une même manière d’agir finira par produire un résultat différent? Ils n’en ont cure. Notre peuple se rétrécit comme un cancéreux oublié sous le soleil, mais ils parlent encore d’unité, d’accommodement, d’ouverture, de tolérance. Debout, stoïques, une fleur à la main, ils mourront sous les balles d’une Histoire cruelle et insensible pour les peuples n’ayant pas eu le courage de prendre leurs responsabilités. Ils mourront le sourire aux lèvres, car ils ont auront été unis. Unis et morts.
On m’accuse parfois de nuire au « mouvement » en « divisant les troupes ». J’écris les vérités qui ne plaisent pas, je compile les statistiques qui tuent, j’écris tout haut ce que d’autres disent en silence. Je me bats pour une virgule jusqu’à la mort s’il le faut, car si cette virgule doit être honorée d’une bataille épique, qu’elle le soit et qu’on ramasse les cadavres par la suite. C’est laid, ça pue le sang, la sueur, la terre, et la chaux de quelques paroles réconfortantes ne réussit que rarement à apaiser la violence du choc des idées.
Or, dans la vision colonisée du « mouvement », il n’y a pas place pour la divergence. On ne discute pas des désaccords. On parle stratégie, on se concentre sur les points communs, mais on n’aborde que rarement les points faibles, on refuse obstinément toute forme d’indépendance d’esprit comme si celle-ci était l’œuvre d’un démon. « Louis, arrête d’écrire [insérer le sujet de mon intervention ici], tu divises le mouvement! » Imaginez la force d’un tel mouvement s’il suffit que votre humble serviteur puisse le diviser en écrivant quelques mots sur un clavier en plastique chinois. Les guerriers s’en vont au champ de bataille avec des pots à fleurs à la place de fusils, mais il ne faudrait surtout pas leur dire, de peur de diviser le mouvement.
En 1760 ou en 2010, on crève dans l’unité du mouvement et on est uni derrière le chef qui nous conduit à l’abattoir. Bêêêêê!
Division ou consolidation?
J’en ai vu, de ces soi-disant indépendantistes depuis un an ou deux. À leurs yeux, je divise le mouvement parce que je force ses membres à développer un discours cohérent. Je ne me contente pas de regarder le spectacle abrutissant des larmoyants appels péquistes hurlant « on veut un pays » à chaque convention où on a précisément parlé de tout sauf de cela. Je ne suis pas plus impressionné par leur unanimité que par leurs futiles slogans. À mes yeux, s’ils n’ont pas un discours cohérent, s’ils ne peuvent pas assumer les conséquences de leurs choix et accepter l’idée d’une rupture avec le passé et de gestes libérateurs – aussi libérateurs que le fut la Loi 101 à une époque où le Parti Québécois constituait autre chose qu’un parti de carriéristes utilisant l’indépendance comme d’un faire-valoir permettant la prise du pouvoir -, ils ne valent rien.
Ce n’est pas en scandant « on veut un pays » ou en organisant de pathétiques marches rassemblant une quinzaine de personnes qu’on contribue à libérer les Québécois. La libération, elle se construit d’abord dans le discours et dans la capacité à accepter qu’on ne peut pas changer la société… sans changer la société. C’est une vérité de La Palisse, mais on ne peut pas à la fois vouloir la survie du français au Québec et dénoncer avec véhémence quiconque aimerait en finir avec le sur-financement des institutions anglophones. On ne peut pas vouloir l’intégration des immigrants en français et traiter de raciste quelqu’un qui aimerait éliminer le réseau scolaire anglophone public (alors que c’est la norme partout au monde, précisément, de ne financer qu’un seul réseau dans la langue nationale). On ne peut pas prétendre représenter le bien-être du peuple québécois tout en s’enorgueillissant et en qualifiant d’ambassadeurs des gens qui vivent ici depuis dix ans et qui arrivent à peine à balbutier quelques mots dans notre langue. On ne peut pas accueillir plus de cinquante mille immigrants par année tout en souhaitant la survie de l’identité québécoise. On ne peut pas se déclarer indépendantiste en refusant toute forme de radicalisme dans la construction d’un État véritablement français en Amérique du Nord.
La pensée précède l’action et si on n’accepte pas l’idée que l’indépendance et la survie de la langue française constituent une rupture avec une façon d’agir qui nous a précisément mené au bord du gouffre, on est aussi bien d’abandonner dès maintenant.
Ainsi, quand des indépendantistes affirment vouloir éviter la division, ce n’est pas tant de l’éloignement de factions plus radicales du mouvement qu’ils ont peur, mais bien plus de l’éclatement de la baudruche de leurs idées non-cohérentes, non-abouties, et contradictoires. Ils craignent non pas de voir des clans rivaux s’entre-déchirer dans une guerre civile idéologique, mais plutôt de réaliser, devant le choc des idées, que leurs propres conceptions sont surannées. Ce n’est pas de gens comme moi qu’ils ont peur, mais plutôt de la faiblesse de leur propre argumentation.
Après plus de 200 ans d’une relative pauvreté intellectuelle où il fallait suivre scrupuleusement le curé de la paroisse, certains n’ont pas encore compris que la véritable libération commence dans les esprits et qu’ils ne pourront pas se prétendre indépendantistes tant qu’ils n’auront pas permis à leur pensée de devenir assez forte pour résister à toutes les tempêtes argumentaires, fier navire voguant vers une destinée radicalement différente.
Les penseurs, les débatteurs, les radicaux, les « ostineux », ne sont pas des ennemis divisant leur mouvement, mais plutôt les concepteurs de l’argumentaire qui permettra, demain, de voir fleurir leurs idéaux. Ce sont eux, les vrais indépendantistes, libres jusque dans leur pensée.
Ceux qui les briment et refusent de les écouter sous prétexte de détenir l’ultime vérité du « seul parti pouvant réaliser l’indépendance » ne font que répéter les réflexes de colonisés de leurs ancêtres et retarder le moment où les graines seront enfin semées, porteuses d’espoir pour le futur.
Louis Prefontaine
Publié aussi sur Louis Préfontaine


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