Onze travailleurs agricoles du Guatemala, qui ont affirmé avoir été traités « comme des esclaves » lors de leur séjour sur des fermes de la région de Victoriaville, viennent d’obtenir gain de cause devant le tribunal administratif du travail. En conséquence, le tribunal leur accorde entre 5000 $ et 30 000 $ individuellement à titre de dommages moraux.
Dans un jugement rendu le 18 octobre dernier, la juge France Giroux reconnaît que les 11 travailleurs étrangers ont été victimes de harcèlement psychologique de la part de leur employeur, Entreprise de placement Les Progrès inc. et ce, entre les mois de mai 2015 et octobre 2016.
Devant le tribunal, les travailleurs guatémaltèques ont déclaré avoir subi du harcèlement psychologique pendant toute la durée de leur emploi au cours de laquelle ils étaient logés par l’employeur. Les présumés harceleurs sont l’employeur, le président de Placement Les Progrès et sa conjointe, ainsi qu’un conseiller en immigration d’un cabinet privé.
Le harcèlement subi par ces travailleurs s’est manifesté sous forme de promesses mensongères et d’agissements illégaux, de conditions de travail abusives, de surveillance excessive et intrusion dans leur vie privée. Ils ont aussi subi des insultes ainsi que des menaces visant leurs familles habitant au Guatemala.
Dans une entrevue accordée au National Observer, en novembre 2016, l’un des travailleurs a indiqué que leurs conditions de travail ne respectaient pas les critères inclus dans leur permis de travail temporaire.
« Dans chaque entreprise où nous avons travaillé, on nous a traités comme des esclaves et nous n’avons jamais été payés comme cela était convenu », a déclaré l’un des travailleurs floués, venus au Québec sous l’égide du Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET).
À leur arrivée, huit des onze travailleurs ont été embauchés dans des abattoirs où ils devaient attraper des poulets. Ils étaient payés à un faible salaire en fonction du nombre de poulets attrapés. Ils ont qualifié la cadence imposée d’« infernale ».
Les plaintes pour harcèlement ont été déposées contre Placement Les Progrès après que les travailleurs eurent été arrêtés par les agents des Services frontaliers du Canada, le 26 octobre 2016, au motif qu’ils ne possédaient pas de permis de travail valide.
« Il leur a soutiré de l’argent, de connivence avec le conseiller en immigration. »
— La juge France Giroux
Dans un jugement étoffé de 67 pages, la juge Giroux affirme sans détour que les conduites vexatoires de l’employeur dans cette affaire ont porté atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique des travailleurs. Cela a eu pour effet, dit-elle, de placer les travailleurs dans un milieu de travail néfaste.
« Ces conduites vexatoires découlent de la situation de vulnérabilité dans laquelle les plaignants ont été placés à leur arrivée au Canada, écrit la juge. Guatémaltèques et venus dans le cadre du PTET, ils ne parlent qu’espagnol, méconnaissent leurs droits ou les obligations liées à leur permis de travail fermé. Ils ont ainsi été trompés par l'employeur qui les a convaincus de se joindre à lui en leur faisant croire à la possibilité de modifier légalement leur permis de travail. Une fois ce piège refermé, il a abusé d’eux en les faisant travailler pour ses propres clients et dans son seul intérêt, sachant qu’ils ne détenaient pas un permis de travail valide. Il leur a soutiré de l’argent, de connivence avec le conseiller en immigration, qui a servi à rembourser les démarches de l’employeur visant à obtenir l’autorisation de recruter des travailleurs étrangers temporaires », décrit le jugement.
Les travailleurs se sont ainsi retrouvés « dans une situation d’exploitation et de dépendance dans la mesure où l’employeur menaçait de les dénoncer à l’immigration et de s’en prendre à leur intégrité physique ou à celle de leur famille au Guatemala s’ils n’acceptaient pas ces conditions. »
L’entreprise Placement Les Progrès a toujours nié les allégations de harcèlement portées contre lui. L’entreprise a toutefois déclaré faillite le 13 mars 2019, au moment où elle devait déclarer sa preuve devant le tribunal.
« Bien que la faillite de l’employeur constitue un facteur à considérer dans l’évaluation du montant des dommages punitifs, elle n’a pas pour effet d’en exclure l’octroi », explique la magistrate dans son jugement.