Le discours qui veut convaincre les Québécois qu’ils sont globalement racistes ne date pas d’hier. Il traverse leur histoire, en quelque sorte, et prend la forme suivante: laissés à eux-mêmes, les Québécois laisseraient aller leurs instincts tribaux et antidémocratiques et persécuteraient les groupes minoritaires. C’est parce qu’il portait cette conviction au fond de lui-même que Pierre Elliott Trudeau était aussi hostile à l’indépendance.
Le fédéralisme canadien civiliserait les Québécois, il les pousserait à refouler ou du moins, à contenir la tentation du nationalisme ethnique. Nous ne serions jamais naturellement portés vers la démocratie: de la conquête anglaise à la constitution de 1982, c’est toujours de l’extérieur que nous serait venu le cadre civilisateur sans lequel nous serions une petite tribu xénophobe et méchante.
Naturellement, le Canada anglais, dans sa plus grande part, n’a jamais vraiment douté de cela: il voyait le Québec comme une colonie intérieure à mater de temps en temps. Cela justifiait son regard condescendant à son endroit. Le Canada anglais aime faire passer sa vision coloniale du Québec pour une forme supérieure de progressisme humanitaire. Il lui sert de repoussoir, contre lequel il se construit à la manière d’un idéal diversitaire incarné.
Cela dit, au fil de l’histoire, ce procès a connu des moments de grande intensité et des moments de relâche. Nous sommes manifestement dans un de ces moments d’intensité. On le sait, depuis quelques années, la mouvance «inclusive», qui rassemble la gauche multiculturalistes et une bonne frange des fédéralistes radicaux, et qui profite d’une indéniable complaisance médiatique, a mené une campagne médiatique pour pousser le gouvernement à tenir une consultation sur le racisme systémique. Le système social québécois serait structuré de telle manière à exclure les minorités sans jamais l’avouer explicitement, puisqu’il se masquerait derrière le culte de l’égalité. Dans les faits, il s’agissait surtout d’imposer dans la vie publique l’idée que le racisme est un problème majeur au Québec. De ce point de vue, ils y sont parvenus. On le voit avec l’importance accordée cette année au mois de l’histoire des Noirs, une commémoration venue des États-Unis et profondément inscrite dans leur histoire et qui s’impose au Québec au rythme où s’accélère l’américanisation mentale et culturelle de notre société. Elle est valorisée médiatiquement dans la médiatiquement dans la mesure où elle permet, sur un mois, de dire et de répéter qu’au fond de lui-même, le Québec a un problème à accepter sa diversité et qu’il devrait enfin s’amender en se regardant avec les yeux de ses minorités.
Dans les médias dominants au service de la pensée correcte, il est de plus en plus inadmissible de remettre en question l’idée que le Québec soit marqué par le racisme systémique. C’est une nouvelle évidence à laquelle se fermeraient seulement les étroits d’esprits ou les nationalistes xénophobes. De même, on ne saurait critiquer une commémoration comme le mois de l’histoire des Noirs sans être suspecté immédiatement de racisme ou du moins, d’ignorance et d’intolérance.
Cette semaine, dans ma chronique du Journal de Montréal, je me suis permis néanmoins de critiquer le mois de l’histoire des Noirs. J’avançais pour cela deux raisons, une propre à notre société, et l’autre valable me semble-t-il sur une base générale. La première: c’est que l’histoire du Québec ne recoupe pas l’histoire des États-Unis. Le racisme contre les Noirs n’a pas du tout joué le rôle ici qu’il a joué aux États-Unis, où la ségrégation a succédé à l’esclavage et s’est maintenu jusqu’aux années 1960. Faut-il rappeler à ceux qui calquent l’histoire du Québec sur celle des États-Unis le titre du plus célèbre ouvrage de Pierre Vallières? La deuxième, c’est que je m’inquiétais d’une racialisation des rapports sociaux et d’une définition des hommes à partir de leur couleur de peau. Faut-il vraiment racialiser le genre humain et y voir un progrès? Il semble bien que la race s’impose à nouveau comme catégorie sociale, identtiaie et politique dans le monde occidental, mais puisqu’elle revient par la gauche, plusieurs se sentent obligés de célébrer ce mouvement, en ayant l’impression de se mettre à l’écoute des minorités et de leurs lobbies. Je me permets néanmoins de le répéter : les Noirs américains ne sont pas des Haïtiens qui ne sont pas des Kenyans, les Québécois ne sont pas des Écossais, qui ne sont pas des Lettons, qui ne sont pas des Russes, et il y a quelque chose de régressif à l’idée d’écrire l’histoire de l’humanité à la manière de grands groupes raciaux. Chose certaine, elle deviendrait à ce moment inintelligible.
On m’a reproché sévèrement cette double critique. Cela m’a valu, de la part d’un journaliste de la CBC, l’étrange tweet suivant. «A columnist in the largest-circulation daily in Quebec suggests Black History Month represents the "Americanization of the Quebec mentality" and "deforms" our vision of society. Again, in the largest-circulation daily in Quebec». Je ne crois pas surinterpréter son propos en disant qu’il laissait clairement entendre que le point de vue que j’avançais était inacceptable et qu’il était inadmissible qu’il puisse s’exprimer dans un journal à grand tirage – au pire, on comprend qu’il serait prêt à le tolérer dans un canard marginal. On voit là une manifestation parmi d’autres de la tentative récurrente, dans la gauche «inclusive» de proscrire du débat public «mainstream» ceux qui ne se soumettent pas à l’orthodoxie diversitaire.
Doit-on comprendre que la critique de l’américanisation de la société québécoise et de la racialisation des rapports sociaux ne devrait pas se faire entendre dans les grands médias? Doit-on comprendre que pour lui, un tel point de vue est à ce point irrecevable qu’un grand journal se disqualifie moralement lorsqu’il lui fait une place? Je serais curieux qu'on m'explique franchement et avec un argumentaire un peu détaillé quelles idées devraient être les bienvenues dans la conversation démocratique et quelles idées doivent être tenues dans les marges tellement elles ne sont pas respectables.
On y revient: derrière le procès en racisme contre le Québec, on trouve un procès contre le peuple québécois, auquel on reproche globalement d’exister. Qu’il y ait des racistes au Québec comme partout ailleurs, tous en conviendront, mais que le racisme soit ici un phénomène massif, structurel et systémique, c’est une chimère à laquelle il ne faut pas se soumettre. En fait, on ne tolère pas que le peuple québécois ne perçoive pas sa réalité à partir d’une grille de lecture sociologique américaine. On ne tolère pas qu’il ne se convertisse pas mentalement aux catégories idéologiques élaborées par les sciences sociales militantes américaines. On ne tolère pas qu’il préfère se définir dans le langage de la culture plutôt que de la race. On ne tolère pas non plus qu’il se montre favorable à une conception de la laïcité et de l’identité étrangère à celle qui prévaut aux États-Unis et au Canada anglais. On ne tolère pas qu’il prenne les moyens politiques nécessaires pour assurer la survie et l’épanouissement du français comme langue nationale et commune.
Les Québécois, devant ce mouvement, sont appelés à résister intellectuellement et politiquement: ils doivent éviter d’intérioriser le regard culpabilisant et méprisant de ceux qui les regardent de haut et qui disposent pour l’instant de l’appui des grands médias de la pensée correcte.