Tartuffe n’est pas mort

Je voudrais simplement faire remarquer à André Pratte que je n’ai pas eu besoin d’attendre le mondialisme qu’il défend pour regarder par-dessus les clôtures

VLB - coup de pied dans la fourmilière

(version intégrale)
Tandis que Marco Fortier du Journal de Montréal me traite d’habitant bouseux qui devrait sortir de sa grange, [André Pratte parle dans son éditorial du 15 février dernier->11824] du Québec ancien de Trois-Pistoles que je représenterais. J’y vois une insulte, non pour moi, mais pour mon coin de pays, pour tous ceux- là qui y vivent courageusement, dans une modernité qu’André Pratte aurait grand intérêt à visiter entre deux cours de langues étrangères grâce auxquels il peut enfin soigner la maladie dont il est atteint, ce multilinguisme mangeur de méchants indépendantistes.
Je voudrais simplement faire remarquer à André Pratte que je n’ai pas eu besoin d’attendre le mondialisme qu’il défend pour regarder par-dessus les clôtures qui entourent ma grange dans ce Québec ancien de Trois-Pistoles. J’ai consacré une bonne partie de ma vie à écrire sur Victor Hugo et Voltaire (deux Français), sur Herman Melville (un Américain), sur Léon Tolstoï (un Russe), sur Margaret Atwood (une Canadienne anglaise), sur James Joyce (un Irlandais), sur José Lima (un Cubain), sur Ernesto Sabato (un Argentin) et sur Jack Kerouac (un Franco-Américain).
À ce que je sache, ces écrivains ne font guère partie de ce monde ancien que dénonce André Pratte. Ils s’inscrivent au cœur même de notre modernité québécoise. Je sais que c’est difficile à comprendre quand on n’est qu’un Montréaliste anglaisé qui a tellement besoin de s’ouvrir au monde qu’il en oublie de lire la littérature qui, pour s’écrire dans l’arrière-pays, a comme source commune notre histoire et celle du monde.
Si André Pratte avait lu le James Joyce que j’ai écrit, peut-être saisirait-il mieux ce pour quoi je me bats. Les lexiques et les dictionnaires qu’il doit maintenant acheter pour soigner son multilinguisme coûtant cher, permettez-moi de jouer à l’habitant économe et de lui offrir ici gratuitement un extrait de mon ouvrage :
« Je suis Québécois, dans un pays anglophone qui s’appelle le Canada et que je ne considère pas comme étant mien. Je ne suis pas bilingue et c’est par choix que je ne le suis pas. En fait, je le suis presque, mais malgré moi. L’univers dans lequel je vis, travaille, souffre et jouis, n’est jamais tout à fait le mien : il appartient d’abord à l’Amérique anglophone qui m’impose son langage, pollue le mien et le pervertit ; il appartient ensuite à ce qui reste de ce qui fut autrefois ma mère patrie qui m’impose aussi son langage, pollue le mien et le pervertit. Être Québécois, c’est reprendre langue afin que je puisse tout dire dans mes mots, un rythme et une sonorité faisant état de ma singularité. Joyce m’est donc nécessaire. Il vous incombe d’Irlander de sens ce son, dit-il de Dieublingue (qui n’est autre que Dublin forcée à devenir bilingue). Il ajoute :
« Les Babéliens et toutes leurs langues ont existé en vain (que la confusion les étouffe!), ils furent et disparurent ; il y eut les Tu-mesuis, les hymniques Houyhnhnms, les avenants norglais, et toute une polyfoule de Fiana. Les hommes ont fondu, les bureaucrates ont subséqué, les blonds cherché les brunes : M’aimes-tu, ma chère amie ? Et les brunes quidames ont rétorqué à leur blond compagnon : où aigue donc ton présent, aspèce d’abécibeta ? »
N’étant pas certain qu’au stade où André Pratte doit en être rendu dans l’apprentissage du multilinguisme il puisse entendre vraiment le langage de James Joyce, je lui suggère donc de lire un petit ouvrage paru à l’époque de ce Québec ancien qu’il dénonce, soit il y a plus de cent ans. Ça a été écrit par Joseph Quesnel, c’est une pièce de théâtre et elle s’intitule L’Anglomanie. En la lisant, André Pratte pourra y jouer tous les tartuffes qui y fourmillent puisqu’il les rassemble fort bien dans sa seule personne en promouvant le multilinguisme pour mieux nous faire oublier que le seul monde qu’il défend n’est pas l’ouverture aux autres et à leurs langues, mais l’anglomanie de cette pseudo élite qui fait ses choux gras de son asservissement au pouvoir anglophone et qui voudrait, pour s’en déculpabiliser, qu’on devienne tous comme elle, de petits chiens domptés et contents de l’être.
Malheureusement pour cette pseudo élite, je crois qu’ont encore un sens, pour le Québécois que je suis, les mots qu’elle tente de censurer absolument : race, identité, nation, peuple, patriotisme, patrie, langue québécoise-française, liberté et indépendance.
Victor-Lévy Beaulieu
Écrivain et éditeur


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Victor-Lévy Beaulieu84 articles

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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision





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