LA RÈGLE DU «SUB JUDICE»

Tabou parlementaire

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Baliser plutôt qu'interdire

Si la règle du «sub judice» — ne pas parler d’une affaire devant le tribunal — à l’Assemblée nationale a sa raison d’être dans notre système juridique, son application stricte par les présidents de l’Assemblée nationale en général, et Jacques Chagnon en particulier, bride excessivement la délibération parlementaire. Surtout lorsqu’il est question d’accusations contre des représentants politiques.
Nos règles parlementaires ne manquent pas de paradoxes. Un élu peut bien traiter un autre de « clown » ou d’« aigrefin » dans le couloir menant au Salon bleu, mais il doit s’abstenir de le désigner ainsi — ou de tout autre terme du lexique des mots non parlementaires — une fois qu’il a pénétré dans l’auguste lieu des débats.

Dans ce même lieu, l’élu jouit d’une immunité exceptionnelle. Il peut porter des accusations graves sans risquer d’être traîné devant un tribunal. Il formulerait ces mêmes accusations à l’extérieur du Salon bleu qu’il risquerait des poursuites judiciaires. Un autre de ces paradoxes vient d’être mis en relief la semaine dernière. Tout le monde, partout, dans les couloirs du parlement, dans les médias, peut parler des graves accusations déposées contre l’ancienne vice-première ministre Nathalie Normandeau et les six autres accusés du 17 mars, mais on ne pourra, au Parlement, questionner le gouvernement sur le sujet. Le député qui ose l’aborder ne pourrait même pas faire mention des actes d’accusation sans que le président l’interrompe. La fameuse immunité, privilège parlementaire « rempart de la société démocratique », est donc sérieusement limitée.

Pourquoi ? En raison de l’interprétation stricte, par les présidents de l’Assemblée nationale et aujourd’hui par Jacques Chagnon, de la règle de droit parlementaire du sub judice, locution latine signifiant « devant le juge ». Selon celle-ci (art. 35.3 du règlement), « le député qui a la parole ne peut […] parler d’une affaire qui est devant les tribunaux […] si les paroles prononcées peuvent porter préjudice à qui que ce soit ».

Certes, la règle est ancienne. La séparation des pouvoirs l’impose. L’exécutif ou le législatif ne doivent pas s’immiscer dans le travail du judiciaire et inversement. Lorsqu’on aborde au Salon bleu les actes visés par des accusations, « l’audition qui doit se tenir devant le tribunal » risque de se « transporter sur le parquet de l’Assemblée nationale ». Si notre régime s’accommode de la confusion des pouvoirs exécutif et législatif, le judiciaire, lui, doit être protégé des interventions des autres branches de l’État. Les droits d’un accusé en dépendent.

En mai 1982, le premier ministre René Lévesque avait fait avorter le procès de Claude Vermette, l’un des ex-inspecteurs de la GRC qui, dans les années 1970, avaient volé la liste de membres du Parti québécois. Le juge avait conclu que le « chef du pouvoir exécutif » du Québec, en se prononçant sur le fond de l’affaire, avait rendu impossible la tenue d’un procès juste et équitable ; aucun jury impartial ne pourrait être formé. « Le premier ministre dénonça non seulement les agissements du témoin dont il attaqua la crédibilité dans un langage imagé et abusif, mais aussi ceux des avocats de la défense, du gouvernement fédéral et de la GRC. Il accusa même les membres de la GRC d’avoir commis divers crimes. Cette diatribe dura une vingtaine de minutes », relate la Cour suprême dans R. c. Vermette.

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