Super Lucien

Le vrai malaise est ailleurs. Dans l’impression bizarre que M. Bouchard est à vendre. Comme un vulgaire mercenaire.

Gaz de schiste


Jean-Simon Gagné Le Soleil (Québec) - Vous avez besoin d'un porte-parole? Vous en avez marre de votre réputation de vilain?
N'hésitez plus. Appelez à la rescousse l'ancien premier ministre Lucien Bouchard, alias Super Lucien, pour les intimes.
Vous planifiez un grand complexe récréatif greffé au Casino de Montréal, entièrement payé par les contribuables? Vous rêvez de vendre des congélateurs aux Inuits? D'exporter du sable au Sahara? De faire avaler trois cuillerées d'huile de foie de morue à chaque enfant? Un seul nom suffit. Comme un drapeau qui claque dans le vent : Super Lucien!
Vous n'avez pas d'ami? Un homme lézard au corps recouvert d'écailles s'est caché sous votre lit?
Faites le même calcul que les barons du cochon, que le Casino de Montréal, que la Société des alcools du Québec, que les universités québécoises, que l'entreprise Olymel et que le conseil d'administration de l'Orchestre symphonique de Montréal, pour ne citer que ceux-là. Dites adieu au défaitisme et téléphonez en vitesse au héros!
Super Lucien ne peut pas toujours faire un miracle. Mais il peut éviter de sombrer comme le président Bill Clinton, qui en fut réduit à encourager son entourage en ces termes :
«Après m'être regardé aux nouvelles de fin de soirée, même moi, je ne suis pas sûr que je voterais pour moi.»
Ces jours-ci, on apprend que Super Lucien a répondu à un appel de détresse de l'Association pétrolière et gazière du Québec.
Réhabiliter l'exploitation du gaz de schiste au Québec, ce n'est pas exactement défendre la veuve et l'orphelin. Mais justement, qui a dit qu'un super-héros devait jouer les organismes de charité?
Des fans de Barney le dinosaure? Des accros de Passe-Partout?
En termes de relations publiques, l'efficacité de l'ancien premier ministre s'est longtemps comparée à celle d'une charge de cavalerie lourde sur une mince muraille faite de guimauve et de pain tranché.
Ou à celle d'un porteur de ballon de 800 livres jouant dans une ligue de pee-wees unijambistes.
Il est vrai qu'avec le temps, l'étoile de l'ancien premier ministre a pâli. Il y a quelques années, sa célèbre déclaration sur les Québécois qui ne travaillent pas assez possédait toute la subtilité d'un discours du général Custer à propos des Peaux-Rouges.
N'exagérons rien. Sondage après sondage, l'ancien premier ministre s'impose comme l'un des politiciens les plus populaires du Québec. Remarquez. On pourra dire que ce n'est pas difficile. Désormais, même un bonsaï ferait de l'ombre au premier ministre Jean Charest...
Tous les superhéros possèdent une arme secrète. Celle de Super Lucien, c'est la capacité de piger dans l'immense capital de sympathie accumulé au fil d'une spectaculaire carrière politique.
Combien de temps pourra-t-il profiter de cette potion magique?
Difficile à dire. Super Lucien a peut-être atteint le sommet de son art en 2004, alors qu'il représentait la Société des alcools du Québec (SAQ) lors d'un conflit de travail.
Le contrat lui aurait rapporté la modique somme de 199 500 $. En deux mois et demi! Remarquez, cela ne l'empêchait pas de traiter les employés de la SAQ comme des enfants gâtés.
On dira ce que l'on voudra, mais recevoir plus de 500 $ l'heure pour exiger que les autres se serrent la ceinture, ce n'est pas à la portée du premier venu. Hormis Super Lucien, qui pourrait se permettre une telle indécence, je vous le demande?
Périodiquement, on peut lire de savantes analyses sur les intentions de l'ancien premier ministre. A-t-il renoncé à ses convictions indépendantistes? Prépare-t-il un retour politique, sous la bannière d'un invisible parti de centre droit, version électorale du couteau sans manche dont on aurait oublié la lame?
Le vrai malaise est ailleurs. Dans l'impression bizarre que M. Bouchard est à vendre. Comme un vulgaire mercenaire.
Les cyniques diront qu'il doit gagner sa vie, comme tout le monde. Ceux-là ajouteront qu'un avocat sincère, cela apparaît aussi contradictoire que de l'eau sèche.
Mais venant d'un politicien qui soulevait jadis un espoir considérable, au point d'être comparé à René Lévesque, la chute est vertigineuse.
Comme disait un cinéaste américain : «Tout le monde ne peut pas être un superhéros. Sinon, qui se tiendrait sur le bord de la route pour les applaudir?»


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