Sortir le «cheuf» de sa noirceur

Un grand premier ministre, Maurice Duplessis ? Martin Lemay l’avance sans nous en convaincre.

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«Duplessis n’était pas le diable»

Dans une société attachée à son histoire, le livre de Martin Lemay, À la défense de Maurice Duplessis, déchaînerait les passions. Le long règne (1936-1939 et 1944-1959) du chef de l’Union nationale a laissé une marque indélébile dans notre histoire contemporaine. Incarnait-il, comme certains l’ont cru, la quintessence du Québec conservateur, respectueux de la trajectoire canadienne-française, ou un grossier traditionalisme autoritaire, acharné à empêcher une saine modernisation du Québec ?

Dans le regard que l’on jette sur la figure de Duplessis se joue, encore aujourd’hui, un affrontement idéologique constitutif de notre vision du Québec. Repoussoir par excellence aux yeux des progressistes qui trouvent le Québec qu’ils aiment dans la Révolution tranquille, celui que l’on surnommait le « cheuf » mérite-t-il la mauvaise réputation qu’il traîne depuis sa mort, en 1959 ?

Ex-conseiller municipal montréalais et ex-député péquiste (2006-2012), Martin Lemay, qui se réclame du conservatisme politique, entend réhabiliter l’oeuvre de Duplessis. Porté sur la polémique, il n’hésite pas à affirmer que « Maurice Duplessis a été le plus grand premier ministre de l’histoire du Québec » et à ajouter qu’il voterait pour le chef de l’Union nationale si ce dernier pouvait encore se présenter à une élection. Lemay aime le nationalisme autonomiste de Duplessis, « sa gestion prudente des deniers publics », sa vision économique capitaliste et sa détermination.

L’essayiste, déjà auteur de deux livres très critiques envers la gauche québécoise, s’en prend avec vigueur et clarté à ce qu’il appelle le « mythe de la Grande Noirceur ». Depuis 50 ans, note-t-il, le consensus veut que Duplessis ait été « une canaille et un despote » et le grand responsable du « sous-développement chronique » du Québec à son époque.

Or, Lemay rejette cette lecture historique, qui ne retient, selon lui, que l’argumentation des adversaires de Duplessis, parmi lesquels on trouve principalement Pierre Elliott Trudeau, Gérard Pelletier, Jacques Hébert, l’historien Marcel Trudel, le sociologue Marcel Rioux, de même, chez les vivants, que le journaliste et historien Jean-François Nadeau.

Même s’il se scandalise à plusieurs reprises des « outrances verbales » des tenants de la thèse de la Grande Noirceur, Lemay n’évite pas ce travers en affirmant qu’en donnant raison aux dénigreurs les plus virulents du duplessisme, « les Québécois ont été les victimes consentantes d’une des plus grandes opérations de mystification de leur histoire et […] de l’histoire occidentale ».

L’argumentation de l’essayiste, c’est une évidence, ne convaincra pas les contempteurs du « cheuf ». Lemay a beau prétendre que sa réflexion se fonde sur les faits et non sur des légendes et préfère la rigueur à la politique, il reste que sa démarche repose sur un parti pris idéologique, favorable au courant de la droite conservatrice. Cela est légitime, bien sûr, mais ne peut être assimilé à un regard objectif.

On sera d’accord avec Lemay pour affirmer que l’expression « Grande Noirceur », utilisée pour décrire le Québec des années 1940-1950, est hyperbolique. À l’échelle des malheurs du monde, vivre sous le duplessisme n’était certainement pas le pire des sorts. Entendre Gérard Pelletier, membre du gouvernement Trudeau à l’époque de la Loi sur les mesures de guerre, comparer Duplessis à Hitler, à Staline et à Pétain au moment où René Lévesque voulait installer la statue de l’ex-premier ministre du Québec devant l’Assemblée nationale, a quelque chose de gênant, c’est vrai.

Antisyndicalisme

Cette admission ne disculpe pas pour autant Duplessis de tout blâme sévère. Que penser, en effet, d’un premier ministre nationaliste qui offre son peuple travailleur en pâture aux investisseurs étrangers anglo-saxons, en quête d’une main-d’oeuvre docile et matée, si nécessaire ? Duplessis se méfiait des syndicats, mais pas des travailleurs, écrit Lemay.

Sans les premiers, pourtant, que le « cheuf » n’a cessé d’assimiler injustement à des communistes séditieux, les seconds ne pouvaient qu’être désarmés devant les capitalistes peu scrupuleux de l’époque, d’autant que Duplessis réduisait le rôle de l’État à celui de policier de l’ordre établi. Quand Lemay affirme que « le récit de l’antisyndicalisme de Duplessis a été nettement exagéré » et cite Conrad Black pour saluer la vision économique de son héros, on ne peut que se dire que l’amour rend encore plus aveugle que la colère.
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