C'est partout, et en même temps nulle part. Mises à part les promesses entourant l'immigration, les discours sur l'identité québécoise sont à peu près absents de la présente campagne électorale. Mais les changements qui s'opèrent actuellement dans la société pourraient profondément bouleverser le paysage politique du Québec. Le HuffPost Québec a fait un tour d'horizon pour comprendre la complexité de l'identité québécoise en 2018.
La fin du «Québec d'abord»
Des changements importants sont en cours depuis une dizaine d'années au Québec. La société se diversifie et se complexifie. Les questions qui étaient au centre de la politique québécoise — on pourrait même dire LA question, celle de l'indépendance — sont reléguées aux banquettes arrières.
Un nouveau sondage exclusif du HuffPost Québec, commandé auprès de la firme Léger, montre un important renversement de tendance. Les Québécois — même les francophones — ne se définissent plus d'abord et avant tout comme Québécois.
Selon ce sondage, seulement 48% des francophones se considèrent comme «Québécois d'abord» ou «Québécois uniquement», un chiffre qui descend à 39% pour l'ensemble de la population. À l'inverse, 33% des répondants se considèrent «autant Québécois que Canadien» et 23% se définiraient d'abord ou uniquement comme Canadien.
En 2011, 60% de la population se définissait d'abord comme Québécois, selon un sondage semblable publié à l'époque. D'autres études ajoutant l'étiquette «Canadien-français» indiquaient qu'entre 67% et 69% des francophones se disaient «Québécois d'abord».
«Le seul résultat qui croît depuis quelques années, c'est la proportion de gens qui se disent à peu près également Canadien et Québécois», affirme Christian Bourque, vice-président exécutif de Léger.
Le changement n'est pas anodin, surtout pour le mouvement souverainiste. Le chef du Parti québécois (PQ) Jean-François Lisée faisait des présentations sur cette question en 2012, à l'époque où il dirigeait le Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM).
«L'identité, c'est la colonne vertébrale du vote souverainiste. [...] Il n'y a aucun doute que si on avait eu 69% de francophones qui se disaient "Québécois d'abord" en 1995, le Oui aurait gagné», affirmait-il dans une présentation qui est toujours disponible sur YouTube.
Les chiffres du sondage commandé par HuffPost Québec vont dans le sens des commentaires émis par M. Lisée en 2012. Environ 37% des gens appuieraient la souveraineté si un référendum était tenu aujourd'hui, une fois répartis les indécis. Ce chiffre bondit à 77% chez ceux qui se considèrent comme «Québécois d'abord».
Québécois, Canadien... et autre
La question de l'identité est aujourd'hui beaucoup plus complexe qu'un simple choix entre le Canada et le Québec. Selon M. Bourque, les jeunes générations multiplient les différentes identités nationales, ethniques et culturelles. Surtout lorsqu'ils sont immigrants, allophones ou issus de minorités visibles, tous des groupes qui sont en croissance au Québec.
Pour bien des jeunes aujourd'hui, ce n'est pas un ou l'autre. On a le droit d'être plusieurs choses en même temps sans jamais que ça ne soit en contradiction.Christian Bourque, vice-président exécutif, Léger
«Pour bien des jeunes aujourd'hui, ce n'est pas un ou l'autre. On a le droit d'être plusieurs choses en même temps sans jamais que ça ne soit en contradiction. [...] Les nouveaux arrivants aussi sont comme ça. Ils empilent les identités et l'une ne chasse pas l'autre», dit-il.
Le sondage Léger/HuffPost montre bien ce phénomène. Les immigrants et les personnes issues de minorités visibles sont plus portés que les autres à indiquer que leur origine ethnique est une partie importante de leur identité (22% et 27% respectivement, contre 10% pour les membres de la majorité). En même temps, très peu de répondants affirment que leur identité première est autre que québécoise ou canadienne (2%).
Selon le dernier recensement, 13,7% des Québécois sont nés à l'étranger et un peu moins de 13% font partie d'une minorité visible.
Réticences envers le Québec
Diverses études produites au cours des dernières années, notamment par l'Association d'études canadiennes, (AEC), montrent que l'attachement envers le Québec est majoritaire chez les allophones, mais il est moins fort que chez les francophones. Parallèlement, l'attachement au Canada est plus élevé et l'attachement à la municipalité — généralement Montréal — est comparable.
«Les immigrants ne se voient pas nécessairement reflétés dans les institutions et dans les discours des élus et des médias ici au Québec, comparativement à ce qu'on voit à Montréal et au Canada dans son ensemble. Le discours a l'air d'être plus diversifié, les gens qui gèrent les institutions sont plus diversifiés et les enjeux sont décrits d'une manière qui a l'air de toucher cette diversité plus largement que le discours québéco-québécois», explique Jack Jedwab, vice-président exécutif de l'AEC.
Il peut y avoir plusieurs paliers d'identité. Mais de mettre de côté systématiquement l'identité québécoise, je pense que c'est un choix qui serait dangereux pour notre avenir et notre démocratie.Paul Saint-Pierre Plamondon, candidat du PQ dans Prévost
Cette situation désole Paul Saint-Pierre Plamondon, candidat du PQ dans la circonscription de Prévost. En 2016, «PSPP» s'est fait confier le mandat trouver des façons de rajeunir et de diversifier son parti.
«Je m'inquiète de la démonisation de l'identité québécoise [...] Il peut y avoir plusieurs paliers d'identité. Mais de mettre de côté systématiquement l'identité québécoise, je pense que c'est un choix qui serait dangereux pour notre avenir et notre démocratie», dit-il en entrevue au HuffPost Québec.
M. Saint-Pierre Plamondon estime que le Québec doit s'efforcer de bâtir une société plus juste afin que tous les citoyens y trouvent aisément leur compte.
Les résultats du sondage Léger/HuffPost ont été obtenus à l'aide d'un sondage Web réalisé du 17 au 21 août 2018, auprès d'un échantillon représentatif de 1 010 Québécois, âgés de 18 ans ou plus et pouvant s'exprimer en français ou en anglais.