SNC, le PDG et les pots-de-vin

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La clé, c'est Porter

L'horizon s'éclaircit sur cette incroyable histoire de pot-de-vin de 22,5 millions de dollars versé pour obtenir le contrat du CUSM, le superhôpital montréalais de l'Université McGill.

Une question-clé demeure toutefois irrésolue: quel était l'intérêt de l'ex-PDG de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, dans cette affaire? Pourquoi aurait-il fait les gestes criminels que lui reproche l'acte d'accusation?
Selon les témoins de la commission Charbonneau, les principaux dirigeants du CUSM, Arthur Porter et Yanaï Elbaz, ont permis au consortium SNC-Lavalin de remporter illégalement le contrat de construction de 1,3 milliard en échange d'un pot-de-vin secret de 22,5 millions.
Pour aider SNC-Lavalin, les deux complices ont discrédité le projet du concurrent, mais, surtout, ils ont transmis à SNC des renseignements confidentiels, notamment les plans du concurrent.
Le pot-de-vin versé à Porter, à Elbaz et à son frère a été autorisé par le vice-président construction de SNC, Riad Ben Aïssa, et entériné par le président de SNC, Pierre Duhaime. Pour le moment, l'enquête n'a pas démontré que Duhaime ait touché quoi que ce soit pour ce geste réputé criminel. Alors, quel était donc son intérêt personnel?
Deux hypothèses viennent à l'esprit des observateurs avisés. Pour comprendre, il faut d'abord prendre la mesure des gestes faits.
Un faux contrat
En décembre 2009, un faux contrat de courtage est signé entre SNC-Lavalin International et une occulte firme des Bahamas appelée Sierra Asset Management. Les policiers découvriront plus tard que Porter et les frères Elbaz sont les bénéficiaires des fonds de Sierra.
Le contrat stipule que Sierra recevra une juteuse commission si elle permet à SNC d'être le maître d'oeuvre d'un projet gazier de 1 milliard de dollars en Algérie. En réalité, ce projet était celui du CUSM.
Deux témoins attestent que Pierre Duhaime savait qu'il s'agissait d'un contrat de courtage bidon.
D'abord, le signataire officiel du contrat pour le compte de SNC-Lavalin International, Ron Denom, en avait conservé une copie sur laquelle il avait inscrit, à la main, avoir signé le contrat «selon les instructions de P. Duhaime et R. Ben Aïssa - secret absolu - «contente-toi de signer, ne pose pas de questions» ».
Ensuite, le chef des affaires financières de SNC-Lavalin, Gilles Laramée, a admis avoir appris en 2010, au cours d'une réunion avec Duhaime et Ben Aïssa, qu'un courtier avait été engagé pour le projet du CUSM, mais que la commission de 22,5 millions serait imputée à un autre projet (le projet algérien). Laramée s'est opposé à ce leurre, ce qui ne fut pas le cas de Pierre Duhaime, selon un rapport du conseil d'administration de SNC-Lavalin.
Le contrat était bidon à plus d'un égard. Non seulement ne visait-il pas le bon projet, mais en plus il était antidaté, c'est-à-dire qu'il a été signé en décembre 2009, mais portait la date du 1er mai 2009. Il devait être antidaté pour berner les vérificateurs, puisqu'il portait sur un projet gazier algérien octroyé en juin 2009 (le projet CUSM devait originalement être accordé en décembre 2009).
Qui plus est, le contrat ne portait qu'une signature de SNC-Lavalin - celle de Ron Denom -, ce qui contrevenait aux procédures internes de l'entreprise. Ron Denom a d'ailleurs noté cette violation des règles dans sa copie personnelle.
Ironiquement, ce contrat de pot-de-vin comprend une clause qui stipule qu'en vertu des lois canadiennes, il est interdit de corrompre un officier public en lui offrant des avantages destinés à influencer ses décisions!
Bref, les preuves des enquêteurs apparaissent solides quant aux accusations de «fraude, complot et usage de faux» à l'endroit de Pierre Duhaime, selon la commission Charbonneau. Mais nulle part n'est-il question qu'il ait tiré des profits personnels de cette affaire.
La première hypothèse, c'est qu'il ait fait ce geste criminel pour doper les résultats de SNC-Lavalin, ce qui aurait pu avoir une incidence directe sur l'action en Bourse et sur sa rémunération. Cette hypothèse est peu plausible, toutefois, sachant que le titre boursier de SNC-Lavalin voguait déjà au-dessus de celui de ses pairs, à l'époque, et que l'impact d'un seul contrat sur les profits s'étend sur quelques années.
La seconde hypothèse, c'est que SNC-Lavalin et son PDG cherchaient à tout prix à gagner cet appel d'offres pour se tailler une place dans le marché des superhôpitaux dans le monde. Le projet du CUSM, rappelons-le, était alors l'un des plus importants en Amérique du Nord. Ce contrat devenait stratégique pour l'organisation.
Sachant que la multinationale a eu des problèmes éthiques dans plusieurs pays, dont l'Algérie, la Libye, la Tunisie, le Bangladesh, la Suisse et le Canada, est-il possible que ces problèmes aient été liés à une certaine culture d'entreprise? Que l'approbation d'un faux contrat destiné à masquer un pot-de-vin criminel était devenue une affaire banale? Que les fins stratégiques de l'organisation justifiaient les moyens?


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