Sitôt couronné, sitôt attaqué

Justin Trudeau prend les rênes du Parti libéral du Canada

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Nouveau chef et premières attaques

C’était écrit dans le ciel et le ciel aura vu juste. Justin Trudeau, le député de Papineau, la rock star de la politique fédérale canadienne, le fils de l’ancien premier ministre Pierre Elliott, a accédé dimanche soir au trône libéral. Un trône ayant certes perdu de son lustre, mais que le principal intéressé entend redorer d’ici l’élection de 2015.
« Sachez ceci : ce que nous avons gagné aujourd’hui, ce n’est rien de plus, rien de moins que l’occasion de travailler encore plus fort pour nous montrer dignes de diriger ce grand pays », a lancé M. Trudeau dans son discours de victoire à une foule en liesse. Il en a appelé à l’unité des troupes libérales. « Ça m’importe peu si vous croyiez que mon père était exceptionnel ou arrogant. Ça m’importe peu si vous êtes un libéral de [Jean] Chrétien, un libéral de [John] Turner, un libéral de [Paul] Martin ou n’importe quel autre type de libéral. L’ère des clans au sein des libéraux prend fin dès maintenant, ce soir. À partir d’aujourd’hui et pour l’avenir, il n’y aura qu’une sorte de libéraux, et ce seront les libéraux canadiens. Unis dans notre désir de servir et de mener les Canadiens. » Jean Chrétien, Paul Martin et Stéphane Dion étaient tous présents pour l’annonce des résultats de dimanche.
Il n’aura suffi que d’un seul tour pour que le favori de la course remporte les 50 % plus une voix exigées pour être désigné gagnant. Justin Trudeau a même obtenu 80 % des 30 800 points disponibles lors de ce scrutin préférentiel. Le vote était pondéré par circonscriptions, chacune des 308 valant 100 points. Chaque candidat obtenait une part des 100 points en proportion des votes obtenus dans cette circonscription. Justin, comme l’appelle déjà son parti, en a raflé au total 24 669.
Les adversaires de M. Trudeau ont terminé loin derrière. La députée Joyce Murray, qui militait pour une coopération de la gauche, a obtenu 10 % des points, suivie de Martha Hall Findlay avec 5,7 %. Martin Cauchon, le seul autre Québécois de la course et ex-ministre de la Justice, n’a obtenu qu’un maigre 2,7 %, tandis que Deborah Coyne et Karen McCrimmon ont fermé la marche avec moins de 1 % chacune.
Justin Trudeau a eu des mots particuliers pour les Québécois, dont il sait devoir gagner la confiance. Il fait le pari que les Québécois « n’ont pas de temps pour les enjeux de division du passé de leurs parents, mais veulent travailler avec les Canadiens qui partagent leurs valeurs pour bâtir un pays meilleur pour nos enfants ». Il dit avoir été touché par les conversations qu’il a eues dans la province. « Je ne prends rien pour acquis. Je sais que la confiance, ça doit se mériter. Et je compte bien mériter la vôtre.»
Les attaques à l’horizon
Justin Trudeau a dit s’attendre à ce que les attaques de ses adversaires débutent très bientôt, en particulier celles du Parti conservateur. « Le Parti conservateur fera ce qu’il sait faire. Il tentera de répandre la peur. Il récoltera le cynisme. Il tentera de convaincre les Canadiens que nous devrions être satisfaits de ce que nous avons déjà. […] Et ils feront la promotion de cette idée divisive, destructive, avec acharnement. Ils le feront pour une raison bien simple… Ils ont peur », a-t-il lancé sur un ton de défi bien senti.
De fait, les attaques ne se sont pas fait attendre. Dans la minute suivant l’annonce de sa victoire, le Parti conservateur a fait parvenir aux journalistes un communiqué de presse. « Justin Trudeau a peut-être un nom de famille connu, mais dans un contexte d’incertitude économique mondiale, il n’a pas le jugement ou l’expérience pour être premier ministre. »
Le ministre du Patrimoine James Moore, dépêché comme observateur sur les lieux, a d’abord félicité le nouveau chef. « Félicitations. C’est impressionnant de gagner la chefferie d’un parti politique du deuxième plus grand pays au monde. » Mais le pot est venu assez vite. « Il a gagné le leadership sans proposer une seule nouvelle politique, une nouvelle idée. Il a gagné sur le nom Trudeau. Alors on verra dans les prochaines deux années ce qu’il veut vraiment faire comme premier ministre. »
Les conservateurs, sous couvert de l’anonymat, ont récemment fait savoir qu’ils lanceraient dès l’arrivée de M. Trudeau une salve de publicités négatives visant à ternir sa réputation. Le thème ? Le jeune député de 41 ans « n’est pas prêt » à devenir premier ministre. Les précédentes attaques conservatrices avaient insisté sur le manque de leadership (Stéphane Dion) et d’attaches au Canada (Michael Ignatieff) des chefs libéraux pour les noircir avec succès. Selon des organisateurs libéraux, des appels avaient déjà commencé à retentir dimanche.
Le chef du NPD, Thomas Mulcair, avait raillé plus tôt dans la journée que c’était le septième chef libéral en 10 ans et rappelé que le PLC était « le troisième parti » à la Chambre des communes. « De toute évidence, ils ont encore beaucoup de choses à régler entre eux. Nous, on est une formation politique mûre, on maintient une opposition féroce, structurée face aux conservateurs de Stephen Harper. Nous sommes les seuls qui pouvons le remplacer en 2015. Alors nous allons continuer notre travail. »
Quant au chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, il a indiqué que « c’est un nouvel emballage, mais qu’est-ce qu’il y a dans la boîte ? », allusion au manque de contenu allégué du programme Trudeau. « Ça reste le bon vieux Parti libéral du Canada, fédéraliste, un appel aux Québécois à la “Je mets mon siège en jeu”, quasiment [référence à la promesse de Trudeau père en 1980]. »
Le Parti libéral se trouve en bien mauvaise posture. À la dernière élection fédérale, il a obtenu un maigre 18,9 % des voix et fait élire à peine 34 députés, dont sept au Québec, son plus faible score depuis le début de la Confédération. Il occupe à l’heure actuelle 35 sièges à la Chambre des communes, ayant convaincu la néodémocrate Lise St-Denis de changer de caucus. Le NPD, lui, détient 100 sièges, ayant perdu trois joueurs depuis l’élection (Mme St-Denis, Claude Patry passé au Bloc québécois et Bruce Hyer, devenu indépendant après avoir refusé de voter pour le registre des armes à feu).
Toutefois, les récents sondages indiquent que Justin Trudeau serait en mesure de renverser la vapeur. Interrogés par Léger Marketing à savoir pour quel parti fédéral ils voteraient si M. Trudeau dirigeait le PLC, 37 % des répondants ont opté pour cette formation, contre 30 % pour le Parti conservateur de Stephen Harper. Le NPD de Thomas Mulcair arrivait à peine à 20 %.
Dans son discours, Justin Trudeau a soutenu que la « politique positive » qu’il présentera, par opposition à celle, négative, du PC et du NPD, aidera le PLC à regagner le pouvoir.
Thomas Mulcair a soutenu pour sa part ne pas avoir peur de ces sondages, effectués par les mêmes firmes qui, en 2011, n’avaient pas su prévoir la vague orange. Il estime pouvoir convaincre les électeurs que tant qu’à voter progressiste, ils font mieux de voter pour la vraie version. « Pendant des décennies, ils ont flashé à gauche, mais ont tourné à droite », a-t-il illustré, rappelant le programme national de garderies qui n’a jamais vu le jour, ou encore le protocole de Kyoto ratifié, mais jamais mis en oeuvre.
Quant à l’idée d’une fusion, que rejette de toute manière M. Trudeau, elle ne trouve pas davantage grâce aux yeux de M. Mulcair. Il a rappelé que lors de la crise parlementaire de 2008, le NPD avait consenti à signer une entente de coopération avec le PLC qui aurait fait de son chef le premier ministre. « Le NPD s’est déjà essayé. On a proposé une coalition. Les libéraux ont renié leur signature. Maintenant, c’est à nous de nous présenter dans les 338 circonscriptions électorales, de ne concéder aucun terrain à Stephen Harper. »
Soulignons que l’ex-premier ministre Jean Chrétien a livré un discours dimanche dans lequel il a beaucoup parlé d’unité canadienne. Il a raillé le NPD de Thomas Mulcair, qui a exigé ce week-end un vote aux deux tiers pour retirer le mot « socialisme » de sa constitution, mais n’exigerait « qu’un seul vote » pour « faire perdre un pays ». Pour régler ce problème, a lancé M. Chrétien, Thomas Mulcair n’a qu’une seule solution : « Redevenez libéral ! »


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