Seul le national mobilise

L’espace politique du Québec ne se définit plus que par le combat pour l’indépendance.

Chronique de Robert Laplante

Ainsi donc les choses se défont. La modernisation canadian s’accélérant, les partis politiques de la bourgade s’en trouvent atteints de vieillissement accéléré, frappés de vétusté et relégués au rayon des accessoires surannés. L’ordre ancien ne tient plus que pour eux, rongé par l’insignifiance, miné par l’inefficience corrosive des vieux alibis. Les mots manquent actuellement. Les vieux discours tournent à vide et personne n’ose se risquer à nommer le réel. Les partis provinciaux restent convaincus qu’ils peuvent encore prendre le pouvoir en vendant du simulacre. L’électorat décroche, les préférences électorales sont volatiles au point de donner des vertiges aux sondeurs, mais rien n’y fait.
Toute la classe politique se cramponne au clientélisme à courte vue et s’empêtre dans le langage de la diversion, des faux-fuyants. C’est la restriction mentale qui charpente tous les discours. La politique provinciale tourne à vide, elle n’est plus qu’une joute sans enjeu, une arène de figurants. Tout le monde fait semblant de croire que le Québec est encore en mesure de se façonner un avenir alors que c’est la logique de la pénurie – de la pénurie fabriquée par Ottawa - qui fixe l’ordre des choses. Forêt, santé, environnement, agriculture, éducation, financement universitaire, la liste s’allonge des dossiers qui s’embrasent pendant que le gouvernement tente de se faire prendre au sérieux en posant au capitaine des pompiers qui chasse la fumée en attendant que la pluie fédérale ne vienne remplir son arrosoir.
Pendant qu’Ottawa raffermit son emprise, engrange des surplus pharamineux et poursuit son usurpation jusqu’à confisquer le 400e anniversaire de Québec, la province continue de se penser dans la politique de l’indigence. Pendant que la politique canadian continue de disloquer la cohésion de nos institutions et de notre économie, les politiciens provinciaux cherchent désespérément refuge dans le réformisme niais, tâtonnant pour trouver les bons slogans, les gadgets électoraux et les créatures médiatiques qui pourraient leur donner bonne bouche, revamper la vieille camelote et leur redonner l’assurance du vendeur de voitures d’occasion.
Les politiciens fédéraux ne sont évidemment pas en reste. Eux aussi souffrent de l’usure des vieux fonds de commerce. Le Parti libéral du Canada ne sait plus quoi inventer pour gérer les dégâts. Un congrès chaotique lui a collé une espèce de fort en thème qui n’est bon au Québec qu’à rappeler jusqu’à quel reniement sont prêts les inconditionnels du Canada. Il est pathétique, par ailleurs, de voir s’agiter les carriéristes autour du Parti conservateur, émoustillés par les succès d’un notable du Lac St-Jean qui a laissé croire, le temps d’une partielle, que le Québec est entre bonnes mains avec une bande de députés trop heureux de se découvrir utiles à brasser les vraies affaires pour mieux fuir celles de la nation. À la bourse des parvenus, ils ne seront pas les premiers à se trouver comblés d’être payés en monnaie de singe ou, comme d’autres, à se pavaner à Outremont pour mieux être utile en Ontario !
Le vieil ordre politique se meurt dans la province. Les politiciens se cramponnent aux ruines, le regard tourné vers le passé récent pour ne pas voir le bulldozer canadian en train de paver l’avenir. Mais rien n’y fera. Il n’y a plus de destin spécifique pour le Québec dans le Canada, et tout ceux-là qui font semblant de ne pas voir l’évidence se font servir de grands ricanements sceptiques par une part croissante de la nation. Même Gesca qui n’en finit plus de conscrire ses scribes pour tenter de faire scintiller les mirages ne parvient plus à contrer l’évidence : l’horizon canadian s’efface. Le Canada ne nourrit rien au Québec, ni projet, ni projection. Il n’est plus possible de faire autre chose que d’en sortir ou de se soumettre.
La politique provincialisée ne signifie rien d’autre que de prendre le Canada tel qu’il est. Gouverner la province, la proposer comme voie d’avenir, c’est se contenter des moyens que le Canada nous laisse. C’est accepter de tenir la place qu’Ottawa nous assigne, de s’y cramponner en quémandant des miettes et en s’arrangeant des finalités qu’il nous impose. Solliciter un mandat électoral dans le consentement au cadre provincial, c’est cela que ça signifie. Et rien d’autre. À cette nuance près, que les arrivistes peuvent toujours soutenir qu’ils seront plus près des mangeoires en se trouvant du côté du vrai pouvoir, celui qui se trouve à Ottawa.
Les politiciens de cet ordre révolu s’entendent autour d’un statu quo qu’aucun parti ne veut pourtant prôner tout en cherchant à continuer de le gérer. C’est ce qui explique ce consensus si ferme autour de la nécessité de se rapprocher d’un certain discours nationaliste. Tout le monde cherche à paraître, à faire comme si, pour mieux se défiler aux exigences de l’agir vrai. La nation existe, ses réactions se font sentir partout sur toutes les questions d’importance et ce sont les manifestations de ce réflexe national qui leur rendent si difficile la tâche de produire un programme politique stimulant. Seul le national mobilise. L’acceptation de l’ordre canadian, par calcul ou par résignation, les condamne à faire semblant, à s’épuiser dans la recherche des meilleurs moyens de ne pas aller au fond des choses. Il est pathétique de les voir s’échiner à rester superficiels, à se barbouiller l’intelligence pour mieux masquer la démission. L’électorat regimbe devant le réchauffé. Les platées de consolation n’apportent aucun réconfort, les miettes canadian ne stimulent aucune gourmandise. Le Québec, lui, est à la recherche de quelque chose de substantiel à se mettre sous la dent.
Pour l’instant, c’est le clientélisme qui domine la scène politique. Cela pourra peut-être encore marcher pour une élection ou deux, le temps que tout le monde réalise qu’on ne rembobine pas l’histoire.
La réhabilitation de l’identitaire, comme disent les bonimenteurs, ne rapportera rien de durable. C’est du frelaté, une manière de chercher à habiller la régression politique, celle de l’autonomisme désarmé, ce discours de la protestation sans conséquence, qui refuse de revendiquer en fixant des seuils de rupture. C’est la doctrine politicienne des temps mièvres, un esprit de résignation toujours prêt à minimiser les pertes et pour qui rien n’est jamais trop cher payé pour ne pas faire de chicane avec Ottawa. C’est la posture du consentement à l’impuissance, celle que le Canada apprécie, celle des nationalistes rouspéteurs et petits faiseurs. C’est l’éternelle quête du fruit qui ne mûrit jamais, la patience des non moins éternels « petits gains qui font grandir ». C’est le soupir embarrassé d’une autre génération qui s’apprête à se décharger de sa tâche sur les épaules de sa progéniture…
La nation pourtant s’éprouve comme telle, en dépit des ambivalences identitaires dont usent contre elles toutes les forces adverses, celles de la fatalité démographique comme celles de la domination politique ou de la lâcheté politicienne. Et c’est parce qu’elle s’éprouve s’assumant que les formulations politiques qui cherchent à composer avec l’acceptation de sa minorisation ne suscitent aucun enthousiasme. S’accommoder de la province n’inspire plus aucun mouvement de fond dans notre société.
Les partis tournent en rond en s’imaginant que la rhétorique identitaire puisse fournir un succédané de combat national. Notre combat, il se mène désormais avec un peuple rompu aux subterfuges de la politique des lamentations et conscient de la ruine du langage, un peuple mieux informé que jamais du travestissement des aspirations à l’émancipation par la mise en marché du rêve. Ses inquiétudes, fondées dans le concret de la domination qui s’exerce sur lui, sont de celles qui nourrissent les grands gestes de dépassement et qui ne s’apaisent que dans les grands accomplissements. La résignation de l’autonomisme pseudo-identitaire, celle du retour au nous mou pour mieux s’endurer canadian, celle du quémandage perpétuel et de la recherche du réconfort dans les compromis et les victoires factices, c’est terminé. Frissonner en déclinant toutes les nuances de la signification du « nous » pour mieux refuser de tirer un trait, c’est terminé. Le film a déjà joué. Les partis peuvent bien chercher un arrêt sur image, cela ne changera rien au scénario. Notre peuple s’éprouve dans une conscience de lui-même contre laquelle se dresse sa classe politique faiblarde. Nos élites politiciennes rêvent de gérer une minorité geignarde alors que la nation aspire à ce qu’on lui propose de donner le meilleur d’elle-même. La scène politique est morose parce qu’on n’y sait plus lire les moindres signes de la grandeur.
L’espace politique du Québec ne se définit plus que par le combat pour l’indépendance. Tout le reste est condamné. Notre avenir sera québécois ou notre dérive sera canadian. Nous serons acteurs de notre histoire ou figurants dans le destin que le Canada nous réserve.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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