Sarkozy et la Ve République - Du monarque républicain au Président-Soleil

IDÉES - la polis


Dans le désormais célèbre discours d'Épinal de juillet 2007, Nicolas Sarkozy, grisé encore par son triomphe électoral, déclarait vouloir conserver l'équilibre des pouvoirs: «Je ne changerai pas les grands équilibres de nos institutions, je ne tournerai pas la page de la Ve République.»
Pourtant, tout compte fait, la France est entrée sous Sarkozy dans une nouvelle ère politique qui rompt avec l'héritage gaullien: rapprochement avec les États-Unis, réintégration de la France dans l'OTAN, relation atypique avec les médias et étalage d'une vie privée, avouons-le, mouvementée.
En somme, est-ce la fin d'une certaine conception de la République, attachée à la défense de la grandeur de la France et de ses chefs d'État qui, portés à la magistrature suprême, s'érigeaient en représentants de la nation tout entière, en «monarques républicains»?
La mutation
À l'évidence, Nicolas Sarkozy consomme des ruptures avec les pratiques de la Ve République. Par exemple, le parti présidentiel n'est plus, comme au temps du RPR et de l'UDF, une grande coalition de droite, mais plutôt un parti structuré et discipliné au service de la présidence, faisant peut-être glisser la Ve République vers une forme de bipartisme.
De plus, avec des élections législatives qui se déroulent maintenant peu après le scrutin présidentiel et la réforme du quinquennat, le lien n'a jamais été aussi fort entre le président et sa majorité, lequel se comporte en chef de parti et de gouvernement. Le premier ministre demeure le chef officiel de la majorité à l'Assemblée nationale, mais prend ses ordres du président, en loyal second.
Les services de la présidence connaissent aussi une croissance marquée. Avant l'arrivée de Sarkozy, l'Élysée comptait à peine une centaine de collaborateurs, essentiellement les «hommes» du président. En 2007 ils étaient 983 et en 2009, près de 1200. Au contraire de ses prédécesseurs, Sarkozy ambitionne de créer une véritable administration présidentielle, comme ses homologues américain ou russe.
La continuité
Ces changements signifient-t-ils pour autant une rupture avec la pratique usuelle de la fonction présidentielle? Sur cette question, rien n'est moins sûr. Après tout la thèse du «super-exécutif» ne date pas d'hier, et déjà à l'époque du Général la gauche critiquait vertement la forte personnalisation du pouvoir. Pensons aussi au jeune technocrate Valéry Giscard d'Estaing qui, malgré une majorité peu conciliante, a gouverné sans contrainte de 1974 à 1981.
Bref, malgré un style qui lui est propre, Nicolas Sarkozy ne semble pas avoir véritablement modifié la nature profonde la Ve République, qui a toujours connu un président «surpuissant», sauf lors des périodes de cohabitation. En ce sens, il a raison d'affirmer ne pas vouloir «tourner la page de la Ve République».
La démocratie rationalisée
Cependant, le président Sarkozy a voulu imprimer sa marque sur le régime de la Ve République et a mandaté une commission présidée par l'ancien premier ministre Édouard Balladur pour revoir la Constitution française dans le but de moderniser et de rééquilibrer les institutions. Le comité Balladur a répondu à la «commande présidentielle» en insistant sur trois points: encadrer le pouvoir exécutif pour le rendre plus démocratique, renforcer le Parlement et finalement, donner aux Français de nouveaux droits.
Sans reprendre toutes les propositions du rapport Balladur, les parlementaires, réunis en congrès à Versailles le 23 juillet 2008, ont finalement adopté une ambitieuse réforme constitutionnelle.
Sur papier, les changements sont impressionnants: limitation de la durée de la présidence à deux mandats consécutifs, droit de parole du président devant le Parlement, contrôle des nominations du président par les commissions compétentes du Parlement, amoindrissement des prérogatives du gouvernement devant le Parlement, renforcement des droits de l'opposition, création d'un droit d'initiative législative conduisant au référendum, création d'un poste de défenseur des droits -- genre d'ombudsman -- et le droit donné aux Français de défendre leurs libertés constitutionnelles par renvoi de ces questions au Conseil constitutionnel.
Prééminence présidentielle
Même si plusieurs de ces changements sont significatifs, il n'y a pas lieu de penser que le régime en sortira bouleversé. En fait, un trait essentiel est conservé, la prééminence présidentielle, que la réforme de juillet 2008 consacre comme étant l'évolution normale de la Ve République. Et si cette réforme multiplie les contrôles d'un pouvoir sur l'autre, c'est probablement le président qui en profitera le plus.
La diminution des prérogatives du gouvernement au Parlement risque d'affaiblir encore plus le premier ministre, qui perd des moyens d'orienter la procédure législative devant une opposition et des partis ragaillardis, et il ne serait pas étonnant que le président, usant de son droit de parole et de son influence, soit appelé en renfort pour discipliner les troupes.
Force ou faiblesse
Certaines innovations prévues en juillet 2008 resteront sans doute sans effet, tel le référendum législatif sur initiative du Parlement, qui devra être appuyée d'une pétition de plus de quatre millions d'électeurs. On imagine mal comment un président jouissant d'une majorité au Parlement pourra se faire refuser une nomination par le vote des trois cinquièmes des membres des commissions concernées. Le Conseil constitutionnel, le défenseur des droits et autres tiers pouvoirs corrigeront telle ou telle mesure législative ou administrative sans pouvoir obtenir ce que le Parlement français ne peut lui-même faire: rendre politiquement responsable le chef réel du gouvernement, le président.
En ce sens, la réforme constitutionnelle voulue par Sarkozy rationalise dans son ensemble la démocratie française en maintenant ce pilier qui fait son originalité, et pour plusieurs sa faiblesse: un «super premier ministre» qui gouverne hors chambre, en Président-Soleil.
***
Antonin-Xavier Fournier, Professeur de science politique au cégep de Sherbrooke
Marc Chevrier, Professeur (en grève) au département de science politique de l'UQAM

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Professeur au département de science politique de l'UQAM - Docteur en science politique, Marc Chevrier collabore régulièrement à L'Agora depuis plusieurs années. Il a publié divers articles sur la justice, la culture politique au Québec et au Canada et sur la réforme de l'État.





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