Sacrée mission!

"Réussir ensemble en français"

Pour protéger le français de la dérive, le gouvernement Charest choisit la constance: il reste fidèle à ses premiers égarements. Après avoir réagi avec mollesse aux sombres pronostics linguistiques parsemés au cours des derniers mois, il applique maintenant une légère pommade sur une plaie béante.

Contribuant à exacerber la tension politique, la «crise» linguistique des derniers mois s'est déclinée sous quelques thèmes: il y a d'abord eu l'invalidation de la loi 104, qui colmatait une brèche de la loi 101 en matière d'accès à l'école anglaise. L'étincelle, temporairement étouffée par la cour, s'enflammera un jour en Cour suprême.
Des données du recensement de 2006 ont ensuite laissé croire à un recul du poids linguistique des francophones. Accusé de «jovialisme», le gouvernement n'a retenu de la manne de chiffres que les bonnes nouvelles! Peu après, le démographe Marc Termote a lancé un cri du coeur, invitant l'Office québécois de la langue française (OQLF) à éclairer le débat en dévoilant des études «cachées» sur cette brûlante question.
On connaît la suite: l'indolence de l'OQLF, puis son apathie politique totale, incapable qu'il a été, au moment de libérer en vrac le rapport quinquennal et le flot d'analyses, d'en tirer un bilan critique. En guise d'épilogue, le premier ministre Jean Charest a récemment clôturé le congrès de son parti armé d'une «mission sacrée»: celle de protéger et de faire progresser la langue.
Sacrée mission, oui! Le plan d'action intitulé Réussir ensemble en français, dévoilé hier par la ministre Christine St-Pierre, n'a rien pour apaiser une crise. Terne, il débite les mesures sans préciser les attentes. Souple, il prétend renverser les tendances en s'appuyant sur la bonne volonté.
Avec raison, les deux groupes d'opposition ont taillé en pièces ce plan qui noircit une seule page. Des «mesurettes!», a déploré le député péquiste Pierre Curzi. Mario Dumont a reproché au gouvernement le port éternel de ses «lunettes roses», depuis la gestion de la crise jusqu'à l'accouchement d'un plan sans saveur.
Il fallait chercher la nouveauté dans l'opération orchestrée hier: oui, des sommes pour la francisation des technologies de l'information. En effet, un ajout considérable de ressources à l'équipe de l'OQLF pour favoriser le français «sur le terrain». Certes, un rendez-vous des gens d'affaires pour célébrer l'importance de notre langue.
Mais tout cela, qui ressemble plus à du rattrapage qu'à une révolution, n'outille pas mieux l'OQLF afin qu'il s'assure de l'application rigoureuse de la loi. La ministre, qui ne souffle mot du mandat de son chien de garde et ne l'arme pas davantage pour qu'il honore la «mission sacrée» qui le commande, n'a pas choisi la voie coercitive. Elle aurait à tout le moins pu éviter de s'en remettre uniquement au bon sentiment des petites entreprises, car elle risque de prêcher seulement dans le camp des convertis.
On avance donc en plein brouillard. Mme St-Pierre peine à dire combien des 200 000 entreprises comptant moins de 50 employés doivent pousser à la roue pour faire du français la langue de travail, alors qu'on sait qu'à Montréal, la moitié des allophones travaillent en anglais. On table sur des mesures sans savoir où elles doivent mener. Il faut faire «le maximum», répond-elle, évitant la question essentielle des cibles.
Parfaitement insérées dans une opération de communication qui a suivi le budget, les intentions du gouvernement de protéger le français n'auraient pas souffert d'attendre le son de cloche de son propre organisme-conseil en la matière, le Conseil supérieur de la langue française. Celui-ci a promis pour juin un point de vue critique sur l'ensemble de la situation. Mais son verdict tombera trop tard...
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machouinard@ledevoir.com


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