Dernièrement, le gouvernement québécois et Hydro-Québec lançaient les travaux pour le détournement de la rivière Rupert, projet qui doit donner 880 MW de puissance et 8,5 TWh d'énergie. On nous dit que cette énergie est nécessaire, mais doit-elle nécessairement provenir du détournement de la rivière Rupert.
Lors de la présentation du projet aux médias, Jean Charest a dit que le gouvernement avait le devoir de présenter le meilleur projet au Québécois, alors qu'en fait, le gouvernement-Hydro-Québec ne présentent qu'un seul projet, puisque les alternatives n'ont pas été étudiées. Hydro-Québec a présenté une étude des alternatives de quatre pages, alors que son étude du projet de détournement de la Rupert fait 2650 pages.
Un ramassis de clichés sur l'éolien
Par exemple, l'étude de l'éolien tient en une page et n'est qu'un ramassis de clichés dépassés. Cette étude exhaustive de l'éolien a dû coûter au moins 20 000 $ (coût du copier/coller des clichés) alors qu'Hydro-Québec a consacré près de 400 millions aux études du détournement de la Rupert, ce n'est pas très sérieux.
C'est pourquoi j'appuie la demande d'un moratoire d'une année des groupes Fondation Rivières, Révérence Rupert et Sierra Club pour que le promoteur fasse une étude sérieuse des alternatives ou la fasse faire par des compagnies reconnues dans les domaines à étudier (par exemple, dans le domaine éolien, par un constructeur de parcs éoliens mondialement reconnu).
Comparer des pommes et des oranges
Hydro-Québec et le gouvernement prétendent que le projet du détournement de la Rupert représente la forme d'énergie la moins chère alors qu'ils comparent les coûts de l'hydraulique où Hydro-Québec est propriétaire de l'oeuvre avec les coûts de l'éolien acheté de producteurs privés, n'est-ce pas comparer des pommes et des oranges? Pourtant une analyse du RRSE présentée à la Régie de l'énergie dans le dossier du Suroît montrait que le coût de revient de l'énergie éolienne pouvait être aussi bas que 4,1 ¢/kWh dans la région de La Grande 4 - La Forge (document RRSE-Doc.7, Dossier R-3526-2004, avril 2004). Depuis le coût des éoliennes ayant augmenté, ce coût serait maintenant de l'ordre du 5 ¢/kWh.
Rappelons que notre analyse des coût est basée sur un (ou des) projet éolien permettant de produire la même quantité d'énergie et tient compte du coût du support en puissance nécessaire pour fournir le même service que le projet de la Rupert. Et surtout, rappelons que pour obtenir ces coûts, le projet éolien doit être basé sur le même type de montage financier que celui utilisé pour l'hydraulique, c'est-à-dire qu'Hydro-Québec Production serait propriétaire des parcs éoliens qu'elle se ferait construire par le privé (tout comme elle le fait pour l'hydraulique).
Quand on compare...
Il est facilement démontrable que le montage financier utilisé par une compagnie d'électricité mène à des coûts inférieurs de 20 à 40 % lorsqu'on le compare au privé :
- selon Pudget Sound Energy, une compagnie d'électricité du Nord-Ouest américain, être propriétaire des parcs éoliens est 20 % plus économique que de l'acheter de producteurs privés (Windpower Monthly, septembre 2006, p. 38)
- des documents de la Régie de l'énergie permettent de calculer l'impact des montages financiers du privé vs ceux d'une compagnie d'électricité sur les coûts de l'électricité, dans le cas d'une usine de production en cycle combiné au gaz naturel. Réf., Régie de l'Énergie, décision D-2003-159, dossier R-3515-2003, 19 août 2003, p. 20 : Hydro-Québec Distribution présente un rapport de son consultant Merrimack Energy qui évalue les coûts de l'électricité d'une usine en cycle combiné au gaz naturel où les paramètres financiers sont :
- ratio dette/équité 65 %/35%
- coût de la dette 8%
- rendement sur l'avoir propre 20 %
- résultant en un taux de financement de 12,2 %
- terme de la dette 15 ans
- dans le dossier du Suroît, où Hydro-Québec Production était le maître d'oeuvres, réf., Régie de l'Énergie, dossier R-3526-2004, document 1, HQP-3, 19 mars 2004, Réponses d'Hydro-Québec Production à la demande de renseignement No 1 de la Régie au Producteur en date du 5 mars 2004. Les paramètres financiers sont :
- ratio dette/équité 70 %/30%
- coût de la dette 6,6%
- rendement sur l'avoir propre 15 %
- résultant en un taux de financement de 9,1 %
- terme de la dette 25 ans
- en appliquant ces paramètres financiers à l'éolien (coût installé de 1500 $/kW et production annuelle de 3000 kWh du kW installé) on obtient une économie de l'ordre de 2 ¢/kWh si la compagnie d'électricité est propriétaire de l'éolien. La différence principale provient du fait qu'une compagnie d'électricité finance ses projets pour leur durée de vie, alors que dans le cas du privé, le financement est pour une période plus courte (25 ans vs 15 ans dans l'exemple d'une centrale au gaz donné ici).
- une troisième analyse (Bolinger, Wiser et Golove, Revisiting the « Buy vs Build » Decision for Publicly Owned Utilities in California Considering Wind and Geothermal Resources, Octobre 2001, disponible à http://eetd.lbl.gov/EA/EMP ) mène substantiellement aux mêmes conclusions.
Les leçons de l'expérience gaspésienne
L'expérience récente en Gaspésie a soulevé des doutes quant à l'acceptation de l'éolien par la population. Le problème provient probablement du fait que bien que la Gaspésie ne représente que 2 % du potentiel éolien québécois, le gouvernement y a concentré tout le développement pour fins de création d'emplois. D'autres régions du Québec possèdent un gisement éolien d'aussi, sinon de meilleure qualité que celui de la Gaspésie, mais leur densité de population est moins élevée. C'est le cas de la région du complexe hydraulique "La Grande" où la qualité du gisement éolien et la proximité du réseau électrique permettrait de réaliser un projet éolien compétitif au détournement de la Rupert tout en ayant une empreinte environnementale moindre.
Étant donné que la ressource éolienne du Québec est environ 75 fois plus importante que la ressource hydraulique (voir rapports Inventaire du potentiel éolien exploitable du Québec, Hélimax, juin 2005 et RRSE-DOC.7 précité), la facilité d'intégration de l'éolien avec l'hydraulique existante et la compétitivité des coûts éoliens; «la demande d'un moratoire d'une année pour que le promoteur (Hydro-Québec Production) fasse (ou fasse faire) une étude sérieuse des alternatives au détournement de la Rupert est pleinement justifiée». Je suis convaincu qu'une étude sérieuse montrerait que le détournement de la Rupert n'est pas nécessaire et n'est pas la solution du moindre coût.
Pour supporter les désirs du Québec d'exporter de l'énergie propre, dans un mémoire présenté par le SPSI à la commission parlementaire de l'économie et du travail, en janvier 2005, nous suggérions un parc éolien de l'ordre de 6000 MW dans la région du complexe La Grande pouvant permettre à Hydro-Québec d'exporter 20 TWh par année aux Etats-Unis et en Ontario. Cette suggestion a été supportée par Nature Québec dans son mémoire à la même commission parlementaire.
Réal Reid ing., M. Sc., D.A.
*L'auteur a été pendant 20 ans ingénieur d'essais et chercheur en énergie éolienne à Hydro-Québec. Depuis 2002, il est consultant en énergie éolienne. Il habite Verchères.
Rupert : pas très sérieux! - Quatre pages d'alternatives... sur 2650 pages!
Par Réal Reid
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé