En Écosse, c’est cap sur le 18 septembre, date du référendum sur l’indépendance.
Ce mardi, c’était jour de débat télévisé entre le chef du Oui – le premier ministre écossais Alex Salmond et chef du Scottish National Party (SNP) -, et le chef du Non, Alistair Darling -, membre du Parlement britannique pour le Parti travailliste et ex-ministre des Finances sous l’ex-premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown.
Aucun échec et mat dans ce débat crucial, mais des échanges nourris et constants entre les deux hommes. Un animateur allumé, un public appelé à participer aux questions tout en réagissant fortement tout au long du débat. Enfin, un «spin room» avec analystes et porte-paroles des deux camps. Bref, on était loin des débats coincés d’ici.
Dans la mesure où le Non est encore en avance, Alex Salmond devait travailler fort pour tenter de convaincre une partie des indécis.
Or, il semblait moins passionné qu’à la coutume. Plus collé sur ses «lignes» que ce à quoi on pouvait s’attendre de lui.
Après la première demi-heure, Alistair Darling, au contraire, prenait l’offensive. Sa tactique principale était un grand classique : poser certaines questions pointues et contentieuses à répétition à son adversaire en sachant fort bien qu’il ne peut pas répondre clairement sans affaiblir lui-même le projet qu’il présente.
L’économie et l’union monétaire étant les sujets prioritaires de la campagne référendaire, Darling y a appliqué sa tactique.
À plusieurs reprises, il a demandé à Salmond quel était son «plan B» si Londres refusait l’union monétaire avec une Écosse indépendante? Comme Londres le laisse d’ailleurs entendre…
La réponse tout aussi répétitive de Salmond - «je veux ce qu’il y a de mieux pour l’Écosse et le reste du Royaume Uni, soit une union monétaire qui sera dans l’intérêt des deux» -, peut facilement passer pour évasive. Alors que, dans les faits, s’il donne un «plan B», il sera cuit par ses adversaires. Même si, sur le fond, il a raison lorsqu’il note qu’une partie de la livre britannique appartient aussi aux Écossais.
L’animateur a d’ailleurs coincé lui-même Salmond en lui demandant s’il ne pensait pas qu’il «manquait de respect» envers les Écossais présents dans la salle en refusant de leur expliquer son «plan B»? Ouch. D’autant que Salmond reproche souvent aux politiciens de Londres de «manquer de respect» envers les Écossais.
À son tour, Salmond a tenté de coincer Darling. Il a remis en question son respect de la volonté souveraine du peuple écossais s’il votait Oui puisque Darling avance qu’une union monétaire ne serait pas garantie. Darling s’en est défendu en précisant que s’il respecte cette volonté, personne ne peut toutefois obliger un autre peuple à la respecter.
Bref, on entend ici la répétition de certains des mêmes arguments qui opposaient les camps fédéraliste et souverainiste en1995. Jacques Parizeau affirmant que le Québec pouvait garder le dollar canadien parce qu’une partie substantielle de celui-ci appartenait aussi aux Québécois. Et Jean Chrétien de lancer que ce ne serait pas possible.
Pour semer le doute sur la loyauté écossaise de Darling – vu comme l’homme de Londres, où il est né par ailleurs -, Salmond lui a demandé plusieurs fois s’il croyait, à l’instar du premier ministre britannique David Cameron, que l’Écosse pouvait être un «successful independent country» (un pays indépendant viable et prospère). Or, Darling n’a jamais répondu clairement à la question.
Sur les «changements» promis stratégiquement quelques heures avant le débat par le premier ministre britannique si le Non l’emporte, Salmond a demandé à Darling en quoi ils consisteraient. Darling, ne les connaissant pas plus que qui que ce soit dans le détail, n’a jamais pu donner une réponse claire.
En fait, de tous ces échanges, les moments les plus intéressants et révélateurs sont venus courtoisie du double contre-interrogatoire où chaque chef pouvait questionner l’autre à son aise.
Salmond ne ratant pas non plus, une occasion de rappeler le rôle clé de Darling pendant la crise financière de 2008 et son soutien subséquent aux politiques d’austérité. Des politiques fort impopulaires auprès de la classe ouvrière écossaise, entre autres.
***
Je résumerais ainsi l’argumentaire d’Alistair Darling à huit thèmes principaux. Certains vous rappelleront les débats entourant ici les référendums de 1980 et de 1995 :Réfléchissez avant de voter parce qu’il n’y aura pas moyen de revenir en arrière;
En restant dans le Royaume Uni, l’Écosse a le meilleur des deux mondes;
Dire «Non merci» n’est pas dire non au changement;
Le Oui demande de vous un acte de foi devant l’inconnu, le risque et l’insécurité;
L’inclusion d’une Écosse indépendante dans l’Union européenne finirait par se faire un jour, mais on en sait pas quand, ni sous quels termes;
Risquer l’indépendance, c’est risquer d’appauvrir les programmes sociaux plus généreux en Écosse;
Une union monétaire est impossible sans une union politique;
Même après deux ans de débats, les appuis au Oui n’ont pas bougé.
L’argumentaire d’Alex Salmond reposait quant à lui sur les axes suivants :Les appuis au Oui sont en progression. 4 points depuis quelques semaines.
Il y a consensus sur la capacité de l’Écosse de devenir un pays indépendant réussi;
En restant dans le Royaume Uni, les Écossais sont prisonniers de gouvernements centraux pour lesquels ils n’ont pas voté et de politiciens anglais qui, dans les faits, sont contre l’Union européenne;
Le camp du Non essaie de faire peur aux Écossais avec des tactiques de campagne basée sur des arguments négatifs;
L’indépendance fera de l’Écosse un pays prospère et une société plus juste sur le plan social; incluant de meilleures pensions pour une société vieillissante;
Un Oui permet de dire non aux politiques d’austérité et aux milliards dépensés par Londres dans le nucléaire;
Personne ne peut mieux gouverner l’Écosse que les Écossais eux-mêmes. Incluant pour leurs ressources pétrolières;
Ce moment est unique dans notre histoire, il ne faut pas le rater;
Voter Oui est un geste d’ambition et de confiance.
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En conclusion
Prudent à l’extrême, Salmond n’aura pas suffisamment pris le bâton du pèlerin qu’il devait prendre face aux indécis. L’impression est qu’il tentait surtout de consolider ses appuis.
Darling s’est réfugié quant à lui dans une argumentation essentiellement négative – une tactique normalement plus efficace auprès des électeurs indécis. D’autant que ses questions constantes à Salmond faisaient paraître l’option du Oui comme un grand saut dans l’inconnu.
Pour le moment, le Non est en avance. En fait, il l’est depuis plusieurs mois.
Le Globe and Mail soulignait toutefois cette semaine que deux groupes clé d’électeurs – les jeunes et les travailleurs – ont aussi tendance à être sous-représentés dans les sondages faits par téléphone en Écosse.
Quant aux indécis, certains sondages les placent entre 10 à 20% de l’électorat. D’autres, à moins de 10%. Ce sont là des différentiels importants.
Ce qui, en partie, explique pourquoi en 2011, aucun sondeur n’avait prédit la victoire électorale du Scottish National Party.
Tout juste avant le débat, un sondage IPSOS Mori plaçait le Oui à 40% chez les électeurs affirmant être sûrs de voter, et le Non, à 54%. 7% se disant encore indécis. C’est une progression de quatre points pour le Oui depuis juin, tandis que le Non fait du sur-place. Après répartition des indécis, le Oui serait à 42% et le Non, à 58%. Ce qui ne va pas sans rappeler la situation au Québec à quelques mois du référendum de 1995.
Mais l’Écosse est l’Écosse. Et le Québec est le Québec. Et pour les Écossais, il leur reste encore six semaines d’ici le référendum sur leur indépendance. En termes politiques, c’est long et qui sait ce qui arrivera d’ici-là.
Les analystes font leurs analyses. Les sondeurs font leurs sondages. Mais en bout de piste, le vrai résultat sera connu le 18 septembre.
Si le Oui devait toutefois consolider ses appuis d’ici-là et faire ne serait-ce qu’une avancée supplémentaire, le ton de la campagne risquerait de s’envenimer nettement plus. Et les attentes, envers Alex Salmond, de s’accentuer considérablement. D’autant que le résultat du référendum, sur entente entre l’Écosse et Londres, sera exécutoire même si elle prévoit aussi des négociations. Mais si la tendance contraire s’installe, le débat de mardi y aura probablement contribué.
À suivre. J’y reviendrai d’ailleurs plus en détails sur ce blogue.
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