Récit d'une perquisition chez moi

Brutalité policière - Profilage politique



Francine Lamarche - L'auteure est la mère d'un jeune homme de 25 ans qui a fait l'objet d'une perquisition relativement à une introduction par effraction à l'Université de Montréal.

Jeudi 7 juin, 6h01 du matin...
Ça sonne à la porte. C'est rare à cette heure-là... Mais moi, j'entends plutôt cogner, et fort, parce que je suis déjà devant la porte principale du bloc, en bas, avec mon café et mon chien, prête pour ma marche matinale. Je vois à travers la vitre l'ombre de plusieurs personnes et ils portent l'enseigne des policiers... Je suis perplexe ! Enfin, j'ouvre la porte.
On est au 3471 ?
Oui.
Paul Carré-Rouge, c'est ici ?
Oui. C'est mon fils.
Entrez Madame, on a des questions à vous poser.
D'accord.
Je rentre avec le chien et mon café. Merde, ça défait ma routine, ça. Mais j'ai eu peur qu'ils m'annoncent que quelque chose était arrivé à Paul en Chine et qu'il avait eu un accident. Heureusement, ce n'est pas cela...
Est-ce que Paul est ici ?
Non. Il n'habite plus ici.
Ah non ? Depuis quand ?
Depuis septembre de l'année dernière. Il s'est trouvé un appartement pas loin d'ici.
OK, les gars, vous pouvez aller dire aux autres dans la ruelle qu'ils peuvent rentrer... et qu'ils stationnent leur auto en avant... On n'a plus besoin d'eux en arrière. Donc, il n'habite plus ici depuis l'année dernière... Il habite avec une fille, quelqu'un ?
Une coloc, oui.
Avez-vous son adresse ?
Oui... Oui, quelque part... Mais je ne la connais pas par coeur.
Pourriez-vous reconnaître l'endroit où il habite ?
Oui... oui.
Et il est en Europe en ce moment ?
Non. Il est en Chine.
Ouin... Ça va mal... Mon informateur n'est pas très bien informé. Madame, nous on a une perquisition pour l'adresse ici. On ne peut pas aller perquisitionner à son adresse actuelle. On ne peut pas. Écoutez... comme Paul a 25 ans, on serait pas supposé vous donner l'information, mais on vous le dit... On a un mandat de perquisition pour ici au 3471. Il serait accusé d'être entré par effraction à l'Université de Montréal en avril... et on cherche un morceau de linge, qui servirait de preuve. On va faire le tour de la maison... Vous pouvez rester ici.
Et là, ils sont neuf policiers dans ma maison puisque les quatre qui étaient dans la ruelle sont maintenant dans ma cuisine. Une femme parmi la troupe. Je lui serre la main en guise de complicité... de solidarité... Ah, au moins une femme dans le groupe.
Pas de danger Madame, vous n'auriez pas à vous inquiéter pour nous.
Ah ben je ne suis pas inquiète... Alors vous voulez visiter, allez-y, j'ai aucun problème avec ça. Je suis d'un calme, exemplaire. Je leur souris, répond à leur question.
Savez-vous si Paul est bon en informatique ?
Mmmmm... Je crois qu'il est meilleur en chinois !
Vous connaissez la signification de ses tatous ? Comme celui sur son pouce gauche ? Vous ne trouvez pas que ça ressemble à un masque ?
Mmmm... Je ne sais pas, mais ses tatous sont des écritures chinoises... Elles symbolisent l'amour entre autre...
Vous ne trouvez pas que son tatou sur son pouce pourrait avoir affaire avec les Anonymous ?
Je pars à rire... Je vous dis qu'il est meilleur en chinois...
Non, non... Ce ne sont que des allégations...
Je sais qu'il a plusieurs tatous sur les deux bras et dans le cou...
Oui, on a une photo de lui.
Ah, vous avez une photo de lui ? Apportez-la moi, je vais vous l'identifier, moi, mon fils Paul. Chose promise, chose due.
Oui, c'est bien mon fils. C'est Paul... Il est beau hein ? «Salut mon grand...», dis-je en regardant la photo.
On ne sait pas quand elle a été prise exactement.
Moi, je le sais, probablement dans les 12 derniers mois. Septembre ou octobre l'année dernière.
En fait, on va faire le tour maintenant. Voulez-vous faire faire le tour en bas à notre adjoint ? Vous êtes très collaborative Madame, normalement on assoit les personnes sur une chaise et ils n'ont plus le droit de bouger... Nous, on a travaillé dans les stupéfiants, alors on rentre par la force et on leur donne pas le temps d'aller flusher quoi que ce soit dans les toilettes. Ici ce n'est pas pareil.
Oui, pas de problème...
Ils appellent leur superviseur au téléphone à plusieurs reprises. Je n'entends pas la conversation, mais j'imagine...
Patron... on est dans un château ici, c'est super beau, super propre, la «madame» est vraiment collaborative... Pis elle est assez jolie à part ça... Paul n'habite plus ici depuis septembre, mais on va fouiller quand même ? Wow, vous devriez voir le jardin... Capotant !
Tout le monde en a pour Toa, mon chien. Lui, il est heureux. Il se fait flatter par tout le monde. On dirait de la visite familiale. Toa est content, il passe d'un agent à un autre, se fait gratter le dos. Il en oublie notre marche matinale.
Donc on descend et j'ouvre toutes les portes, il fouille. Regarde dans l'enclos de la fournaise... Je me demande s'il n'a pas regardé dans la laveuse quand j'ai eu le dos tourné... On remonte.
En haut, je lui fais faire le tour de chaque pièce... incluant la chambre où il couchait quand il habitait ici avant-son-déménagement-qui-a-eu-lieu-en-septembre... Eh qu'ils sont bien informés...
Vous savez Madame, nous on ne sait pas tout. Il y a des gens qui croient qu'on sait tout, mais c'est faux... on sait pas tout.
Regarder dans le garde-robe, il n'y a plus rien. Depuis son départ j'ai tout refait la chambre... c'est bien comme ça, une chambre d'amies...
Mais en tous les cas, j'ai eu des compliments sur ma maison... L'espace, la beauté de la place... et le jardin, que dire des commentaires sur le jardin. Ici non plus, ils n'ont pas regardé dans le fond du bassin pour voir si Pascal y serait, entre les poissons, mais ils ont voulu que je débarre le garage pour aller y jeter un coup d'oeil. Rien. Pas de rats, que les toiles de mon autre fils et mon atelier horticole. Il a quand même pris la peine de lire mes instructions qui sont affichées sur le mur, à savoir comment se débarrasser du blanc dans mes lupins. Et j'apprends que sa femme aussi a du blanc dans ses lupins...
Je suis restée dehors avec l'aimable inspecteur adjoint. Au moins 10 minutes pour jaser du jardin. C'est après que j'ai compris sa manigance. En rentrant, des papiers de chèque pour Pascal étaient sur l'îlot de la cuisine, ils en prenaient des photos.
Qu'est-ce que ces papiers font ici ?
On les a trouvés dans le tiroir, là.
Ostie, ils fouillent dans mes tiroirs. Minuscule sentiment d'envahissement deviendra grand ! Ils fouillent dans MES affaires dans MON dos. Non, là c'est trop.
C'est quoi ces papiers-là, Madame ?
Un chèque pour une bourse d'études. Je fais son dépôt puisqu'il est en Chine.
Ah ? C'est une bourse d'excellence ?
J'aime le croire oui ! Il a eu trois bourses. Je crois que je rigole, là...
Je réalise que je leur ouvre ma maison, mes placards, mes tiroirs, mes portes de cachettes de toutes sortes d'affaires. Je reste calme. Je souris et j'ai pensé leur offrir un café, mais je me suis gardé une grosse gêne...
Toa me regarde l'air de dire : ben alors, on y va ou quoi ?
Bon madame, comme il est en Chine, il va devoir s'expliquer devant le juge à son retour. On ne dit pas qu'il est coupable. Nous, on perquisitionne... Ça sera au juge de déterminer s'il est coupable ou non. C'est prévu pour quand son retour ?
Fin août.
Et il est parti quand ?
Mi-mai.
Madame, on va vous laisser une copie du mandat de perquisition ici.
Pas de problème. Vous voulez voir mes casseroles ? Elles sont sur mon balcon en avant...
Vous savez, moi aussi j'ai des enfants et je ne voudrais pas que les frais de scolarité soient trop élevés...
Ben oui. Paul en a encore pour 4-5 ans à l'école. Une année pour finir son bac et probablement trois ou quatre ans pour sa maîtrise. Je l'aide pour ses études...
Ah, il veut faire une maîtrise ?
Ben, je crois que oui, il veut enseigner le chinois ou être interprète.
On s'excuse pour le désagrément, Madame. On va quitter, là.
Ça doit bien faire une heure qu'ils sont ici. J'avais presque l'impression d'être un agent immobilier qui faisait une visite libre ! En revenant de la marche avec Toa, il n'y avait rien sur l'îlot de la cuisine, pas de copie du mandat de perquisition. Ah ben...
Bon, ils s'en vont. Moi, je ne réalise pas ce qui se passe ici... jusqu'à ce qu'aux nouvelles j'entends que 11 mandats de perquisition sont en cours et que sur le coup de 6h, des policiers se sont présentés à divers endroits, notamment dans Hochelaga-Maisonneuve. Là, je commence à faire un lien. C'est étrange comme feeling !
Sur le web plus tard, il était écrit : « Le tout s'inscrit dans le cadre d'une opération policière qui a mené à huit perquisitions, et qui visait en tout 11 personnes, a annoncé le SPVM. Mais jusqu'à maintenant, seulement quatre d'entre eux ont été arrêtés. Un jeune homme n'a pu être arrêté, car il se trouve en voyage en Europe ». En Chine, je vous ai dit... il est en CHI-NE. C'est pas chinois quand même ?
Dans le fond, vous venez de lire l'histoire de neuf perquisitions. Pas une, neuf. C'est moi qui ai perquisitionné leur adrénaline, leur désir d'intimider... leur tête, leur fébrilité, leur hâte d'attraper monsieur Carré-Rouge. Ils sont partis penauds vers une autre maison, où espèrent-ils, ils pourront utiliser leur pouvoir, leur force même, leurs menottes et leur langage du haut de leur insigne, pour bien faire comprendre qu'ils sont de la « police » et avec la police, on ne rigole pas.


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