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"Une souveraineté qui a honte d’elle-même" Pierre Bourgault

Actualité indépendantiste

À l’occasion du décès de Pierre Bourgault, nous (Le Devoir - http://www.ledevoir.com/non-classe/30024/une-souverainete-qui-a-honte-d-elle-meme) reproduisons un texte important du politicien Bourgault, écrit pour Le Devoir peu de temps après le référendum de 1980 et publié le 21 août de cette année-là. Au cours des jours précédents, Pierre Bourgault avait fait la manchette en réclamant la démission du président du Parti québécois, René Lévesque.
J’ai mis longtemps à me résoudre: on n’attaque pas impunément — en réclamant sa tête — l’homme politique le plus populaire du Québec. Mais cela même serait de peu d’importance si René Lévesque n’était en même temps l’homme qui incarne depuis vingt ans les espoirs de toute une génération de Québécois. Ces espoirs furent aussi les miens.
Ce n’est donc pas de gaieté de coeur que je le dénonce aujourd’hui. J’ai toujours eu quelque plaisir à m’en prendre à mes adversaires mais c’est la mort dans l’âme que je romps avec le meilleur homme politique que le Québec ait jamais produit. Nous avons eu nos querelles mais je ne lui ai jamais ménagé ni mon admiration ni mon amitié. Elles restent intactes en ce jour où je me sens obligé d’exprimer avec lui mon plus profond désaccord.
Certains, qui se montrent d’accord avec moi sur le fond, m’ont déjà reproché d’avoir mal choisi le moment: trop près de l’amère défaite et trop près d’une imminente élection.
C’est un prétexte classique: il coupe la parole à tous, même à ceux qui pourraient avoir raison, et il transforme en futiles atermoiements les volontés d’agir les plus farouches.
Ce n’est jamais le temps, à ce qu’on dit. M. Lévesque lui-même a trop utilisé cette tactique contre ses propres troupes pour que j’accepte de me voir enfermer dans ce piège.
Moi, je dis, à tort ou à raison, que c’est le temps avant qu’il soit trop tard.
De quoi s’agit-il au juste? Il s’agit de savoir tout simplement si René Lévesque comme chef du Parti québécois et comme premier ministre du Québec peut encore — s’il en a même envie — nous conduire à l’indépendance.
J’ai des raisons de croire que non et je veux m’expliquer.
Comme bien d’autres, je m’en suis longtemps pris à Claude Morin en en faisant le bouc émissaire de tous les malheurs du mouvement souverainiste québécois. Comme bien d’autres, je m’accrochais à cette solution de facilité par crainte d’en arriver à une autre conclusion, pressentie mais difficilement avouable: la vraie responsabilité, pour le meilleur et pour le pire, dans le succès comme dans l’échec, revient à René Lévesque. Claude Morin ne serait rien sans l’aval de celui-ci et s’il a pu imaginer la stratégie qu’on connaît, c’est qu’elle reflétait parfaitement le cheminement idéologique du premier ministre.
Voilà l’essentiel, masqué justement par la stratégie. Et c’est pour avoir oublié qu’il ne s’agissait pas que de stratégie que nous en sommes là aujourd’hui.
On a reproché à René Lévesque d’avoir plusieurs fois changé d’idée depuis quelques années. On lui a reproché d’entretenir quelque confusion. Je l’ai fait moi-même.
C’est vrai que M. Lévesque a eu quelques hésitations qui ont pu nous faire croire qu’il en était ainsi. Mais cela n’était qu’apparence.
René Lévesque n’a jamais changé d’idée depuis qu’il a fondé le Mouvement Souveraineté-Association et tout ce qu’on appelle étapisme et stratégie et tactique ne furent jamais rien d’autre que les instruments au service de cette idée.
Or cette idée n’a jamais rompu et ne rompt toujours pas avec une vision provincialiste des choses.
Le mouvement indépendantiste, à son origine, avait rompu avec la Révolution tranquille: non parce qu’on n’y voyait pas quelque progrès par rapport à la situation précédente mais bien parce qu’elle se voulait réformiste à l’intérieur d’un cadre provincial.
Or M. Lévesque n’a jamais rompu avec la Révolution tranquille. Dans son esprit, le MSA continuait une action qu’il avait entreprise au sein du Parti libéral et, s’il avait pu — il a tenté de le faire —, c’est au sein du Parti libéral qu’il l’aurait poursuivie. [...]
J’ai accepté, en rechignant, le thème du «bon gouvernement» de 1976. Je me suis laissé convaincre, à peu près, que le Parti québécois au pouvoir serait mieux placé pour faire avancer l’idée de souveraineté. Je me suis réjoui, sans arrière-pensée, des très belles performances de ce gouvernement.
J’ai encore accepté, cette fois avec des réticences certaines, de me lancer farouchement dans la campagne référendaire et de donner toutes ses chances à une stratégie que je réprouvais.
Mais dois-je encore accepter de me battre pour quatre ou cinq autres bonnes années de bon gouvernement provincial?
Sans doute est-il possible, bien que peu probable, que le Parti québécois reprenne le pouvoir lors de la prochaine élection. Il est même possible qu’il le reprenne et qu’il l’exerce pendant vingt ans.
Et puis après? Et pour quoi faire?
Fera-t-on avancer d’un pas l’idée de souveraineté? Comment? En refusant d’en parler, comme on l’a fait pendant quatre ans de pouvoir? En s’excusant même de l’entretenir, comme on l’a déjà si souvent fait en de si nombreuses occasions? En négociant «de bonne foi» avec Ottawa?
Je ne marche plus.
Je comprendrais qu’on change d’idée. Je comprendrais qu’on vienne me dire que l’indépendance, après tout, est impossible, et qu’il vaut mieux renoncer maintenant avant de connaître les amertumes de ceux qui ont abandonné trop tard des combats futiles. Je le ferai peut-être moi-même un jour.
Mais pousser l’inconscience jusqu’à vouloir refaire le coup de 1976, c’est un peu fort! C’est oublier trop facilement que les idées, comme les hommes, naissent, croissent et meurent. Qu’en sera-t-il de l’idée de souveraineté en 1985? Et René Lévesque, et Jacques Parizeau, où en seront-ils? Où seront-ils? Et nous tous, les Québécois et les Québécoises, ne risquons-nous pas d’avoir oublié que nous avons déjà eu cette belle petite idée, autrefois?
Et les militants et les militantes? Et toute cette nouvelle génération de jeunes qui s’est «embarquée» à l’occasion de la campagne référendaire?
On sait que le moral est au plus bas chez les troupes souverainistes. Le phénomène est-il explicable par la seule défaite référendaire ou n’est-il pas attribuable également — et surtout — à la démission politique et morale de nos leaders?
On ne veut pas y croire, bien sûr. On continue d’entretenir les illusions. On se dit que ce n’est que partie remise. L’aveuglement est total. Surtout qu’il se nourrit d’un prétexte en or qui se présente sous la forme de la rationalité la plus pure: la majorité a dit non, donc... [...]
Ce n’est là qu’une demi-vérité. S’incliner devant le verdict populaire ne veut pas dire renoncer. Moi aussi je m’incline mais je ne renonce pas à convaincre une majorité de la valeur de la cause que je défends.[...]
Je m’étonne, pour ma part, de constater qu’au moment même où l’idée de souveraineté est à son plus fort chez le peuple québécois (plus de 40 % des voix) on se propose de la mettre sous le boisseau. Il aurait fallu y penser avant, il me semble.
C’est quand on pense en termes de «pouvoir provincial» qu’on fait de la défaite du référendum une défaite presque définitive. Quand on pense en termes de «pouvoir national» et qu’on constate que, de 1960 à 1980, l’idée de souveraineté a fait son chemin chez plus de 40 % des Québécois, on s’aperçoit que la défaite est moins cuisante que jamais et que la victoire est à vue de nez.
Mais c’est parce qu’on a peur de perdre le pouvoir provincial qu’on a peur tout court. Dans une perspective «provincialiste» nous sommes en train de perdre. Dans une perspective «nationaliste» nous sommes en train de gagner.
Le pouvoir provincial! Encore une fois, pour quoi faire?
Soyons réalistes, nous dit-on de toutes parts. Il vaut mieux être au pouvoir que dans l’opposition.
Ce n’est pas vrai.
Qu’on me comprenne bien. Moi aussi je crois à la nécessité d’exercer le pouvoir pour atteindre ses objectifs. Moi aussi je suis pour le zonage agricole, et une meilleure sécurité sociale, et l’assurance-automobile, et la loi 101...
Mais ce n’est pas là ma raison d’être politique, non plus que ce ne devrait être la raison politique du Parti québécois.
Le pouvoir du Parti québécois doit être celui de la souveraineté politique d’abord, du zonage agricole ensuite!
Moi aussi je répugne à voir Claude Ryan à la tête du gouvernement du Québec, mais si c’est là le prix qu’il nous faut payer pour nous ouvrir les yeux, eh bien! Payons. [...]
Au fond, nous sommes toujours dans l’opposition, nous les nationalistes. Ce qui est au pouvoir, c’est une certaine idée de la gestion des pouvoirs provinciaux, rien de plus.
Or, il m’a toujours semblé que nous n’étions pas là pour faire mieux que les autres mais autre chose.
Si l’exercice du pouvoir pour les souverainistes ne conduit pas à l’exercice de la souveraineté du Québec alors ce pouvoir est vain et illusoire. Il constitue d’autre part un piège dans la mesure où il occulte les véritables enjeux en les reportant à plus tard, au risque de les voir disparaître de nos préoccupations collectives.
C’est ce processus, déjà largement entamé, qu’il faut à tout prix stopper.
Voilà l’objet de ma sortie contre René Lévesque.
Je dis qu’il est le premier responsable de tout ce vasouillage qui entoure l’option de la souveraineté. Je dis que la confusion continuera de régner tant qu’il dirigera le PQ et qu’il sera premier ministre du Québec.
Je dis que nous sommes aveuglés par sa popularité personnelle et par la franche admiration que nous lui vouons. Je dis que nous sentons bien ce qui se passe, que nous connaissons la cause de notre découragement, de notre démission, mais que nous n’osons pas y croire. Nous préférons nous cacher la tête dans le sable, accuser Claude Ryan et les fédéralistes, voire même tenir le peuple québécois responsable de nos malheurs.
Mais c’est nous qui sommes collectivement responsables de suivre un chef qui ne nous mène pas à la souveraineté.
René Lévesque continuera sans doute de nous faire connaître toutes les joies que nous procure la contemplation d’un «bon gouvernement provincial», ce qui n’est pas peu, mais il ne sera jamais le chef d’un Québec souverain.
Hélas!
Je ne m’en réjouis pas. Je constate.
Je dis que la seule façon pour les souverainistes de sortir de leur léthargie et de s’ouvrir enfin les yeux, c’est de perdre la prochaine élection et d’inviter René Lévesque à quitter honorablement la scène politique.
Là-dessus, M. Lévesque m’a déjà répondu en disant qu’il s’agissait là d’une attitude suicidaire. Il a raison dans la mesure où on pense «gouvernement provincial». Il a tort si on pense «gouvernement national».
Le pouvoir, s’il ne nous permet pas d’atteindre notre principal objectif, est vain.
Moi, je dis qu’il est suicidaire, pour les souverainistes, d’abandonner leur idée — tout en disant qu’on ne l’abandonne pas — au moment même où cette idée a atteint sa plus grande force depuis vingt ans.
Il faut en parler de plus en plus, quitte à nous retrouver dans l’opposition, là où se trouve notre idée, de toute façon. Mais si l’étapisme ne consiste qu’à abandonner notre idée par étapes alors qu’on ait le courage de nous le dire.
Si cette idée, acceptée et défendue par plus de 40 % de Québécois, ne vaut même plus la peine d’être prônée ouvertement, alors que le Parti québécois et ses chefs aient le courage de la retirer du programme.
Car à qui fera-t-on croire qu’on y tient encore quand elle ne sert plus qu’à masquer notre volontaire impuissance? [...]
Faudra-t-il que nous perdions le «pouvoir provincial» pour retrouver notre conscience d’un «pouvoir national»? J’ai bien peur, hélas! qu’il nous faudra passer par cette épreuve.
J’aurais voulu qu’il en soit autrement mais je n’y crois plus. C’est pourquoi je m’abstiendrai de voter lors des prochaines élections provinciales.
Je n’en continuerai pas mois de prôner de toutes mes forces l’idée de l’indépendance du Québec. J’y crois encore. Plus que jamais.
Quant à René Lévesque, on sait déjà depuis quelque temps qu’il préfère Rodrigue Biron…
Ben voyons, soyons réalistes!
Pierre Bourgault
7 avril 2010


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