Quel avenir pour la chanson francophone?

N'est-il pas simplement scandaleux d'entendre parler Mme Goulet avec autant de désinvolture à propos de l'avenir de la culture francophone?

Chansons québécoise et anglobalisation


Dans l'édition du Devoir du 8 juillet dernier, une entrevue avec Mme Dominique Goulet, responsable de la programmation du Festival d'été de Québec, portait sur l'état de la chanson francophone au Québec et en France. Malheureusement, Mme Goulet assied son opinion sur des informations erronées et, en conséquence, le constat qu'elle fait ne peut que desservir la chanson française.
Tout d'abord, affirmer que «la chanson française ne semble pas être la voie d'avenir» mérite d'être décrié. Sur quoi se base Mme Goulet pour lancer une telle affirmation? Qu'une affaire de gros sous? Il n'y a jamais eu autant de festivals et d'événements célébrant la chanson francophone au Québec! En effet, il n'y a peut-être pas 20 000 personnes qui accourent pour assister à un spectacle du Festival en chanson de Petite-Vallée, mais il est certainement faux d'affirmer qu'il y a moins d'artistes de la chanson francophone qui sillonnent les routes du Québec. À preuve, Mme Goulet devrait aller faire un tour dans des sites Internet comme Écoutez.ca ou seulement constater l'explosion des étiquettes indépendantes. Mais ce n'est peut-être pas assez big pour Mme Goulet... Hors des gros majors, point de salut!
Toutefois, ce qui est vrai, c'est que nous assistons à une fragmentation accélérée des auditoires, ou des «marchés», si vous préférez. Les gens (surtout les jeunes) écoutent plus de musique que jamais. Mais, puisqu'ils ont accès à des centaines d'artistes du monde entier, il y a conséquemment une dilution du bassin des auditeurs potentiels qui pourraient être réceptifs autrement à la chanson francophone. De plus, la panoplie de styles musicaux est certainement un élément supplémentaire favorisant une «spécialisation» plus fine de ces auditoires. En résumé, attirer cent personnes devient plus difficile. Et le même problème est aussi visible dans le monde de l'édition et du cinéma d'auteur, entre autres.
Chanter en anglais
Revenant aux propos de Mme Goulet, je ne peux que m'inscrire aussi en faux lorsqu'elle annonce «que les jeunes, peu importe le style musical choisi, chantent en anglais». Foutaise. Ceux-ci sont certes plus nombreux, mais ils ont surtout acquis une plus grande «légitimité» depuis quelques années. On voit pulluler les Simple Plan et Pascale Picard Band, et les jeunes veulent les voir monter sur les scènes des différents festivals.
Autre changement, plusieurs ne s'offusquent plus de voir que des artistes anglophones montent sur les scènes de la Fête nationale. Toutefois, ce phénomène est encore concentré à Montréal où, à moins d'ethnocentrisme, on peut penser que les Anglo-Montréalais sont tout autant québécois et qu'ils méritent une place sur scène, comme on y laisse monter les artistes qui chantent dans une autre langue sans tiquer.
Alors, qu'en est-il de ces francophones qui décident de chanter en anglais? Devraient-ils avoir la même légitimité? Rien n'est moins sûr, car la démarche à la base est complètement différente pour la très grande majorité de ceux-ci. Le parcours est un peu moins... authentique? Je comprends qu'ils désirent «compétitionner» avec les mêmes moyens que les gros, mais des balises très serrées sont nécessaires, compte tenu du contexte linguistique.
Visibilité
Je l'avoue: j'ai moi aussi commencé par écrire en anglais. Pourquoi? N'ai-je pas eu droit, par l'intermédiaire des radios privées, des chaînes de télévision privées et des murs de la ville de Québec, qu'à l'exposition d'une multitude de groupes américains qui débarquaient avec tout leur arsenal pour pratiquement nous «forcer» à aimer ci ou ça? Face à ce «clinquant», malgré les quotas imposés et les efforts des artistes d'ici, difficile d'éviter un certain conditionnement: la tentation de l'imitation est forte. Quand une recette fonctionne, pourquoi ne pas l'adopter? McDonald's est partout autour pour le prouver, non?
Selon moi, le vrai problème est ainsi la «visibilité» (et non pas le déclin) de la chanson francophone. La prolifération d'événements majeurs (entendez «gros») n'y aide pas. En fait, pour que chacun puisse faire grossir ses auditoires, on cherche le truc qui va fonctionner, puis on matraque la population avec une publicité agressive qui supplante toute compétition. Quitte à faire venir encore plus de grosses pointures de la culture populaire américaine. Quitte même à déplacer les dates d'un gros festival pour marcher dans les plates-bandes du petit Festival de la chanson de Tadoussac.
Tout compte fait, quand on est gros, on veut devenir plus gros: le rouleau compresseur passe, qu'il soit américain ou qu'il tende à le devenir. À preuve encore: le Festival d'été de Québec a attiré encore plus de monde cette année après avoir augmenté son offre anglophone. Bravo. Mais à quel prix?
Chanson fast-food
Sous cet angle, comment ne pas être d'accord avec ceux et celles qui suggèrent au gouvernement de retirer les subventions accordées au Festival d'été de Québec à moins qu'il n'offre plus de contenu francophone? N'est-il pas simplement scandaleux d'entendre parler Mme Goulet avec autant de désinvolture à propos de l'avenir de la culture francophone? Que les organisateurs mettent cartes sur table: l'objectif est-il de faire le plus de profits possible, de remplir les Plaines, quitte à «écraser» le reste? La même question pourrait être posée au Festival de jazz de Montréal, qui n'a de plus en plus de jazz que le nom.
Permettez-moi une analogie: puisque les jeunes préfèrent manger du fast-food, est-ce une bonne raison de ne plus faire la promotion d'une alimentation saine et variée? Poussons l'audace plus loin: est-ce qu'une subvention gouvernementale devrait être accordée à la promotion du fast-food? Ce serait inadmissible, bien sûr. De la même manière, je trouve inacceptable que Mme Goulet conçoive l'aplanissement culturel comme envisageable si c'est le désir de jeunes qui se voient déjà rock-star comme leurs idoles américaines. Mais peut-être que Mme Goulet préfère une certaine culture de... colonisés?
Enfin, il est vrai, chanter en anglais, ça ouvre de gros marchés. Imaginez: finir une grosse tournée panaméricaine, acclamé par des milliers de personnes sur la grosse scène... des plaines d'Abraham! Hum... la tentation est forte, non? Mais, hélas! Si vous décidez de chanter en français, il y a de grosses chances qu'il vous faille dire adieu à la gloire, la véritable: la grosse. Et aux grosses plaines d'Abraham du Festival d'été de Québec.
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Antoine Caron - Auteur-compositeur-interprète


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