Que peut dire Ottawa?

AMF - Québec inc. VS Toronto inc.



La réplique du Procureur général du Québec à la décision d'Ottawa de créer une agence nationale en valeurs mobilières est particulièrement bien étoffée et englobante. En clair, le projet du fédéral ne fait que reporter, à une échelle nationale, la réglementation existant déjà au niveau provincial, sans autre amélioration ni aucune efficacité additionnelle. Plus triste encore, le projet centralisateur d'Ottawa traduit les intérêts de l'industrie, au risque d'affaiblir la protection du public investisseur. Que va répondre Ottawa?
Le mémoire du Procureur général du Québec répond du tac au tac aux arguments évoqués par le gouvernement fédéral en soutien à sa volonté de court-circuiter la juridiction des provinces en matière de réglementation en valeurs mobilières avec sa commission fédérale. Le document de 73 pages, riche en références, déposé devant la Cour d'appel du Québec, est béton. Il y a cependant fort à parier qu'Ottawa savait déjà tout cela. En lançant le débat sur le terrain de l'invasion d'un champ de compétences provincial, le gouvernement fédéral faisait-il diversion?
Dans son mémoire, le Procureur général du Québec découd un à un, page par page, l'argumentaire d'Ottawa et des partisans d'une agence unique, centralisée. Il martèle que le Parlement fédéral n'a aucunement la compétence «d'adopter une réglementation complète et unique du secteur des valeurs mobilières en lieu et place des provinces». Or, le projet d'agence fédérale soumis à l'étude de la Cour suprême comporte une clause d'exemption, d'opting out, qui suggère une cohabitation théorique entre les deux niveaux d'agences réglementaires. Et qui laisse aux provinces le droit de s'y soustraire, aux institutions et aux émetteurs assujettis la liberté de choisir l'une ou l'autre. La réflexion juridique peut donc s'en trouver fausser en reposant sur une présomption que la proposition de loi du fédéral «ne vise ni plus ni moins qu'à remplacer la réglementation existante».
Mais en ce qui concerne la politique, il peut être désolant de voir un législateur laisser ainsi à l'industrie (lire Bay Street) le privilège de fixer son propre encadrement réglementaire. D'autant que cet encadrement est d'abord et avant tout conçu pour protéger l'intérêt du public investisseur, et que l'efficacité de cette protection s'appuie sur la proximité. En répondant ainsi à des impératifs évoqués (mais non prouvés) par les intermédiaires et les institutions composant l'industrie, il en résulte un affaiblissement de la protection du public investisseur. Mais cela sera-t-il retenu dans le débat juridique?
Le Procureur général du Québec insiste longuement sur le fait que les régimes de réglementation provinciale du secteur des valeurs mobilières visent avant tout à protéger l'investisseur. «La législation en matière de valeurs mobilières n'est ni plus ni moins qu'un système de protection d'un investisseur qui acquiert une valeur mobilière sur le territoire visé par la loi.»
Il ajoute que «les rapports des différents comités mandatés par les gouvernements fédéral et ontarien se fondent en grande partie sur une consultation des principaux acteurs du marché des valeurs mobilières, qu'il s'agisse des banques, des grands émetteurs ou des associations d'intermédiaires, lesquels ont manifesté le souhait de faire l'objet d'une réglementation uniforme, la plus légère possible, qui réduirait le fardeau administratif qu'elles supportent parce qu'elles font affaires dans plusieurs provinces. Si la Cour devait donner suite à de tels arguments, elle avaliserait une forme de capture réglementaire par laquelle les entreprises réglementées réussissent à influer fortement sur la forme de la réglementation qui leur est applicable». Et le mémoire d'ajouter: «L'interprétation des règles de partage des compétences ne saurait dépendre du désir des entreprises assujetties à la réglementation.»
Thomas Courchene, professeur de sciences économiques de l'Université Queen's et spécialiste en politiques publiques, a déjà rappelé les dangers de cette incursion du fédéral. Dans un rapport d'expertise déposé en Cour d'appel du Québec et produit à la demande du gouvernement de l'Alberta, il insiste sur le fait que «l'autorité constitutionnelle dont jouit le Québec en regard de la Bourse de Montréal, de l'Autorité des marchés financiers et de l'industrie des valeurs mobilières est une composante absolument critique de son modèle socioéconomique communautarien». Et il prévient que dans l'éventualité où la Cour suprême donnerait raison à Ottawa, elle «créerait une onde de choc dans la province, car d'autres aspects de ses pouvoirs traditionnels pourraient désormais être perçus comme étant à risque. Si Ottawa peut se servir de son pouvoir concernant le trafic et le commerce pour s'emparer d'un aspect clé de la "propriété et des droits civils", quels autres éléments du modèle québécois vont devenir vulnérables à la portée du trafic et du commerce?» a-t-il soulevé.
Mais cela aussi relève de la présomption.


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