Que faire des surplus hydroélectriques ?

François Normand

17. Actualité archives 2007


Le débat revient régulièrement sans jamais aboutir une conclusion. Qu'est-ce que le Québec doit faire de ses surplus d'hydroélectricité ? Doit-il exporter ses surplus à gros prix en Ontario et aux États-Unis ou les attribuer aux grandes entreprises énergivores du Québec, comme les alumineries, pour qu'elles créent des emplois en région ? Voici un résumé des arguments.
Pour l'industrie
" Donnez-nous l'électricité, nous créons des emplois "
Les grands industriels ne sont pas opposés aux exportations d'hydroélectricité... à la condition bien sûr qu'Hydro-Québec leur réserve des blocs d'énergie pour se développer au Québec.
D'ici 2010, le gouvernement du Québec veut lancer pour 4 500 MW de grands projets hydroélectriques.
Sur une base strictement comptable, Luc Boulanger, directeur de l'Association québécoise des consommateurs industriels d'électricité (AQCIÉ) et Christian Van Houtte, président de l'Association de l'aluminium du Canada (AAC), reconnaissent qu'Hydro-Québec ferait plus d'argent en vendant ses nouvelles sources d'électricité sur les marchés hors Québec.
En Ontario et aux États-Unis (État de New York et Nouvelle-Angleterre), la société d'État peut vendre son électricité à 8,9, 10 ¢/kWh, alors qu'elle l'offre aux grandes entreprises consommatrices d'électricité du Québec (métallurgie, mines, chimie et pétrochimie) au tarif L, soit de 4 à 5 ¢/kWh.
Par contre, disent-ils, les Québécois gagnent au change si l'on considère les retombées économiques en région et dans l'ensemble du Québec (voir le tableau).
Les grandes entreprises paient de bons salaires et des taxes au gouvernement, sans parler des achats de biens et de services dans la province.
Selon MM. Boulanger et Van Houtte, les Québécois gagnent aussi au change si l'on tient compte de la valeur globale des exportations en dollar par kilowattheure des grandes industries par rapport à la valeur que peut obtenir Hydro-Québec en exportant directement son électricité (8,9,10 ¢/kWh).
" Pour l'industrie de l'aluminium, cette valeur s'élevait à 14,3 ¢/kWh en 2003 ", dit Christian Van Houtte.
Les dix alumineries du Québec exportent 80 % de leur production, principalement aux États-Unis.
Elles consomment 4 500 mégawatts, soit 39 420 M de kWh. En 2003, les exportations totales de l'industrie de l'aluminium se sont élevées à 4,5 milliards de dollars.
Si l'on considère l'ensemble des grandes entreprises, la valeur de leurs exportations en kilowattheure est supérieure à 10 ¢/kWh, selon M. Boulanger. Son association regroupe une trentaine d'entreprises comme Alcan, la Compagnie minière Québec Cartier et QIT-Fer et Titane.
Enfin, contrairement aux ventes internes au Québec, les exportations comprennent une part importante d'incertitude, souligne-t-il. " Développer des projets hydroélectriques pour exporter des quantités phénoménales sans tenir compte des prix du marché à long terme serait imprudent. "
Pour l'exportation
Faire un coup d'argent en vendant aux Américains
Pour les partisans de l'exportation des surplus, le raisonnement est simple et sans appel : c'est un non-sens que de vendre l'électricité aux grandes entreprises énergivores en dessous des prix du marché et des coûts de production d'Hydro-Québec. Et l'argument des retombées ne les émeut guère car elles sont largement exagérées, disent-ils.
" Nous sommes situés à côté d'un grand marché ouvert - l'Ontario, l'État de New York, la Nouvelle-Angleterre - où Hydro-Québec peut vendre son électricité à un prix moyen de 8 à 9 ¢/kWh. Mais on le vend aux grandes entreprises au tarif L, soit environ 4 ¢/kWh ", souligne Jean-Thomas Bernard, spécialiste en énergie de l'Université Laval.
Cette différence de quatre cents, dit-il, est le manque à gagner dont se privent collectivement les Québécois à cause de la stratégie adoptée successivement par les gouvernements du Québec depuis plus de 20 ans. Pour illustrer son propos, Jean-Thomas Bernard donne l'exemple d'une aluminerie bénéficiant d'une puissance installée de 450 mégawatts, et qui a un facteur d'utilisation de 90 %.
Selon ses calculs, cette différence de 4 ¢/kWh représente un manque à gagner de 141 M$ par année. " C'est l'argent supplémentaire qu'on aurait pu faire en vendant ce même bloc d'électricité sur le marché américain. Cette somme, qu'on ne verra jamais, aurait elle aussi eu ses effets économiques, pour reprendre l'argument des retombées économiques, en investissements ou en baisses d'impôts", dit-il.
Jean-Marc Carpentier, vulgarisateur scientifique et analyste en énergie, s'en prend d'ailleurs aux " prétendues retombées économiques " véhiculées par l'industrie de l'aluminium. Celle-ci affirme que chaque kilowattheure utilisée dans une aluminerie génère une valeur de 14,3 ¢/kWh, soit bien plus que le prix de marché de l'électricité vendue sur les marchés hors Québec.
" Cette valeur de 14,3 ¢/kWh [chiffre de 2003] ne va toutefois pas toute en retombées économiques ", précise-t-il. Selon lui, il faut soustraire à ce prix les achats que font les alumineries à l'extérieur du Québec (bauxite, alumine, équipement, etc.) et les coûts du capital qu'elles doivent assumer sur les marchés internationaux pour financer leurs projets.
L'analyste estime que tous ces éléments représente de 9 à 10 cents des 14,3 cents de retombées. Si on retranche le 4 ¢/kWh (le tarif L) que paient les alumineries à Hydro-Québec, Jean-Marc Carpentier soutient que les effets réels sur l'économie sont inférieurs à 1 ¢/kWh. Il ajoute que c'est l'ensemble des Québécois qui devront payer plus cher leur électricité pour compenser ce qu'Hydro perd en vendant aux alumineries en bas du prix coûtant.
Pour sa part, Lorne N. Switzer, professeur de finances à l'Université Concordia, qui surveille le secteur énergétique, croit que le Québec s'expose à des recours de Washington devant l'Accord de libre-échange nord-américain en subventionnant ainsi, par le biais de faibles tarifs d'électricité, de grandes entreprises, comme les alumineries, qui exportent principalement aux États-Unis.
Encadré(s) :
Au Québec, les grandes entreprise consommatrices d'électricité:
> Consomment 42 % de toute l'électricité
> Contribuent pour 18 milliards au PIB du Québec
> Ont réalisé des investissements de 20 milliards de dollars depuis 10 ans.
> Offrent une rémunération de 21 % supérieure à la moyenne, soit 55 000 $ par année
> Versent 1,9 milliard de dollars au gouvernement du Québec, excluant les taxes foncières et l'achat d'électricité
Source : AQCIÉ
Partisans des exportations
> 4 500 mégawatts de projets hydroélectriques à venir
> Investissement : 25 milliards de dollars
> Coût moyen de production estimé : 10 ¢/kWh 1
> Prix moyen facturé aux grandes entreprises consommatrices d'électricité : tarif L (4 à 5 ¢/kWh)
> Prix moyen de marché dans l'État de New York et la Nouvelle-Angleterre : 8 à 9 ¢/kWh CA, avec pointe jusqu'à 20 ¢.
1 Calcul : Jean-Marc Charpentier
Sources : La stratégie énergétique du Québec (2006-2015), Energy Information Administration (EIA)


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