Indépendance

Quand le Royaume-Uni donne une leçon au Canada

Le gouvernement écossais entend tenir un référendum sur l’indépendance en 2014

Félix-Antoine D. Michaud - Avocat et étudiant en droit constitutionnel, Marie-Andrée Plante - Étudiante à la maîtrise en histoire et philosophie du droit à l’École normale supérieure de Paris et Patrick Taillon - Professeur à la faculté de droit de l’Université Laval
Le 15 octobre 2012 deviendra une date marquante, non seulement dans l’histoire des relations entre l’Écosse et le Royaume-Uni, mais aussi pour le Québec, soucieux qu’il est du droit des nations minoritaires de choisir librement leur destin.
Alex Salmond et David Cameron ont signé une entente historique - l’accord d’Édimbourg (AE) - visant à fixer les différentes modalités entourant la tenue d’un référendum sur l’indépendance écossaise.
Quelle comparaison peut-on faire entre cette reconnaissance formelle du droit de sécession de l’Écosse par le Royaume-Uni et la situation prévalant au Canada sur la question du Québec ? Plus précisément : quels parallèles et contrastes peut-on faire entre l’accord d’Édimbourg et la Loi de clarification ?
Au Canada, les décisions de nature constitutionnelle provenant de la Cour suprême sont partie intégrante de la loi fondamentale du pays. Par exemple, le droit d’une province de faire sécession de la fédération a été reconnu constitutionnellement dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec de 1998.
La Cour suprême a considéré qu’à la suite d’une décision claire de la population pour une sécession, les principes de démocratie qui fondent le Canada obligent le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces à négocier la sécession. À la suite du Renvoi, le Parlement canadien décida d’adopter la Loi de clarification (loi C-20) afin d’encadrer l’accession d’une province à la souveraineté.
De nombreux parlementaires canadiens - dont Stéphane Dion, qui en a été un des instigateurs - ont encensé cette loi. Mais aujourd’hui, l’exemple écossais nous permet de poser un jugement plus éclairé sur cette loi controversée.
Divisibilité de l’État et reconnaissance des résultats du référendum
Un point de convergence entre l’accord d’Édimbourg et la Loi de clarification saute aux yeux : la reconnaissance de la divisibilité de l’État. Les deux textes abandonnent la notion d’indivisibilité étatique pour reconnaître explicitement le droit démocratique que possède une population sur un territoire défini de quitter un ordre juridique établi ; que ce pacte soit une fédération comme au Canada ou une forme de dévolution des pouvoirs comme au Royaume-Uni.
Une première grande différence entre l’accord d’Édimbourg et la Loi C-20 réside dans la reconnaissance pour le pays qui sera divisé d’un résultat conduisant à la sécession. L’accord d’Édimbourg ne laisse point planer de doute sur la reconnaissance par le Royaume-Uni d’un résultat référendaire positif pour les indépendantistes écossais.
Sur ce plan, la Loi de clarification choisit l’ambiguïté, car le Parlement canadien n’est pas forcé de reconnaître le résultat référendaire. La loi refuse a priori de définir les éléments nécessaires pour que le résultat soit considéré contraignant.
C’est là une différence de taille. D’un côté, l’accord d’Édimbourg stipule clairement qu’à la suite d’un vote pour l’indépendance, un processus de négociation sera entamé. De l’autre, la Loi C-20 limite le plus possible l’obligation constitutionnelle de négocier du gouvernement fédéral, pourtant formulée par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec.

Le corps électoral
La loi C-20 et l’accord d’Édimbourg diffèrent aussi beaucoup au sujet de la catégorie d’électeurs qui pourront participer au processus. Londres a accepté qu’en Écosse, exceptionnellement pour le référendum, l’âge de la majorité électorale soit abaissé à 16 ans. Une telle disposition n’a évidemment pas d’équivalent au Canada.
Pour le reste, dans C-20 comme dans l’AE, des règles similaires régissent la définition du corps électoral. Toute personne ayant la citoyenneté européenne ou du Royaume-Uni résidant en Écosse peut voter. Au Québec, tout Canadien résidant au Québec pouvait voter lors du dernier référendum.

Le choix de la question
Dans toute consultation populaire, le libellé de la question soulève des… questions : qui va la formuler ? Qui va juger de sa validité ? L’accord d’Édimbourg stipule que le Parlement écossais est responsable de légiférer afin de déterminer le libellé exact de la question.
L’accord prévoit que la démarche doit aboutir à une question juste, aisée à comprendre, et qui conduira à un résultat qui sera accepté et qui suscitera la confiance. La question sera par la suite soumise à la Commission électorale du Royaume-Uni, un organe indépendant chargé de la tenue des élections au Parlement du Royaume-Uni, au Parlement écossais et au Parlement européen. Cette commission déposera un rapport devant le Parlement écossais et pourra formuler des recommandations sur l’intelligibilité de la question.
Au Québec, l’Assemblée nationale légifère, elle aussi, de manière pleinement autonome sur le libellé de la question référendaire. La loi C-20 prévoit toutefois un mécanisme permettant au Parlement fédéral de déterminer seul si le libellé est acceptable. La loi canadienne énumère notamment les critères d’une question « ambiguë ».
Et cette énumération n’a rien d’exhaustif puisque, pour toute autre raison, le Parlement canadien peut, en vertu de la loi, décider qu’une question posée n’est pas claire. Le résultat du référendum ne saurait ainsi être reconnu. En aucun cas l’accord d’Édimbourg ne laisse au Parlement du Royaume-Uni une telle latitude.
La Commission électorale du Royaume-Uni, de son côté, ne fait que formuler des recommandations au Parlement écossais. Du reste, on peut penser qu’avec la Loi de clarification les questions posées aux référendums de 1980 et 1995 n’auraient pas été jugées suffisamment claires.

La majorité nécessaire
Au Canada, le débat sur la majorité nécessaire afin qu’un résultat pour l’indépendance soit reconnu a soulevé les passions. Le Québec a de ce fait adopté la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, réitérant que le seuil de 50 % +1 constituait le seuil normal nécessaire en démocratie.
De son côté, dans la Loi de clarification, le Canada cultive l’ambiguïté en suggérant que le seuil de 50 % +1 ne serait probablement pas suffisant, sans toutefois indiquer celui qui devrait être acceptable. Il s’agit de la seule majorité qualifiée indéterminée au monde !
Tout comme pour le libellé de la question, le Parlement d’Ottawa se réserve la prérogative de déterminer au cas par cas si le résultat référendaire constitue une majorité claire ou non. Toutefois, contrairement au contrôle de la question, exercé avant le scrutin, la loi C-20 amène le Parlement fédéral à se prononcer sur la majorité exprimée, mais après le scrutin seulement.
Il se trouve ainsi à être non seulement juge et partie, mais en plus, il s’attribue un pouvoir exorbitant, soit celui de changer après coup les règles du jeu. C’est là une autre différence importante avec la pratique écossaise : Londres reconnaîtrait l’indépendance de l’Écosse suivant un résultat de 50 % +1.
Il adopte ainsi le taux consensuel en Europe lors de référendums de même nature. L’Écosse, qui fait partie depuis plus de 300 ans du Royaume-Uni, ne verra pas le résultat de son référendum jugé par le Parlement britannique.
Avec l’accord d’Édimbourg, les règles fixant les différentes modalités d’un référendum s’appliquent au gouvernement de l’Écosse, mais aussi à celui du Royaume-Uni. Lors du référendum de 1995 au Québec, le gouvernement fédéral a refusé de se dire lié par les lois québécoises en matière de financement.
Leçon de démocratie
L’accord d’Édimbourg a été pensé, rédigé et conclu dans une grande maturité démocratique. Dans un échange de nation à nation, deux États ont choisi d’encadrer la pratique du référendum. À la suite du Renvoi relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême du Canada, le gouvernement fédéral a manqué une occasion d’agir avec maturité. Il aurait pu tenter de conclure ce type d’entente. Or, au lieu de privilégier la négociation - ce que préconisait la Cour suprême -, Ottawa a préféré la discorde, la stratégie du plan B et l’unilatéralisme.


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