L'une des motivations essentielles de la Coalition pour l'avenir du Québec (CAQ) de François Legault est de surmonter le présumé état de léthargie qui affecterait actuellement le Québec, lequel s'expliquerait notamment par l'impasse que constitue la question nationale. Cette dernière diviserait les Québécois et épuiserait leurs énergies, empêchant le Québec de progresser sur les plans sociaux et économiques. En somme, c'est en mettant la question nationale entre parenthèses que M. Legault espère réunir tous les Québécois et relancer le Québec autour de projets communs, notamment en éducation et en santé.
Une question essentielle semble cependant esquivée par ce programme: les Québécois sont-ils réellement divisés sur la question nationale? Est-ce cette prétendue division ou est-ce la question nationale elle-même qui empêche le Québec de progresser en tant que société?
Dans son dernier livre, La Souveraineté du Québec, Jacques Parizeau commente les résultats d'un sondage mené par le Bloc québécois entre le 11 et le 15 mars 2009, résultats confirmés par d'autres sondages analogues effectués au cours de la même période par d'autres firmes, comme CROP et Angus Reid. On y apprend que les Québécois sont toujours favorables à l'idée que le Québec forme un pays indépendant à près de 50 % et plus de 56 % croient que le projet de souveraineté est réalisable. Cependant, 66 % des Québécois aimeraient que le Québec fasse partie du Canada avec un statut particulier, ce qui est confirmé par un autre sondage où l'on apprend que près de 58 % d'entre eux refusent l'absence de statut particulier, donc le statu quo. Finalement, 62 % des Québécois croient qu'il est possible de réformer le fédéralisme de façon à satisfaire à la fois le Québec et le Canada.
En somme, le rejet par la population québécoise du projet de souveraineté-partenariat proposé par les élites souverainistes en 1995 n'a pas mis un terme à l'idée de la souveraineté du Québec. Mais surtout, il n'a jamais signifié que les Québécois étaient satisfaits du statu quo politique et constitutionnel au Canada. Ils réclament, encore et toujours, un statut particulier pour le Québec. Et ils espèrent, encore et toujours, qu'une réforme du fédéralisme saura répondre à leurs aspirations.
Ce que ces sondages indiquent, c'est que si les Québécois sont divisés, ce n'est pas sur la question nationale à proprement parler. Ils s'accordent d'une manière largement majoritaire sur l'idée que le statu quo politique et constitutionnel est inacceptable. Ils diffèrent, bien entendu, sur les moyens de modifier cette situation: certains estiment que seule la souveraineté (avec ou sans trait d'union) pourra remédier à l'inégalité de statut qui affecte historiquement le Québec à l'endroit de l'État canadien, alors que d'autres, probablement la majorité, estiment que la réforme du fédéralisme canadien constitue toujours le remède approprié, malgré la conjoncture.
Mais il existe un consensus de fond qui rassemble une large majorité de Québécois, où s'exprime sans doute le sens historique qu'ils ont préservé de la dualité fondamentale sur laquelle se fonde le Canada, consensus voulant qu'une fédération purement symétrique, où le Québec ne jouit d'aucun statut particulier par rapport aux autres provinces, d'aucune reconnaissance politique et constitutionnelle à titre de nation et de pouvoirs correspondant à ce statut, est inacceptable.
Le problème de la coalition de M. Legault, c'est qu'elle fait comme si cet accord fondamental qui réunit une majorité de Québécois n'existait pas. Elle leur demande ni plus ni moins d'accepter le statu quo; elle leur dit que ce qui gêne le Québec et le condamne à la léthargie, ce sont les Québécois eux-mêmes, leurs discussions et leurs chicanes incessantes au sujet de la question nationale!
Cela fait près de 150 ans que les Québécois se chicanent sur la question nationale parce qu'ils recherchent plus d'autonomie institutionnelle au sein de la fédération canadienne, une meilleure représentation au sein de son appareil juridique ainsi que sur la scène internationale, et une reconnaissance constitutionnelle à titre de nation. N'ont-ils jamais pensé qu'il suffit d'arrêter de se chicaner sur ces questions pour enfin s'épanouir comme société, exactement comme le font les autres provinces canadiennes? N'est-ce pas précisément ce que l'État canadien, ce que les autres provinces attendent de nous?
Le succès futur de la coalition de M. Legault dépendra probablement de sa capacité à répondre à cette question fondamentale: le Québec vit-il une situation léthargique parce que les Québécois sont divisés entre eux sur la question nationale, division dont ils sont eux-mêmes responsables, ou le Québec vit-il une situation léthargique tout simplement parce que, quel que soit l'état d'entente ou de division entre Québécois, la question nationale n'est pas réglée et qu'il s'agit d'un état de fait dont ils ne peuvent être tenus entièrement responsables?
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Stéphane Courtois, professeur au Département de philosophie de l'UQTR
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