Protection des sources journalistiques: Marie-Maude Denis demande à la Cour suprême d’éviter un «dangereux précédent»

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Le procès de Normandeau et de M.-Y. Côté reporté aux calendes grecques

La journaliste Marie-Maude Denis demande à la Cour suprême d’intervenir pour être libérée de l’obligation de révéler ses sources confidentielles afin d’éviter un «dangereux précédent» au Canada.


Forcée de témoigner le 22 mars dernier par la Cour supérieure du Québec, dans le cadre d’une requête en arrêt des procédures au procès de Marc-Yvan Côté et Nathalie Normandeau, la journaliste de l’émission Enquête à Radio-Canada a officiellement déposé sa demande d’autorisation d’appel au plus haut tribunal du pays ce mercredi.


Dans le document de 179 pages, acheminé à la Cour par trois avocats de Fasken Martineau dont Me Christian Leblanc, Mme Denis rappelle le caractère singulier de cette affaire qui soulève «plusieurs questions d’intérêt national».


«Il s’agit d’une des premières fois dans l’histoire du Canada qu’un journaliste est directement forcé de témoigner sur l’identité de ses sources journalistiques confidentielles. La présente demande d’autorisation d’appel soulève d’importants enjeux qui sont au cœur de la démocratie canadienne», peut-on lire en guise d’introduction.


«Une protection inadéquate des sources journalistiques confidentielles mènera indéniablement les sources journalistiques à se tarir et se taire. C’est le public en entier qui, ultimement, en paiera le prix», insiste la société d’État dans son mémoire.


Interprétation de la nouvelle loi


Marie-Maude Denis rappelle que le Canada vient de se doter pour la première fois d’une loi visant à accroître la protection des sources.


Or, l’interprétation des nouvelles dispositions de la Loi sur la preuve par le juge Jean-François Émond de la Cour supérieure a eu pour effet, soumet-on, d’accorder aux sources «encore moins de protection» que ce qui avait été établi précédemment par les arrêts impliquant le Globe and Mail (scandale des commandites) et le National Post (le «Shawinigate»).


«Le juge de la Cour supérieure du Québec abaisse considérablement la barre pour forcer la divulgation de l’identité des sources journalistiques confidentielles de la demanderesse Marie-Maude Denis en considérant comme suffisant le fait qu‘une telle divulgation pourrait être utile à l’intimé Marc-Yvan Côté pour appuyer une thèse qui reste purement hypothétique».


Arrêt des procédures réclamé


Rappelons que les avocats de M. Côté – un ex-ministre libéral et un ex-vice-président de la firme de génie-conseil Roche accusé de fraude et complot – veulent connaître l’identité de la (ou des) taupe(s) au sein de l’appareil de l’État qui ont coulé à la journaliste des éléments d’enquête policière.


Ils tentent ainsi de démontrer que ces fuites, présumément orchestrées par des hauts gradés de l’UPAC, ont nui à leur client de façon telle qu’elles ont ainsi déconsidéré l’administration de la justice. Ce faisant, seul un arrêt des procédures pourrait réparer le tort qui a été causé, plaident-ils.


Radio-Canada déplore que le juge de la Cour supérieure, qui a prononcé sa décision il y a deux mois à l’égard de la journaliste, s’attarde à la nature des informations transmises par les sources pour déterminer si elles doivent ou non bénéficier d’une protection de leur identité.


«Le Jugement crée une protection des sources journalistiques confidentielles complètement variable selon l’appréciation que fera le tribunal des informations qu’elles transmettront au journaliste. Une telle interprétation, basée sur un jugement de valeur personnel aléatoire, affaiblit gravement la protection des sources journalistiques confidentielles», peut-on lire.


La suite dans plusieurs mois?


Les avocats de Marc-Yvan Côté et de tous les intervenants au dossier ont désormais trente jours pour déposer un mémoire en réponse à la demande d’autorisation d’appel. La demande d’autorisation sera ensuite officiellement soumise à l’examen de la Cour suprême. Nul ne peut prédire ensuite combien de temps il faudra à la Cour avant de décider si elle acceptera ou non d’entendre l’affaire.


En attendant, le procès d’au moins 11 semaines qui devait débuter en avril dernier a été reporté aux calendes grecques.