Projet de loi 33 adopté en santé: Ce que cache un bâillon

Par Jacques Benoit

17. Actualité archives 2007


Le gouvernement Charest vient une fois de plus d'utiliser le bâillon pour faire adopter plusieurs projets de loi à l'Assemblée nationale. Ceux qui se demandent en quoi il était si urgent d'accroître les heures d'ouverture des épiceries ont tout simplement manqué le dernier coup fumant du ministre Philippe Couillard: comment utiliser les fonds publics pour développer des cliniques privées de chirurgie au Québec, le projet de loi 33.
Ce projet de loi qu'on présente continuellement comme la réponse au jugement Chaoulli est en fait la suite logique de la réforme de 2003, elle aussi adoptée sous le bâillon et qui a résulté en la fusion des établissements de santé. Et bien qu'on n'ait jamais voté pour ça, toutes ces lois ont un lien avec d'autres lois pour lesquelles on a pourtant encore moins voté: les accords de libre-échange sur les marchés publics, accords par lesquels l'État prétend mieux répondre à nos besoins en... abolissant nos droits.
Déconstruction de nos services publics
En 1997, la Banque mondiale, organisme dirigé pas les ministres des Finances de 184 pays, affirmait qu'il faut «faire accepter à la société une redéfinition des attributions de l'État».
Au Québec, les gouvernements Bourassa (libéral), Bouchard et Landry (péquistes) et Charest (libéral) se sont appliqués successivement à coller à cet objectif en utilisant six stratégies. La plus importante, le défaut «volontaire» de ressources, un défaut provoqué, nous a donné les compressions budgétaires massives, le virage ambulatoire, les fermetures d'hôpitaux, les départs massifs à la retraite, etc. Les autres stratégies utilisées sont la décentralisation-régionalisation, la tarification, la communautarisation, la déréglementation et la privatisation.
Toutes appliquées contre le système public de soins de santé, leur résultat ne s'est pas fait attendre: des services publics en mauvaise condition, une population insatisfaite. Il est maintenant plus facile de faire accepter à la société l'idée consistant à faire appel au privé pour obtenir des services prétendument efficaces.
Machine à privatiser
Dans le même laps de temps, ces gouvernements ont signé avec d'autres provinces et l'État de New York des accords de libre-échange sur les marchés publics (AMP) qui définissent des seuils de dépenses, des montants à partir desquels les organismes publics et les ministères qui sous-traitent doivent ouvrir leurs appels d'offres aux entreprises des États signataires qui voudraient soumissionner. Ces accords garantissent qu'une fois atteints les seuils de dépenses pour des services, produits ou travaux de construction, les organismes publics et les ministères seront par la suite obligés de continuer à sous-traiter sous peine d'être poursuivis pour perte éventuelle de profits.
En décembre 1999, le conseil des ministres du gouvernement du Québec adoptait une nouvelle politique sur les marchés publics s'appliquant à toutes les administrations publiques et définissant le cadre des achats publics et de la sous-traitance en le calquant sur les AMP. Ainsi, l'Assemblée nationale et tout l'appareil gouvernemental ont été soumis à des accords internationaux transformant toute décision d'achat même temporaire au privé en obligation de faire appel au privé.
Ne restait plus qu'à créer les cadres pour mettre en branle la machine à privatiser.
Le gouvernement du Parti québécois ouvrit le bal en fusionnant les municipalités et en fixant les seuils de dépenses régissant l'attribution de leurs contrats de service en conformité avec les seuils définis dans les AMP.
En 2003, le gouvernement libéral franchit une étape qualitativement supérieure en fusionnant les CLSC, les centres d'accueil (CHSLD) et les hôpitaux (loi 25), modifiant au passage leurs mandats en «coordonnateurs, par le biais d'ententes ou d'autres modalités, des activités et services», ce qui comprend les services de soutien (ménage, buanderie, alimentation), l'administration et les services professionnels (sociaux, infirmiers, chirurgicaux, etc.).
Et pour inciter les CSSS à coordonner en sous-traitants, le gouvernement a aussi forcé le regroupement des accréditations syndicales par secteur de services (loi 30), modifié l'article 45 du Code du travail qui freinait la sous-traitance (loi 31) et interdit la syndicalisation dans les petits centres d'accueil de type familial (loi 7).
La sous-traitance de plus gros établissements facilitera l'atteinte des montants définis dans les AMP, forçant les CSSS à continuer de sous-traiter, et la fusion fera également en sorte qu'aucun établissement de santé ne puisse y échapper.
Retour bloqué
Dans ce contexte, le débat sur les heures d'ouverture des épiceries tombait à point pour détourner l'attention du projet de loi 33 qui, lui, définit clairement les termes de la sous-traitance des services de chirurgie, sous-traitance qui, à partir de certains montants, sera soumise aux AMP, là aussi avec l'obligation de continuer à sous-traiter.
L'ouverture faite par le projet de loi 33 aux assurances privées complète un tableau où le droit à la santé au Québec se transformera lentement mais sûrement en «besoins de santé» pouvant être comblés selon votre fortune ou par l'achat de services au secteur privé avec les fonds publics!
Plusieurs années de stratégies de déconstruction additionnées d'adoptions «bâillonnées» de lois ont formé un plan de privatisation en douce de nos services publics, sans possibilité de retour. Ces services publics sont pourtant des choix de société. Et les choix de société doivent être faits par la société. Jusqu'à maintenant, même les députés n'ont eu ni l'information ni le temps nécessaire pour se prononcer.
Les citoyens ont le droit d'avoir toutes les données et le temps nécessaire pour faire des choix éclairés. Le vrai débat sur l'ensemble de ces lois et leurs liens avec les AMP doit avoir lieu avant qu'il ne soit trop tard. C'est la démocratie qui est en jeu.
Jacques Benoit : Organisateur communautaire


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