Pourquoi tant de mots anglais?

Le français — la dynamique du déclin


Dans une récente chronique publiée dans [Le Devoir du 5 novembre->32226], Christian Rioux raconte qu'on lui a posé «la question qui tue» à propos de la situation de la langue française au Québec. Les Québécois en sont les défenseurs héroïques pour les cousins d'outre-Atlantique. Ils maintiennent encore en place quelques lambeaux de la Charte des années 1970 et ils n'hésitaient pas à monter au créneau par le passé. Si une telle perspective est juste, lui a-t-on demandé, pourquoi «dans le dernier film de Xavier Dolan, il n'y a pas une phrase sans un mot anglais?»
La question était directe et brutale. On voudrait bien que l'observation soit fausse. Mais elle est vraie. Le jeune réalisateur est ici montré en exemple, mais il marche sur les brisées de nombreux prédécesseurs et de nombreux collègues, lesquels pensent qu'il est impossible de faire autrement. Maintes raisons expliquent leur comportement.
Les artistes ont l'impression qu'ils doivent parsemer leurs films, leurs pièces de théâtre, leurs romans, leurs téléséries de mots anglais afin de faire naturel et authentique. Ils ont en partie raison, mais ils exagèrent. La langue des personnages laisse passer anglicismes, calques, familiarités, impropriétés généralisés dans le milieu. On pourrait en émonder, en remplacer sans que la compréhension ni le succès soient remis en cause. Mais il n'est pas facile de les convaincre ces artistes qu'un effort de correction ne nuirait pas à leur succès. La pente des pratiques familières et visiblement populistes est savonneuse et facile.
Un certain snobisme
Il y a aussi l'effet du snobisme national. La langue «québécoise» est un français amélioré et elle se distingue du français international. Depuis cinquante ans, un important courant de pensée veut que l'authenticité québécoise rayonne. La qualité absolue, le chef-d'oeuvre, est probablement plus difficile à réaliser sans la couleur locale du franglais porté à des sommets ou à son zénith. Alors, pourquoi se mettre martel en tête si le joual et le franglais font florès?
Mais les artistes eux-mêmes auraient souvent des faiblesses bien incrustées ou même innées en matière de bon usage. De méchantes langues ont parfois affirmé que si des artistes faisaient dans le franglais ou dans le joual, c'était qu'ils seraient bien en peine d'accorder les participes passés, de mettre une virgule ou un point-virgule à la bonne place, d'identifier un synonyme d'un mot qui vient d'instinct ou le mot français qui correspond à un mot d'origine anglaise implanté en sol québécois. Bref, il y a là une solution de facilité: on fait un détour pour contourner ses lacunes.
D'une manière générale, le monde des arts baigne dans la culture du milieu national, laquelle se satisfait d'une grande neutralité, sinon d'une grande méfiance, en ce qui concerne la qualité de la langue. La langue est chose donnée et reçue. Il n'est pas besoin de chercher à l'améliorer, à l'enrichir, à soigner sa prononciation, à intégrer des mots plus précis. Et de prendre le risque d'avoir à faire face à des quolibets. «On me comprend, cela suffit», entend-on à l'occasion de ceux qui sentent le besoin de se justifier.
Trop bien parler
Par ailleurs, il y a la crainte de se faire accuser de trop bien parler le français. Un tel «excès» ne nuit pas toujours, mais les personnes les plus sensibles aux pressions du milieu, ou qu'on prend comme telles, n'y résistent pas. Des personnes médiatisées, pas toujours conscientes, sont fières de s'appuyer sur les calques, sur des impropriétés, sur des raccourcis, sur des mots anglais. Les expressions correctes marqueraient une distanciation par rapport au commun des mortels et au tout-venant.
Xavier Dolan et ses collègues du milieu font partie de la société québécoise. Ils en partagent la doxa linguistique: conservatisme ambiant en la matière, inutilité des efforts (lesquels ne rapporteraient rien), psittacisme (répétition mécanique de mots ou d'expressions par un sujet qui ne les comprend pas) ou panurgisme (comportement selon lequel on agit pour faire comme tout le monde). Les efforts de redressement sont annulés, lessivés par les médias, par la publicité, par les relayeurs laxistes.
Est-ce à dire qu'il faille baisser pavillon? Il faut plutôt essayer de changer les mentalités. Si l'on tient au français, il faut bien le parler et bien l'écrire. Il faut tout faire pour gommer les impropriétés et les calques, les mots étrangers inutiles. Il faut convaincre tous les scripteurs et tous les locuteurs, artistes compris, de choisir l'expression correcte face à un mot tordu quand cela est possible et que cela ne met pas en péril la valeur d'une oeuvre, le temps qu'il fera, la protection de l'environnement. Et que faire appel à une expression soignée ne sera pas mettre du sable dans un engrenage. Bref, comme disait Churchill, se contenter du meilleur tout en gardant des goûts simples et accessibles.
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Gaston Bernier - Président de l'Association pour le soutien et l'usage de la langue française


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