Dans l'esprit de Michael Ignatieff, imposture et ascension (Du Québécois, 2009), un pamphlet du militant indépendantiste Pierre-Luc Bégin, Michael Ignatieff au service de l'empire, un essai de Pierre Dubuc, directeur du mensuel L'Aut'journal, revisite les nombreuses prises de position passées du chef libéral pour en conclure que ce dernier n'a rien d'un allié du Québec. Plus raffinées que celles de Bégin, les analyses de Dubuc se fondent sur une lecture attentive des interventions intellectuelles d'Ignatieff.
Les illustres ancêtres paternels et maternels de l'actuel chef de l'opposition à la Chambre des communes se sont mis au service de l'impérialisme, russe dans un cas, anglo-saxon dans l'autre. Peut-on en tirer la conclusion que leur descendant fera de même? Dubuc le suggère, un peu abusivement à mon avis. L'argument de la tradition familiale, en politique moderne, est fragile, voire injuste.
Il reste qu'on ne peut nier qu'Ignatieff a fait le jeu, à son tour, d'un empire, américain dans son cas. Il a, en effet, appuyé les interventions militaires de ce dernier au Kosovo, en Afghanistan et en Irak, au nom d'un «impérialisme léger», ou temporaire, nécessaire à la préservation de la démocratie dans certains pays en déroute. Or, selon Dubuc, cet «impérialisme humanitaire» reste un impérialisme condamnable, malgré ses prétentions droits-de-l'hommistes. Tout cela, dira-t-on, est assez connu. Cet essai a cependant le mérite de présenter clairement Ignatieff comme l'homme «des classes dirigeantes et de l'establishment militaire du Canada et des États-Unis», mandaté pour contrer la «dérive pacifiste» du Parti libéral du Canada, imposée par le refus québécois de la guerre sous Chrétien et Martin.
L'influence d'un philosophe
Dubuc, toutefois, est surtout intéressant quand il se penche sur l'influence du philosophe anglo-saxon Isaiah Berlin sur la pensée d'Ignatieff. On doit à Berlin, qui aurait été un propagandiste anticommuniste de la CIA, selon Dubuc, la célèbre distinction entre les concepts de «liberté négative» et de «liberté positive». La première se limite à l'absence de contraintes (libéralisme classique), alors que la seconde insiste sur l'accès aux conditions permettant l'exercice réel de la liberté (tradition socialiste). Berlin explique qu'une intervention étatique visant la justice sociale (liberté positive) entraîne pres-que inévitablement une perte de liberté (négative) et que c'est cette dernière qui doit avoir préséance. Ignatieff, selon Dubuc, serait à cet égard un fidèle disciple de Berlin, auquel il a consacré une biographie, et n'aurait strictement rien d'un intellectuel de gauche, voire de centre gauche.
Dans le débat sur la question nationale, enfin, les nationalistes québécois ne devraient rien attendre de la part d'Ignatieff. S'il reconnaît une certaine légitimité «temporaire» à la loi 101, le chef libéral se méfie des droits collectifs, rejette le droit à la sécession et affirme même que la Conquête de 1763 a apporté l'autonomie et la démocratie aux Canadiens français. Peut-on suivre Dubuc quand il suggère que, si Ignatieff «était au pouvoir dans le cas d'un référendum victorieux, il n'hésiterait pas à invoquer le "droit d'ingérence" pour justifier une intervention militaire, sans doute pour répondre à l'appel de membres de la minorité anglophone de Montréal qui ne manqueront pas de crier au "nettoyage ethnique"»? Espérons plutôt qu'il exagère.
Les Québécois, jusqu'à maintenant, restent insensibles aux charmes de Michael Ignatieff. Pierre Dubuc vient les raffermir dans ce refus.
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Michael Ignatieff au service de l'empire
Une tradition familiale
Pierre Dubuc
Michel Brûlé
Montréal, 2010, 192 pages
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Collaborateur du Devoir
Politique - Dubuc contre Ignatieff
Les Québécois, jusqu'à maintenant, restent insensibles aux charmes de Michael Ignatieff. Pierre Dubuc vient les raffermir dans ce refus
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