Plan de campagne à saveur minière

Le Plan Nord des libéraux sera un enjeu électoral, mais ira-t-on au-delà du message promotionnel ?

Élection Québec 2012


Alexandre Shields - Le dossier du Devoir sur le Plan Nord
Le Plan Nord des libéraux sera au coeur de leur prochaine campagne électorale. Si ce vaste plan de développement industriel encore peu défini rallie la population, il pourrait bien permettre à Jean Charest de diriger le Québec au moins jusqu’en 2016. Mais de nombreuses critiques ont émergé depuis le lancement du « chantier d’une génération », en mai 2011. Plusieurs experts des questions économiques et des finances publiques n’ont d’ailleurs pas manqué de relever de nombreuses zones d’ombre. Reste à voir si la campagne à venir permettra de clarifier certains éléments, au-delà de la valse des milliards des derniers mois.
Lorsque des médias ont révélé il y a un mois que les libéraux comptent jouer de nouveau la carte de l’économie et de la création d’emplois en vue du prochain scrutin, mais en l’associant cette fois étroitement au chantier industriel qu’ils ont lancé au nord du 49e parallèle, ils n’ont fait que confirmer une évidence : le Plan Nord sera un incontournable de la prochaine course à l’appui populaire que lancera le gouvernement Charest, vraisemblablement cet automne.
Le premier ministre travaille d’ailleurs très fort depuis des mois pour séduire l’opinion publique, mais aussi le milieu des affaires, en multipliant les tournées de promotion. Le gouvernement a même acheté du temps d’antenne pour diffuser des capsules publicitaires vantant son projet. À peu près tous les regroupements importants de gens d’affaires et les chambres de commerce du Québec ont eu droit au discours de promotion d’un plan essentiellement basé sur le développement minier accéléré. Et chaque fois, des journalistes se sont contentés de relayer le message promotionnel, notamment les estimations d’investissements publics et privés pour les 25 prochaines années : un total de 80 milliards de dollars, dont au moins 47 milliards dans des projets d’Hydro-Québec, et 33 milliards en projets d’infrastructures. Cela devrait permettre la création et le maintien de 20 000 emplois, selon les libéraux.
Bernard Motulsky, titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing de l’UQAM, estime d’ailleurs que Jean Charest jouera la carte très concrète de la création d’emplois lors de sa tournée du Québec à bord de son autobus de campagne. « Le message principal consistera à dire qu’on va créer de la richesse et des emplois. Ce sera facile de trouver des cas concrets, puisque des travailleurs se précipitent déjà pour aller travailler au Nord », fait-il valoir. Il rappelle d’ailleurs que Robert Bourassa s’était fait élire en 1970 en promettant la création de pas moins de 100 000 emplois, notamment avec le développement de la baie James. M. Charest a lui-même déjà comparé son Plan Nord au développement hydroélectrique de l’époque. Sauf que cette fois, le boum est essentiellement dû à la volonté d’entreprises privées qui profitent de la croissance des prix des matières premières et du cadre fiscal très avantageux du Québec.
Quel plan d’affaires ?
Selon M. Motulsky, expliquer les répercussions sur les finances publiques est certes important, mais cet enjeu n’en demeure pas moins relativement « abstrait » pour les électeurs. Or c’est cet aspect qui a fait l’objet de nombreuses critiques au cours des derniers mois.
Il faut dire qu’il subsiste beaucoup de zones d’ombre. En fait, le Plan Nord n’a rien d’un véritable plan d’affaires, disait plus tôt ce printemps Jacques Fortin, professeur titulaire en sciences comptables à HEC Montréal. « Un plan d’affaires, c’est beaucoup plus précis que ça. Quelles seront les retombées ? On ne peut pas dire, à partir des données disponibles, si ce sera payant ou non. Et le langage des politiciens est extrêmement dangereux, parce que dans 90 % des cas, il se solde par des déficits. On n’est jamais capable d’équilibrer un budget. »
Il citait en exemple les 47 milliards de dollars de projets d’Hydro-Québec. « Ce sont des investissements faramineux. C’est peut-être une ambition pharaonique, mais ce sont les gens qui nous suivront qui vont devoir payer. Tout ça fait que l’équilibre du budget du Québec est à mon avis menacé. »
En plus de développer un potentiel énergétique fort utile au secteur minier, le gouvernement s’est engagé à investir dans les infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires. Plusieurs entreprises minières qui souhaitent exploiter les ressources du Québec ont d’ailleurs inscrit des lobbyistes dont les mandats sont liés au développement de ces infrastructures. Selon l’ancien premier ministre Jacques Parizeau, celles-ci ont compris que le Plan Nord laissait beaucoup de « portes ouvertes » pour leurs coûteuses demandes.

Pas de « subventions »
L’équipe libérale a maintes fois répété qu’elle ne comptait pas « subventionner » les minières. Le ministre responsable du Plan Nord, Clément Gignac, a même décidé d’aborder lui-même le sujet en accordant cette semaine au Devoir une entrevue qui n’avait même pas été sollicitée. Il a profité de l’occasion pour répéter à plusieurs reprises que les libéraux ne financeront pas le raccordement des projets miniers au réseau d’Hydro-Québec lorsque ceux-ci se trouvent en régions éloignées. Les lobbyistes peuvent bien frapper à la porte, a-t-il dit en substance, le gouvernement ne cédera pas.
Une sortie très utile pour les libéraux, estime Bernard Motulsky. « C’est du bonbon pour le gouvernement. On peut l’utiliser pour faire valoir qu’on ne dilapidera pas les fonds publics pour financer l’exploitation minière. » Certaines entreprises auront néanmoins droit à un tarif d’électricité inférieur aux coûts de production de nouveaux projets hydroélectriques comme celui de la Romaine.
Québec vante également son régime de redevances basé sur les profits. MM. Parizeau et Fortin ont toutefois souligné que l’impôt minier est un système d’une complexité extrême. Au point qu’il est difficile de savoir ce qui revient réellement à Québec. Qui plus est, le gouvernement a refusé de préciser au Devoir combien d’entreprises ont payé des redevances au cours des deux dernières années, le nom de celles-ci et le montant payé. Pour calculer le montant dû, le gouvernement se base sur les données fournies par les minières. Il ne vérifie pas lui-même quelles quantités de ressources ont été extraites. Ce qu’on sait, cependant, c’est que la facture pour la restauration des sites miniers abandonnés au Québec sera payée entièrement par les contribuables. Celle-ci pourrait atteindre 1,25 milliard de dollars.
Mais ces enjeux sont sans doute trop complexes pour faire l’objet de débats en cours de campagne électorale, selon Bernard Motulsky. « Ce sont des sujets difficiles à traiter en campagne électorale. Les libéraux devraient davantage se concentrer sur un message concret. C’est ce qui touche le plus les gens et qui est le plus facile à comprendre. Mais on peut aussi mettre de l’avant le rêve de développer le Nord. » Oui, mais à quel prix pour les finances publiques et l’environnement ? se demandent toujours les citoyens critiques vis-à-vis de la démarche.


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