Peut-on encore poser des questions?

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Une fois n'est pas coutume, Francine Pelletier vise juste


« Be nice. » (Soyez gentille). C’est ce que Donald Trump a répondu cette semaine à une journaliste qui tentait de lui poser une question embarrassante. Au Québec, nous n’en sommes pas encore là, fort heureusement. Confrontés à une question difficile, nos politiciens ne somment pas les journalistes de bien se tenir, encore moins d’aller se faire voir. Bien des citoyens, par contre, le font à leur place. Arrêtez de chiquer la guenille. On a mieux à faire que de vous entendre toujours poser les mêmes questions. Vous nous angoissez...


Depuis qu’on nage en pleine pandémie, naviguant de consigne en consigne, d’état d’urgence en état d’urgence, obnubilés, et nous le sommes tous, par « la bataille de notre vie », une certaine censure — ou du moins, une certaine façon de faire — flotte dans l’air. À l’instar du taux d’approbation mirobolant du premier ministre François Legault (85 %), la consigne veut qu’on applaudisse nos politiciens, qu’on suive leurs directives (bien sûr) et qu’on ne leur complique pas la vie en posant des questions embêtantes. Face au « bon père de famille » qu’est devenu le premier ministre, on cherche à être de bons enfants. Encore une preuve de la cohésion sociale québécoise exceptionnelle, s’il en fallait une.


Comprenez-moi bien. J’aime, moi aussi, l’appel à la solidarité. J’aime penser qu’à force de rester chez soi, de s’éloigner les uns des autres et de se laver les mains, on va réussir à éviter la catastrophe. J’apprécie également le triumvirat Legault-Arruda-McCann et leurs mises au point sensées. Seulement, il est de plus en plus évident que, tout en ayant l’air transparentes, nos têtes d’affiche ne le sont pas toujours. Ils tournent souvent les coins ronds. Bien sûr, il y a des données qu’on ne possède pas encore et d’autres qu’on hésite à publier pour ne pas inciter à la hantise raciale. N’empêche qu’on est en droit de s’attendre, la population tout autant que les journalistes, à beaucoup plus d’information.


Voici certaines questions qui, à mon avis, sont toujours sans réponses. D’abord, quelle est l’inspiration derrière la stratégie épidémiologique du Québec ? Il y a trois grandes tendances mondiales à l’heure actuelle. La méthode dure (chinoise), la méthode du dépistage accéléré (sud-coréenne) et la méthode zen (suédoise). La Chine a éradiqué la maladie en 10 semaines (du moins, la première vague) en imposant des mesures strictes d’isolement, en retrouvant méticuleusement tous les contacts, en créant des zones fermées de malades pour mieux protéger la population générale. La Chine est un État policier qui a utilisé tout son arsenal, sans sentimentalisme aucun (pas de publicités rappelant qu’il faut appeler sa grand-mère) ni souci des libertés individuelles. Ce n’est évidemment pas le modèle mis en pratique chez nous.


À l’opposé, la méthode on-respire-par-le-nez, pratiquée par la Suède, est également mal vue. Tout en recommandant la distanciation sociale et en interdisant le voyage, les restaurants, les cafés et les écoles primaires demeurent ouverts en Suède et les rassemblements de 10 personnes sont toujours permis. La santé publique est d’avis que l’infection est trop faible chez les plus jeunes pour les retirer de l’école, ce qui créerait plus de danger de transmission chez les plus âgés, dit-on. De façon générale, la Suède se fie davantage à la bonne discipline de ses citoyens qu’aux interdictions en série. La plupart des pays, y compris le Québec, n’ont pas cette confiance en leur population. Ce qui laisse l’option mitoyenne, de loin la plus répandue, qui consiste à « tester, tester, tester », comme le préconise l’Organisation mondiale de la santé, et qui a été la clé du succès en Corée du Sud, notamment.


La position du Québec, il faut le croire, est celle du milieu. On a beau avoir été lents et beaucoup trop parcimonieux au début, nous procédons maintenant sur les chapeaux de roues en matière de dépistage. Mais selon quels critères de sélection ? Ce n’est pas clair si les tests sont toujours réservés aux gens qui présentent des symptômes, ont voyagé ou ont été en contact avec le virus ou si, comme en Corée du Sud, on procède à un dépistage plus large. On ne sait pas non plus à quel rythme nous tentons de retrouver les personnes qui ont été en contact avec un porteur de virus. Et quand on les trouve, qu’en fait-on ? Finalement, la stratégie québécoise comprend-elle, en plus du dépistage des personnes infectées, le dépistage du niveau d’immunité en train de se créer au sein de la population ? Selon deux universitaires canadiens, une telle mesure permet une meilleure appréciation des risques de contagion ainsi qu’une meilleure planification des effectifs. Notre « sortie de crise » en dépendrait.


En temps de grande crise, la tentation de ne pas faire de vagues est compréhensible. Elle est aussi dangereuse. Les contraintes de liberté de mouvement ne devraient jamais inclure la liberté d’information. La solidarité, on en veut, mais l’aplaventrisme, le moins possible.




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