POINT CHAUD

Pétrole: «un débat mal parti»

Les signataires d’un manifeste pro-pétrole se basent sur des faussetés, estime un expert du golfe du Saint-Laurent

Ça fait depuis les années 1950 qu'on s'interroge sur la présence de pétrole au Québec. Il y en a, mais pas en quantités commerciales

Les partisans de l’exploitation pétrolière au Québec véhiculent des faussetés lorsqu’ils évoquent les revenus qui pourraient être générés par d’éventuelles ressources fossiles. En fait, il est loin d’être acquis que le sous-sol québécois renferme le moindre gisement d’or noir rentable. Et même si ce pétrole existe, on peut sérieusement douter de notre capacité à l’exploiter sans risques majeurs pour l’environnement, affirme le biologiste Sylvain Archambault.
Il critique d’ailleurs sévèrement les signataires du Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole, dont Bernard Landry, Joseph Facal et Monique Jérôme-Forget. « Le Manifeste demande un débat éclairé qui se base sur des faits, ce qui est une bonne idée. Mais je dirais que le débat est très mal parti. On fabule beaucoup, on se crée le fantasme que nous sommes assis sur une mine d’or noir, que c’est le Klondike et que nous allons devenir des cheikhs d’Amérique du Nord. C’est farfelu. »

« Nous devons miser sur les ressources pétrolières qui se trouvent en sol québécois, martèle le Manifeste publié la semaine dernière. Des milliards de barils de pétrole seraient disponibles à l’île d’Anticosti, à Old Harry et en Gaspésie. Le Québec aurait la chance d’avoir des réserves impressionnantes de pétrole. Ce ne sont pas tous les territoires qui ont une telle chance. »

Selon M. Archambault, cette affirmation est tout simplement « fausse ». Il estime aussi que l’ancien premier ministre péquiste se trompe lorsqu’il évoque la nécessité de permettre rapidement des forages exploratoires sur la structure de Old Harry, en plein coeur du golfe du Saint-Laurent. « Bernard Landry répète qu’il y a une urgence parce qu’il y a déjà des forages du côté de Terre-Neuve. C’est totalement faux, mais c’est un ancien premier ministre du Québec qui le dit. Ces affirmations créent un sentiment d’urgence basé sur des faussetés qui viennent biaiser le débat. »
Le cas Old Harry

C’est l’entreprise Corridor Resources qui détient les permis d’exploration pour cette zone, tant du côté du Québec que de Terre-Neuve. Aucun forage n’a jusqu’ici été mené, même si les permis ont été accordés il y a déjà plusieurs années. En fait, l’entreprise n’a jamais mené de forages exploratoires en milieu marin. Et pour le moment, aucune date n’est prévue pour le début des forages à Old Harry.

L’évaluation du potentiel de cette structure sous-marine — deux milliards de barils de pétrole — découle uniquement de relevés sismiques. « Même si les données sont très préliminaires, la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, parle déjà des milliards de dollars de revenus qui pourraient être générés. Ses propos frisent la démesure. Le potentiel est extrêmement hypothétique. Jusqu’à maintenant, pas une goutte de pétrole n’a été tirée d’Old Harry », souligne Sylvain Archambault, consultant pour la Société pour la nature et les parcs.

La ministre décrit par exemple la structure d’Old Harry comme un « gisement ». Or, pour qu’on puisse décrire cette zone ainsi, il faudra d’abord déterminer que le sous-sol y renferme une accumulation de pétrole ou de gaz naturel susceptible d’être exploitée.

La même prudence en ce qui a trait au potentiel en or noir québécois vaut pour les autres régions convoitées par les compagnies pétrolières, selon le biologiste. Aucune ressource pétrolière n’a jusqu’ici été découverte sur l’île d’Anticosti, malgré trois décennies d’exploration. Avant de céder ses permis à Pétrolia, Hydro-Québec Pétrole et gaz avait toutefois détecté la présence de pétrole. Mais il faudra attendre que Pétrolia et Junex mènent des forages horizontaux, avec fracturation, pour avoir une idée plus précise. Le potentiel de 40 milliards de barils demeure pour le moment théorique. Dans un texte publié dans Le Devoir la semaine dernière, l’ingénieur en géologie Marc Durand réitérait d’ailleurs ses doutes sur la rentabilité d’une exploitation qui permettrait d’extraire entre 1 % et 2 % de la ressource en place.

Du côté de la Gaspésie, le projet Haldimand est le seul qui s’approche de la phase d’exploitation. Pétrolia tente pour le moment d’obtenir l’autorisation de forer un nouveau puits qui pourrait permettre de confirmer un potentiel pétrolier à Gaspé. La ressource est évaluée pour le moment à 7,7 millions de barils, soit 23 jours de consommation québécoise.

Risques environnementaux

En plus de douter du potentiel en énergies fossiles du Québec, Sylvain Archambault estime que l’exploitation présente des risques qui sont pour le moment « peu pris en compte ». Il doute d’ailleurs fortement de la possibilité d’extraire du pétrole de façon « responsable » en milieu marin, contrairement à ce qu’affirment les auteurs du Manifeste publié la semaine dernière.

Il rappelle ainsi que le rapport d’évaluation environnementale stratégique sur le golfe recensait « plusieurs lacunes » dans l’état actuel des connaissances. Les carences concernent les technologies d’exploration et d’exploitation, les composantes des milieux physique, biologique et humain, de même que les « effets environnementaux potentiels des activités d’exploration et d’exploitation, ainsi que des déversements accidentels ».

M. Archambault rappelle en outre que la responsabilité financière des pétrolières en cas de déversement se limite à 30 millions de dollars. À titre de comparaison, quelque 5000 litres de mazout lourd se sont déversés dans la baie de Sept-Îles en septembre dernier à la suite d’une fuite dans un réservoir de la minière Cliffs Natural Resources. Les coûts de nettoyage de ce déversement qui équivaut à cinq tonnes de mazout dépassent les 20 millions de dollars, selon M. Archambault. « Les estacades installées rapidement, et disponibles sur place, n’ont pas suffi pour stopper le déversement, qui a débordé de la baie de Sept-Îles, ajoute-t-il. Et on parle d’un milieu beaucoup plus facile à contrôler qu’en plein coeur du golfe. »

Dans le cas de la marée noire provoquée par une plateforme de BP dans le golfe du Mexique, Sylvain Archambault rappelle que ce ne sont pas moins de 565 000 tonnes de pétrole qui se sont déversées dans la nature. Les frais de nettoyage et les indemnisations se chiffrent en milliards de dollars. Quant aux impacts environnementaux à long terme, ils restent à évaluer.


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