Pendant ce temps au CHUM… la nef des fous

C’est à croire que le diable lui-même n’y parviendra pas ! Rien ni personne, dirait-on, ne réussit à faire réagir au scandale des mégahôpitaux. L’engourdissement persiste.

Chronique de Robert Laplante


C’est à croire que le diable lui-même n’y parviendra pas ! Rien ni personne, dirait-on, ne réussit à faire réagir au scandale des mégahôpitaux. L’engourdissement persiste.
Le dossier du CHUM et celui de son homologue anglophone, plus discret mais tout aussi opaque, ne sont sans doute rien d’autre que l’illustration grimaçante et obscène du décrochage civique qui nous a donné le résultat électoral que l’on sait. Ces projets qui vont régler le sort de la médecine québécoise pour au moins une génération, ces projets qui donnent tous les signes de l’embardée majeure, ont été tenus à l’écart des débats. Le gâchis n’a pas cessé pour autant de s’aggraver.
Le Devoir du 17 décembre nous apprenait que l’appel de propositions pour le PPP du CHUM serait reporté, possiblement jusqu’en février 2009. Cela s’expliquerait par les ajouts au projet lancés par le ministre si bien inspiré par Toyota qu’il avait jugé plus efficace de faire des concessions aux médecins récalcitrants que de revoir le dossier. Le docteur Barrette et ses collègues satisfaits, le ministre Bolduc a pu faire sa campagne électorale tranquille. Et voilà que les comités doivent se rajuster, que les « experts » ont besoin de temps pour incorporer les changements et donner au projet sa nouvelle forme supposément « bonifiée ». Neuf mois après la démission forcée du directeur général, le CHU n’a toujours pas réussi à trouver la firme de chasseur de têtes qui lui recrutera des candidats à la succession. On a tout de même la délicatesse de préparer les esprits : il se pourrait que ce soit une firme étrangère, il se pourrait que les meilleurs candidats soient aussi des étrangers – après tout le MUHC s’est déniché un Américain, pourquoi le CHUM n’en ferait-il pas autant pour être world class lui aussi ? Cela aiderait sans doute à soigner les communications avec les grandes firmes étrangères, elles aussi, qui déposeront des propositions de PPP. Qui sait ? On pourrait même envisager un poste particulier pour les relations avec les sous-traitants locaux ? Cela dit à titre de suggestion, sans vouloir indûment rallonger les retards d’échéancier. Déjà que le président du conseil d’administration nous a avisé que chaque jour de retard ajoute 100 000 $ de frais au budget du projet.
Et c’est ainsi que vogue la nef des fous : à chaque nouveau cafouillage, les partis d’opposition nous servent leurs cassettes et picossent le gouvernement sans aller au fond des choses. Pas de remise en question de ce mode PPP qui tient du plus pur aveuglement idéologique, aucune remise en cause de ce dédoublement des centres hospitaliers universitaires qui consacre les privilèges rhodésiens de McGill et la « monctonisation » de Montréal. La classe politique s’entend pour ne pas remettre en question un ordre institutionnel qui sape la dynamique linguistique pour mieux établir un fonctionnement à deux vitesses pour la recherche médicale. On financera deux structures et deux complexes immobiliers, détournant ainsi des montants fort considérables qui ne seront pas disponibles pour créer des postes de chercheurs. Et tout ce beau monde fait semblant de ne pas voir que c’est l’Université de Montréal et toute une génération de jeunes chercheurs francophones qui vont casquer.
Personne non plus ne veut voir les conséquences de cet aberrant dédoublement sur la répartition des ressources en région et sur la modernisation du réseau : les sommes englouties pour tenir McGill dans son isolement vont bien provenir de quelque part. La confusion est tellement bien entretenue autour de cette aberration qu’il suffit à quelques politiciens de nous seriner que le MUHC offrira des services en français aux patients pour que le débat paraisse clos sur sa place dans notre système de santé. La censure est pourtant évidente et cruelle : maintenir ce dédoublement, – et le maintenir dans le délirant cadre financier des PPP – c’est condamner les régions au sous-développement pour mieux financer l’apartheid anglo-médical de McGill.
Et dire que le gouvernement nouvellement ancien voudrait nous faire croire qu’il s’occupe d’économie : il laisse faire le plus grand naufrage financier et institutionnel depuis les Jeux olympiques et il s’en tire malgré tout ! Malgré l’UQAM, malgré la crise du financement universitaire, malgré le consentement à l’indigence qui tient lieu de cadre budgétaire. Rien n’y fait. Il faut croire que Monique Jérôme-Forget s’imagine que le gaspillage et l’iniquité ont de merveilleux effets contracycliques ! Oui à l’économie !
La médiocrité est en passe de s’incruster partout, de ramollir les esprits et de neutraliser les volontés. Même l’indignation s’abîme dans l’insignifiance. Pour combler la mesure, La Presse du 19 décembre nous apprend que pendant que le projet de CHUM prend du retard, le monstre tricéphale a néanmoins flambé près d’un million de dollars en frais de taxi pour déplacer patients, médecins, infirmières et administrateurs entre les trois pavillons réunis dans un même délire organisationnel parce que le gouvernement du Québec ne voulait pas trancher. Cette chimère technocratique s’engraisse de sa propre bêtise pour saluer la mise en place « à coût indéterminé » nous dit le journal, d’un système de navette à trois autobus pour transporter les victimes d’une organisation dysfonctionnelle. Tout n’est pas perdu, nous laisse entendre le docteur Paul Pérotte du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens qui « souligne  le travail de la direction du CHUM qui, une fois qu’elle a été mise au courant de la situation, a agi très vite pour la corriger ». Que c’est rassurant !
De l’excellence, de l’excellence, on n’exige rien de moins au CHUM ! Nous pouvons dormir tranquille, quand la direction constatera le naufrage, un comité d’experts fera rapport ! On les recrutera sans doute au McGill University Health Center, une organisation de classe mondiale…
La médiocrité rend aveugle. Le Québec ne se voit plus aller.
Le langage lui-même s’épuise, on ne trouve plus les mots : politique de l’autruche, démission collective, déni, fuite en avant, consentement à l’injustice, braderie et irresponsabilité, on peut toujours causer. Une machine folle s’est emballée que tout le monde s’attend à voir foncer dans un mur en flambant des milliards de dollars et le spectacle s’étire, interminable, devant une opinion publique plongée dans une mystérieuse torpeur.
Les Québécois sont-ils à ce point fatigués d’eux-mêmes ? Il y a dans cette affaire une insouciance malsaine, une manière de s’abandonner aux événements qui tient du consentement au pire. Le dossier du CHUM relève de la conduite d’échec et se dévoile comme pratique d’automutilation.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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