Payez plus tard!

Par Jocelyn T. Perreault

Université - démocratisation, gouvernance et financement


Dans le débat sur le dégel des droits de scolarité, il est nécessaire d'accepter la prémisse de base que les universités québécoises sont sous-financées par rapport aux universités du reste du Canada, et que ce sous-financement est néfaste pour la société québécoise.
La première question est : «Qui doit payer pour combler ce sous-financement des universités québécoises?» La réponse généralement donnée est que ça devrait être - du moins en partie - les bénéficiaires directs de notre système universitaire, soit les étudiants.
D'où la proposition de mettre fin au gel des droits de scolarité. Toutefois, un questionnement plus profond devrait nous amener à poser une deuxième question : «À quel moment les étudiants devraient-ils payer pour les services reçus lors de leur formation universitaire?» À cette question, la réponse devrait être : quand ils en auront les moyens.
Pour une grande proportion des étudiants , une augmentation des droits de scolarité de 30 % serait significative sur leurs finances actuelles. Toutefois, ces étudiants auront beaucoup plus de moyens de payer dans le futur. C'est donc à ce moment qu'ils devraient avoir à rembourser les frais de leur formation universitaire.
Modèle proposé
Le modèle proposé est une forme de «contrat social.» Dans ce contrat, le gouvernement, de concert avec l'université, s'engage à financer une portion des frais de scolarité de l'étudiant (soit la portion qui serait augmentée advenant un dégel). En contrepartie, l'étudiant s'engage à rembourser ces frais avec ses revenus futurs.
Par exemple, l'étudiant pourrait s'engager à remettre 1 % de tous ses revenus au-dessus de 50 000 $ après qu'il aura complété ses études universitaires (jusqu'à une certaine limite). Les sommes recueillies pourraient être divisées, par exemple dans une proportion de 50 % chacune, entre l'université et un fonds qui serait géré pour l'ensemble des universités.
Le raisonnement de ce «contrat social» est que l'individu qui gagne un revenu significatif à la suite d'études universitaires le doit en partie au financement qu'il a reçu alors qu'il était étudiant.
Ce modèle, que l'on peut qualifier de «payer au suivant» (ou «pay it forward»), signifierait que certains étudiants rembourseraient plus que d'autres. Les étudiants qui obtiennent plus - d'un point de vue monétaire - en retour du financement de leurs études universitaires par le gouvernement, devraient rembourser plus.
Ce modèle permettrait également à certains étudiants de rembourser le financement de leurs études universitaires d'une autre façon que monétaire, par exemple en travaillant dans un domaine qui rapporte moins d'avantages monétaires ou pour un organisme à but non lucratif.
Le modèle de «payer au suivant» règlerait le problème de sous-financement des universités québécoises, tout en ne créant pas les problèmes que le dégel des frais de scolarité causerait.
Certains diront que le dégel des frais de scolarité, jumelé à une bonification du programme des prêts et bourses, est déjà une forme de modèle de «payer au suivant.» Toutefois, il y a quelques problèmes avec la proposition d'un dégel et d'une augmentation des prêts et bourses.
Milieu modeste
Premièrement, plusieurs jeunes - en particulier ceux qui proviennent d'un milieu plus modeste - ont une certaine «peur» de s'endetter et ne perçoivent pas nécessairement l'investissement à long terme que constituent leurs droits de scolarité. Ces jeunes pourraient donc choisir de ne pas s'endetter, et ainsi de ne pas faire des études universitaires.
Deuxièmement, l'endettement est beaucoup plus significatif pour des étudiants dans certains programmes d'études, ou avec certaines ambitions différentes de d'autres. Par exemple, le remboursement d'un prêt représente un fardeau plus important pour un étudiant dans un programme d'enseignement au primaire que pour un étudiant en génie où les perspectives de revenus sont plus élevées.
De même, un étudiant en droit qui a contracté un prêt étudiant significatif durant ses études sera certainement plus réticent à travailler comme avocat à l'aide juridique ou pour des associations à but non lucratif.
Troisièmement, ce ne sont pas tous les étudiants qui ont accès au programme de prêts et bourses.
Le dégel des droits de scolarité résulterait en une réduction de l'accessibilité aux études supérieures, et ce, même si le dégel est jumelé à une bonification du programme de prêts et bourses.
Pour rebuter l'hypothèse que le dégel des droits de scolarité affecterait l'accessibilité à l'université, certains citeront des études qui démontrent que les contraintes financières ne sont pas le principal facteur pour expliquer l'écart entre la proportion de fréquentation de l'université des jeunes de milieux favorisés par rapport aux jeunes de milieux défavorisés.
Toutefois, tous s'entendent pour dire qu'il s'agit d'un des facteurs, ce qui est inacceptable pour une société qui prône l'égalité des chances pour tous! De plus, ce facteur ne pourra que grandir en importance en élevant les frais de scolarité.
En conclusion, le modèle de «payer au suivant» règlerait le sous-financement des universités québécoises, sans créer les problèmes associés avec le dégel des droits de scolarité. Ce modèle est donc à la fois «lucide» et «solidaire».
Jocelyn T. Perreault
L'auteur est titulaire d'un baccalauréat en commerce et d'un baccalauréat en droit de l'université McGill. Il est présentement étudiant à l'École du Barreau du Québec, candidat à la profession CMA et chargé de cours à l'université McGill.


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