Pauline en cinq temps

Une femme et son manoir

Pauline Marois - le couronnement


La vie et la carrière de Pauline Marois se lisent comme un roman. Ou plutôt comme une pièce de théâtre. La petite fille qui jouait dans les champs du village de Saint-Étienne devient puissante et riche. Elle grimpe, patiemment, tous les échelons du pouvoir. Et la semaine dernière, elle a pratiquement atteint l'avant-dernière marche: la direction du Parti québécois. Sa vie, en cinq actes.
La vie et la carrière de Pauline Marois se lisent comme un roman. Ou plutôt comme une pièce de théâtre. La petite fille qui jouait dans les champs du village de Saint-Étienne devient puissante et riche. Elle grimpe, patiemment, tous les échelons du pouvoir. Et la semaine dernière, elle a pratiquement atteint l'avant-dernière marche: la direction du Parti québécois. Sa vie, en cinq actes.
Acte 1. Le coup de fouet
Pauline Marois a 12 ans. La fillette du village de Saint-Étienne, près de Québec, fait son entrée au collège Saint-Sacrement de Québec. Elle est intimidée. Ses parents, elle le sait, ont trimé dur pour lui payer ces études: sa mère fait des ménages dans les familles riches de la Capitale.
En côtoyant ses camarades de classe, filles d'avocats, de médecins et de députés, elle réalise peu à peu dans quel monde elle vient de faire son entrée. Un monde de riches et de puissants. De gens qui ont les moyens de se payer des femmes de ménage comme sa mère.
«Pour la première fois, j'ai pris la mesure des différences de classes, raconte-t-elle. Moi, mon père était mécanicien. Quand il venait me chercher le soir, il portait des bottes de travail, un gros parka et une casquette. Il ne cadrait pas du tout dans le décor.»
Cette prise de conscience cuisante aura l'effet d'un coup de fouet sur la jeune fille. «Je me suis dit: moi aussi, je peux réussir.»
Acte 2. Maman est ministre
Tous ses collègues se souviennent de cette campagne électorale de 1981, où elle est enceinte jusqu'aux yeux. Le 13 avril 1981, elle est élue. Le 24 avril, elle accouche de son deuxième enfant.
«On faisait des farces avec M. Lévesque: il va falloir tenir compte du moment où Mme Marois va allaiter pour fixer l'heure de l'assermentation», raconte un collaborateur de longue date.
Maman est ministre, donc. Condition féminine, et aussi vice-présidente du Conseil du Trésor. «C'est là qu'elle a découvert le pouvoir», dit un attaché politique de l'époque. Les chefs de cabinet de ses collègues défilent pour quêter des fonds.
Et la ministre est maman. «On traînait nos enfants partout», se rappelle Michel Clair, lui aussi jeune papa. Des bébés dormaient et pleuraient dans les bureaux du Conseil du Trésor. À l'époque, Pauline Marois n'a pas encore de manoir ni de bonne: elle jongle avec les gardiennes. «Ma secrétaire est déjà allée garder mes enfants», raconte-t-elle en riant.
Claude Blanchet, son mari, s'occupe des enfants le soir et la fin de semaine. «À l'école, j'étais célèbre pour mes lunchs. Mes enfants vendaient mes sandwiches!» raconte-t-il.
«Pauline Marois n'avait jamais l'air fatiguée», commente Martine Tremblay, alors chef de cabinet de René Lévesque. Mais elle fait des sacrifices. Elle reste tout au plus trois semaines à la maison après chaque accouchement. «Une fois, le cabinet est venu me porter des documents à l'hôpital. Mon médecin m'a dit: tu les renvoies au Ministère ou j'arrête de te soigner.»
Acte 3. Au sommet
Janvier 1996. Lucien Bouchard arrive en sauveur à Québec. Pauline Marois, ministre des Finances, est rétrogradée à l'Éducation. Elle y entre à reculons. Pourtant, c'est là qu'elle atteindra son sommet.
Ses collègues avaient déjà vu la «technique Marois» à l'oeuvre au Conseil du Trésor, où, juste avant le référendum, elle avait négocié les conventions collectives des employés de l'État. «Ils ne sont pas partis avec la caisse et il n'y a pas eu de sang sur les murs. Un exploit», résume un député de l'époque.
À l'Éducation, elle s'attaque à un amendement constitutionnel pour créer les commissions scolaires linguistiques. «Peu de gens se rappellent de la finesse avec laquelle elle a négocié ça», dit Joseph Facal, ancien député péquiste.
Commissions scolaires linguistiques, réforme de l'éducation et, surtout, les fameuses garderies à 5$, «qui n'auraient jamais vu le jour sans elle», dit un proche collaborateur. De cette période, elle dit aujourd'hui : «C'était un moment privilégié, où j'avais l'impression d'être en mesure de changer le monde.»
Acte 4. Pauline et Bernard
Le départ abrupt de Lucien Bouchard sonne le début d'une période noire pour Pauline Marois. Bernard Landry la double facilement dans une non-course à la direction qui dure moins d'une semaine.
Elle ressort démolie de cette «guerre des six jours». Seules les interventions d'amis très proches l'empêcheront de quitter la politique. D'autant plus que, à l'époque, on commence à chuchoter qu'elle forme avec Claude Blanchet, président de la Société générale de financement, un couple un peu trop puissant.
Ces années Landry font ressortir de gros défauts dans sa cuirasse. Un, Pauline Marois a beaucoup de difficultés avec la chicane. «Elle est très tolérante. Peut-être trop», dit une ex-collègue. «Elle veut trop gommer les divergences», acquiesce l'ex-ministre Jacques Brassard.
Un exemple? Lors de cette non-course ratée, François Legault, avec qui elle voulait faire tandem, se rallie finalement à Landry, ce qu'elle considère comme un coup bas. «Dès le lendemain, je suis allée la voir. Elle m'a dit, O.K., on recommence», raconte Legault. Pas de colère, pas d'engueulade. «Ça m'a surpris», concède-t-il.
Deux, son manque de sens de la stratégie. Trois ans plus tard, à la veille d'un conseil national, elle réclamera une course à la direction alors que Landry vient d'annoncer qu'il reste. Seuls trois députés l'appuient. Elle se couvre de ridicule.
Trois, elle «fait très confiance à l'appareil de l'État», dit un ex-ministre péquiste. Trop? «Il ne faut pas être prisonnier de l'appareil», dit-il diplomatiquement.
Il faut dire que Pauline Marois n'a pas eu la vie facile sous Bernard Landry. «Il n'avait aucune confiance en elle. C'était peut-être même un peu macho. C'était choquant pour elle. Des commentaires très durs», dit l'un de ses collègues de l'époque.
Faux, dit le principal intéressé, joint à Paris cette semaine. «Je l'ai nommée vice-première ministre. Entre nous, la collaboration était totale.»
En tout cas, pas lors de l'épisode Raymond Bréard. Le directeur général du parti, et ami intime de Bernard Landry, est impliqué dans une affaire de lobbyisme qui sent mauvais. Le comité exécutif national, dont fait partie Landry, prend fait et cause pour Bréard.
Pauline Marois, elle, «sort» pour se désolidariser de Bréard. «Elle l'a tué», résume une source. «Elle a forcé la main à l'exécutif. C'était très courageux.»
Acte 5. Les conditions gagnantes
La femme qui a émergé de son jardin, il y a 10 jours, est-elle une nouvelle politicienne? Tout le monde a été surpris de son ton. Elle deviendrait chef, mais à ses conditions, énoncées clairement. «En entendant ça, je me suis dit: wow!» s'exclame François Legault.
Chose certaine, Pauline Marois n'a plus l'air de la grande bourgeoise d'il y a 10 ans, en tailleur rose bonbon avec foulard et bijoux voyants. Elle est mince, bronzée et habillée sobrement. Vendredi dernier, elle a décidé de plonger. «Mais je ne voulais pas revivre ce que j'avais vécu», dit-elle.
Car la blessure de la course de 2005 est encore vive. «J'ai senti un certain rejet. J'ai été très malheureuse. Je luttais contre une image qui n'est tellement pas ce que je suis!»
Mais cette nouvelle femme n'est-elle qu'une façade? «Va-t-elle céder à la tentation de rallier, donc d'accepter des compromis qui se transformeront en compromissions?» se demande Jacques Brassard. «S'il doit y avoir une crise au PQ, il faudra l'affronter.»
Une date à retenir: le 26 mai
Les règles du jeu pour la succession d'André Boisclair seront décidées dans une semaine, le 26 mai, à la Conférence des présidents. C'est là, notamment, que l'on déterminera la date limite pour présenter une candidature, ainsi que les conditions pour le faire. Si l'on se fie aux normes qui étaient en vigueur lors de la dernière course à la direction, Pauline Marois aurait besoin de 1000 signatures recueillies dans 40 circonscriptions. Certains ajustements risquent d'y être apportés cette fois-ci. Quant au délai pour présenter une candidature, le plus court laps de temps accordé a été de 30 jours, en 2001. En 2005, les personnes intéressées disposaient de 90 jours pour amasser leurs signatures.
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Une femme et son manoir

Aucun journaliste n'est jamais entré dans le célèbre manoir du couple Marois-Blanchet, à un jet de pierre du country club de l'Île-Bizard. Aucun?
En 2005, Pauline Marois y admettait les représentants d'une revue à potins. «On a pris des photos des enfants dans le jardin. Mais je ne voulais pas voir la maison sur les photos», dit Mme Marois.
Pourquoi? «Parce que c'est une grosse maison et que je vais encore me faire écoeurer», lance-t-elle.
Grosse maison? Le mot est faible. Lorsqu'elle dort chez elle, Pauline Marois sort à l'aube faire de la marche rapide, main dans la main avec son mari. Ils vont chercher le journal. Au dépanneur? Non, à la grille de la propriété. Aller-retour, une marche de... deux kilomètres.
Il a fallu acheter cinq lots dans l'Île-Bizard pour construire le «manoir». Évaluation municipale: trois millions.
Catherine, l'aînée des enfants, vit désormais à Québec. Mais la maison loge encore les trois garçons du couple, Félix, François-Christophe et Jean-Sébastien, tous dans la vingtaine. Toutes les blondes des garçons habitent la résidence. La mère de Claude Blanchet y a été hébergée jusqu'à sa mort. Et Magali, la fidèle aide domestique du couple, y demeure depuis près de 20 ans. Elle y a ses propres appartements.
«On peut la décrire comme une châtelaine, mais on passe à côté de la réalité. C'est une maison très accueillante pour des enfants de toutes sortes de milieux», dit son amie et collègue Louise Harel.
Il y a deux ans, quand elle l'a reçue à dîner, Pauline Marois a sonné une grosse cloche. «Je ne sais pas combien d'enfants je vais avoir.» À l'époque, le couple hébergeait, en plus de la tribu habituelle, l'ami d'enfance d'un des garçons, victime d'un grave accident de voiture.
«C'est une maison pleine de monde tout le temps», raconte un ami. La table de la salle à manger, colossale, peut facilement asseoir 15 personnes. Et, immanquablement, «Pauline», qui adore cuisiner, est aux fourneaux.


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