Paiements frauduleux reprochés à un gros promoteur du centre-ville

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Encore des Italiens proches de la famille Rizzuto


L’un des plus riches promoteurs en ville est dans l’eau chaude. Un grand syndic de faillite reproche des paiements frauduleux à Giorgio Tartaglino, qui a contribué à métamorphoser le centre-ville de Montréal avec ses tours de condos. 


Le syndic PricewaterhouseCoopers (PWC) n’est pas tendre à l’égard de l’homme d’affaires, résident fiscal de Monaco, qui a fait construire les tours jumelles du Roccabella devant le Centre Bell. 


Dans le cadre de procédures qui ont lieu en ce moment en Cour supérieure, le syndic réclame plus de 1,5 million $ à son holding et veut faire annuler des transactions qu’il aurait « réalisées en fraude » , lit-on, pour favoriser « illégalement » ses intérêts. 


L’histoire commence au début des années 2000 quand le promoteur lance son premier grand projet : le Roc fleuri, dans le prestigieux « Mille carré doré », rue Drummond. 


Giorgio Tartaglino érige la tour sur un terrain qu’il a acquis avec le promoteur Tony Magi, une relation du parrain Vito Rizzuto qui sera assassiné en janvier dernier. 


Un autre proche de la mafia, Tony Renda, est embauché comme consultant en construction. De 2003 à 2005, le chantier endommage fortement les fondations d’un immeuble mitoyen, un édifice en pierre grise érigé en 1900, rendu inhabitable. 


Après un conflit de neuf ans, la Cour supérieure condamne la compagnie de M. Tartaglino responsable du Roc fleuri, Château Drummond inc. (CDI), à rembourser des dommages d’une valeur de 1,1 M$ à la firme du propriétaire de l’immeuble, le bijoutier de luxe Hratch Kaprielian. 


M. Tartaglino porte toutefois la cause en appel sans succès, puis déclare la faillite de CDI en novembre 2016, sans avoir remboursé son voisin. 


Près de 25 M$ en paiements 


En examinant ses comptes, le syndic PWC réalise cependant que le promoteur a dépouillé CDI de pratiquement tous ses actifs entre 2009 et 2011. Il était alors en pleine bataille judiciaire pour éviter de payer des dommages à Hratch Kaprielian. 


PWC allègue que Giorgio Tartaglino et son bras droit à Montréal, Serge Labelle, ont transféré des actifs d’une valeur totale de 24,3 M$ de CDI au holding de Tartaglino, Finance MC :  


Pourquoi avoir ainsi vidé CDI ? « Peut-être que je croyais qu’on n’aurait pas besoin de l’argent », explique laconiquement Giorgio Tartaglino en interrogatoire hors cour. 


Dans sa défense, Finance MC assure avoir agi « de bonne foi ». Le holding avance qu’en 2009 et 2011, il avait bon espoir de gagner la poursuite qu’avait intentée Hratch Kaprielian. 


Finance MC affirme également qu’à l’époque, il croyait pouvoir refiler la facture aux assureurs et aux entrepreneurs en construction qu’il avait embauchés. 


Ce n’est pas l’avis de PWC. Selon le syndic, le promoteur a agi « en fraude des droits » de la compagnie de Hratch Kaprielian.  


« Finance MC et M. Giorgio Tartaglino savaient très bien que ces transactions rendraient CDI insolvable », mentionne sa poursuite.  


Peu d’écrits 


PWC a demandé à l’homme d’affaires si des résolutions ou des courriels justifiaient les paiements de CDI.  


« Je ne mets rien par écrit, particulièrement quand les problèmes sont compliqués et qu’il y a différents aspects à considérer » a répondu en interrogatoire M. Tartaglino. 


Aujourd’hui, son holding détient toujours deux des copropriétés que lui a données CDI il y a 10 ans, dont un penthouse de 2650 pieds carrés. 


D’une valeur totale de près de 2,3 M$, ces unités suffiraient amplement à payer les sommes dues à la compagnie de Hratch Kaprielian. 


-Avec la collaboration d’Andrea Valeria 


Des discussions avec le parrain, selon la commission Charbonneau 


Giorgio Tartaglino se défend d’avoir entretenu des liens avec la mafia montréalaise, même si la commission Charbonneau a fait état de discussions entre lui et Vito Rizzuto. 


Au cours de l’une d’entre elles, l’ancien parrain tentait d’impliquer le promoteur dans le fameux projet du 1000, rue de la Commune, à Montréal, que la pègre avait infiltré. 


 « Tartaglino a nié avoir eu des relations avec des personnes liées au crime organisé, mentionne le rapport de la commission. Mais lors de cette conversation, il exprime sa gratitude au parrain. [...] Rizzuto lui répète de ne pas s’inquiéter : Tartaglino sera peut-être récompensé au-delà de ses espérances. » 


Le promoteur a finalement décliné cette offre, mais il a aussi rencontré l’ex-parrain au restaurant, selon l’enquêteur Éric Vecchio. 


La commission souligne aussi comment Tartaglino s’est associé à Tony Magi et Tony Renda, deux proches du clan Rizzuto. 


« À aucun moment, durant cette période, je n’ai été informé de soupçons selon lesquels [Magi ou Renda] auraient des accointances imprudentes », s’est défendu Tartaglino

dans une déclaration solennelle à la commission sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction. 


Via son porte-parole, au cours des dernières semaines, M. Tartaglino nous a aussi affirmé qu’il n’avait jamais été rencontré par la police à ce sujet. 


Les projets de Tartaglino 


Le Roccabella



On voit à gauche le premier projet de Giorgio Tartaglino (en mortaise) au centre-ville de Montréal, la tour à condos de luxe Roc fleuri, rue Drummond. Sa construction a ruiné les fondations de l’immeuble mitoyen (encerclé en rouge).

Photo Pierre-Paul Poulin




Giorgio Tartaglino a lancé en 2012 la construction du projet Roccabella sur le boulevard René-Lévesque, à un coin de rue du Centre Bell.Après les deux premières tours jumelles, le promoteur a commencé à vendre les condos d’un troisième immeuble dans la partie sud-ouest du site, sur un lot racheté à l’entrepreneur Tony Accurso juste avant son arrestation, en 2012. 


Un projet devant le square Dominion



On voit à gauche le premier projet de Giorgio Tartaglino (en mortaise) au centre-ville de Montréal, la tour à condos de luxe Roc fleuri, rue Drummond. Sa construction a ruiné les fondations de l’immeuble mitoyen (encerclé en rouge).

Photo Martin Alarie




Dernier investissement en date : le promoteur a payé 42 M$ pour une série de vieux immeubles sur la rue Peel (en rouge sur l’infographie ci-contre), dont ceux qui abritent le Peel Pub et le Pub McLean, juste en face du square Dominion.Selon le porte-parole de Tarta-glino, Jean-Maurice Duddin, le promoteur devrait s’attaquer à ce site prestigieux une fois achevée la phase 3 du Roccabella. 



On voit à gauche le premier projet de Giorgio Tartaglino (en mortaise) au centre-ville de Montréal, la tour à condos de luxe Roc fleuri, rue Drummond. Sa construction a ruiné les fondations de l’immeuble mitoyen (encerclé en rouge).

Photo montage




On ignore cependant s’il y construira des condos ou des appartements locatifs. « C’est sûr que ça sera un projet mixte [alliant résidentiel et commercial] », précise cependant son relationniste. 


En ce moment, le zonage permet une construction d’une vingtaine d’étages seulement, soit deux fois moins qu’au Roccabella. Mais pour rentabiliser son terrain, acquis pour 229 $ le pied carré, Tartaglino pourrait demander la permission de construire plus haut, convient M. Duddin. « Tous les promoteurs veulent rentabiliser au maximum leur projet. » 





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